C’était un voyage plein de péripéties. Il n’y avait rien d’extraordinaire sur les routes reliant les communes des départements du Nord et du Centre. Nous étions une équipe de quatre reporters (Gladimy Ibraïme, Sabry Iccenat, Louiny Fontal et moi, Claude Bernard Sérant) du Réseau haïtien des journalistes de la santé en mission. En cinq jours, on devait se démener pour rencontrer nos confrères du pays intérieur sur le terrain et animer des séances de formation et des émissions foraines. Sabry Iccenat, dans le feu de l’action, observait les acteurs, suivait chaque étape de l’objectif à atteindre qui prend corps dans les faits.
Le secrétaire général, Gladimy Ibraïme, donnait à son équipe toute la latitude pour rencontrer autorités sanitaires, leaders communautaires, journalistes, influenceurs et jeunes autour des thématiques suivants : violences sexuelles, violences basées sur le genre et planification familiale ; journalisme : mode d’emploi pour aborder les victimes de violences sexuelles.
Autant de sujets pour capter l’attention de nos publics.
Nous avions atterri sur le tarmac de l’aéroport du Cap- Haïtien, le vendredi 24 novembre et on est retourné à Port-au-Prince, par la même ligne aérienne, le mercredi 29 du mois en cours. Au point de v u e d e m o y e n d e communication pour aller d’un point à un autre du pays, l’avion fut le seul confort dont nous avions pu jouir durant cet intervalle de temps qu’a durée notre séjour dans le cadre des Projets innovants des sociétés civiles et coalitions d’acteurs (PISCCA), une initiative financée par l’Ambassade de France et encadrée par le Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP).
À peine avions-nous mis pied au Cap-Haïtien, notre équipe prit le boulevard de la ville, en route vers la Direction sanitaire du Nord (DSN). Dans ce bâtiment du Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP), on rencontrera le directeur de la DSN, Dr Ernst Robert Jasmin, avec qui nous avions amplement discuté autour de notre mission sur le terrain. Dès le lendemain, samedi 26 novembre, une bonne vingtaine de journalistes et d’influenceurs nous attendaient déjà. Formation. Débats animés. Deux émissions foraines sur place.
La journée fut rude, fatigante, mais une fatigue heureuse qui nous aidera à dormir à poings fermés.
Cap-Boucan Carré-Mirebalais
Dimanche 26 novembre. La route menant du Cap-Haïtien à Mirebalais ne fut pas un long ruban carrossable pour un voyage tranquille. Crevasses, nids de poule forcèrent chauffeur et passagers à garder les yeux grands ouverts sur la voie publique. Toutefois, un moment de détente. On se dégourdira les jambes le long du lac artificiel de Péligre.
Dans le haut Plateau central, Emersonn Clervil, l’une des antennes du Réseau haïtien des journalistes de la santé (RHJS), nous emmena faire un tour sur l’esplanade de Péligre où nous pûmes embrasser du regard la centrale électrique. Il s’improvisa guide pour nous raconter l’histoire de la construction de la plus grande centrale hydroélectrique du pays qui a débuté, au siècle dernier, dans les années 1950 sous la présidence de Dumarsais Estimé.
Après toute la démonstration de son talent de guide, Emersonn sauta dans la Nissan Xtera après le secrétaire général du RHJS, Gladimy Ibrahïme et nous emmena à Boucan Carré, non loin de l’emblématique localité de Cange où se découpe sous son ciel, le centre hospitalier de Zanmi Lasante de l’américain Paul Farmer.
À Boucan Carré, l’animateur vedette r e m e r c i e r a l e s partenaires du RHJS (le MSPP, l’UNICEF, l’OPS/OMS, PISCA) qui ont permis de réaliser Bien-Être à travers une trentaine de radio. À ce rituel de remerciement auquel il s’accroche à chaque fois qu’il ouvre l’émission, il ajoutera une parenthèse sur Emersonn Clervil pour son travail. Ce dernier qui est également le représentant du secteur religieux au Comité de Coordination Multisectoriel (CCM- Haïti) en fut touché.
Louiny Fontal anima en plein air, dans un lakou, l’émission foraine. Par son brio, il donna goût à certains jeunes pour la radio et éveilla leur attention sur les sujets liés à la violence sexuelle et à la planification familiale.
Ce soir-là, l’équipe du réseau posa ses valises à Mirebalais. Question d’être plus proche de Martial Joseph, notre coordonnateur au Bas Plateau et ouvreur de chemin pour le réseau au Centre culturel Léocardie & Alexandre K e n s k o ff o ù l e s intervenants allaient p o u r s u i v r e l a formation. Dès que n o u s p r î m e s possession de l’espace, le lendemain mardi 27 novembre, journalistes et i n fl u e n c e u r s commencèrent à arriver. Quelques minutes plus tard, à l’unissons, nos palais firent honneur à un copieux petit déjeuner. Le corps et l’esprit en accord, tout le programme se déroula comme sur des roulettes. Le contenu de la formation se déploya dans le même esprit que les autres séances et prit la tonalité du champ de compétence de chaque intervenant. De même pour l’émission foraine animée par Fontal avec pour invités un jeune médecin, un agronome et un pasteur.
Ce qui était prévu avançait avec élan et bonne humeur communicatives. Sabry prenait des photos, filmait, griffonnait des notes autant que moi en historiens de l’instant. Dans la division du travail, il filmait pour saisir quelques détails à décrypter qui serviront de contenus pour ses analyses lors des réunions en soirée.
À souligner qu’à chaque étape de notre itinéraire, nous allions découvrir un hôtel du coin. À peine avions-nous dormi une nuit, nous n’avions pas le temps de dire à demain à nos hôtes. Il fallait filer à nouveau sur la route. Pas de temps pour se familiariser avec le paysage et les gens. Sur place, pendant des mois, une équipe du RHJS, justement un natif, prépare le terrain en éclaireur. Ce qui nous facilitera la tâche.
Le jour le plus long
Lundi 27 novembre. 8h 30 a.m. On allait vivre le jour le plus long dans notre carrière de journaliste de terrain. C o m m e c e t h ô t e l à Mirebalais, ne sert pas de petit-déjeuner, nous nous empressions de monter à bord de notre jeep de location. Direction : Hinche. Certains tronçons de route sont bons, d’autres passables. Entre vitesse et lenteur, on finit par arrivée dans cette ville du haut plateau à onze heures.
On entre dans un restaurant. On casse la croûte. On fait quelques plaisanteries sur quelques faits insolites durant notre séjour ; on se tord de rire, histoire de retenir un instant dans l’oubli, Port-Margot, l’une des dernières étapes avant de boucler la boucle avec la Cité christophienne.
Onze heures 30, Gladimy Ibraïme reprend le volant, il aime conduire. Cet exercice : c’est la route, l’horizon qui s’ouvre comme la vie devant soi, l’aventure. Que ce serait merveilleux si Mackens Dorvilus, le coordonnateur du RHJS dans le Nord, pourrait nous emmener découvrir cette commune dans l’arrondissement de Borgne !
L’histoire rapporte que Port-Margot, au nord-ouest de la commune de Limbé est le premier établissement français sur l’île des Taïnos (Indigènes qui divisèrent les aires géographiques du territoire en cinq principaux caciquats : le Marien, la Magua, la Maguana, le Xaragua et le Higuey).
La route paraissait pénible. Parfois on roulait si lentement que la fatigue nous gagnait peu à peu. Les routes défoncées, les nuages de poussière laissés par d’autres véhicules et des crevasses nous invitaient à la prudence. On allait prendre Mackens au carrefour de SOS Village, une localité de Madeline pour éviter le blocus interminable au niveau du centre-ville du Cap-Haïtien.
Sur la route, Louiny Fontal prit part à une réunion en assemblée générale ordinaire en ligne du CCM-Haïti. Grâce à la magie de l’Internet, l’habitacle du véhicule devint notre bureau. Et c’est là aussi que je dus continuer à réviser les articles destinés à notre périodique.
3 h 30, nous garons notre tout-terrain près d’un lave-auto pour attendre le coordonnateur du RHJS dans le Nord. Il n’a pas musé pour être à l’heure. En route pour Port-Margot, Mackens, bon lodyanseur, n’a pas pris du temps pour mettre des étoiles pleins les yeux en faisant rutiler les richesses de notre destination. Il nous parlait de l’or de Port- Margot, ce fabuleux métal qui a ruiné les premiers habitants de l’île. Il nous parlait des plantations de café, de cacao et des plages de rêve comme Chouchou Bay, Coup de sable, Cabaret, Pas Kannot ; il nous parlait du bassin Waka auréolé de mystères ; sans oublier Sainte Marguerite qui veilledepuis1711surla paroisse de Port- Margot et sur ses habitants.
4 h 05 s’affiche sur nos portables. Nous voici arrivés dans cette ville aumilieudeseauxà9 kilomètres de Limbé. À Port-Margot, le recteur de l’université Roi S a l o m o n , d e s infirmières, hommes de lois, étudiants et leaders communautaires nous attendaient depuis des heures. Louiny n’a pas le temps de penser à lui-même. Sabry Iccenat, un jeune de l’université et moi, nous allions au centre-ville nous approvisionner dans des boutiques du coin et revenir sur les lieux en un tour de main. On se fond sur ces petits bonbons croquants tout en avalant des bouteilles de jus ou de l’eau.
À l’université Roi Salomon, le décor est planté. L’émission continue !
Encore une fois, l’animateur tint bon la voie des ondes à travers Bien-Être, une émission foraine diffusée sur une trentaine de radio dont NJ FM de Port-Margot. Il a suffi que les lumières s’allument, que les flashes crépitent que l’enregistrement commence pour qu’il prenne feu. Le débat s’allume et les panélistes autant que les intervenants dans l’assistance se laissent prendre à cette opération tournée vers les mêmes thématiques sanitaires inscrites dans l’actualité et la vie de la communauté.
6 h 25. Il faut retourner au Cap pour boucler la boucle. Certains jeunes nous demandent de rester avec eux pour continuer à transmettre ces informations qui sauvent des vies. Ils dé : cap sur le Cap-Haïtien.
tentent même de nous dissuader afin de ne pas nous aventurer de nuit sur la route. On reste à Port-Margot ou on part ? C’est décidé.
9h30.On est au Cap.Place à notre dîner. Et vite, un hôtel pour se reposer. Demain, d’autres visites de terrain nous attendent.
Le sommeil est le meilleur réparateur des forces. Un bon lit, un bon bain chaud pour relâcher ses muscles, évacuer tout le stress sont autant de facteurs qui rendent le sommeil léger.
Mardi 28 novembre. L’équipe se disperse sur le terrain. Récolte d’informations dans les centres hospitaliers et autres institutions sanitaires du Cap sur des sujets liés à la vaccination, à la PF et au vih/sida. En cette journée ensoleillée, Sabry et moi, on termine tôt notre devoir de terrain. On trouve même du temps pour regarder la mer, prendre quelques photos et1la1isser libre cours à notre imagination son nom dans les pages d’histoire (Guarico au temps des Taïnos, Cap- Français pendant la colonie, Cap-Henri sous le roi Henri Christophe, Cap-Haïtien à l’ère de la république).
À l’heure où le compte à rebours s’égrène pour rentrer à Port-au-Prince, on profite des derniers instants dans ce chef-lieu du département du Nord. On dîna en tête à tête à Lakay restaurant tout en devisant sur ce qu’il reste à faire dans le cadre de ce projet qui nous a puisé beaucoup d’énergie.
Sabry, comme moi, pensai-je, devrait commander un bon plat de volailles ou de cabri accompagné de riz et de purée de poids pour se revigorer, mais il exclut tous produits animaux de son régime alimentaire. Comme à l’accoutumée, il commanda un repas composé uniquement des aliments du règne végétal. Ainsi entre-t-il dans le végétalisme comme on entre en religion.
Mercredi 29 novembre. Les longues pérégrinations du RHJS dans le grand Nord prennent fin.
Dès 8 h du matin, Gladimy Ibraïme, Sabry Iccenat, Louiny Fontal et moi, nous prenons place à bord de la Nissan Xtera. La circulation n’est pas fluide sur la route menant à l’aéroport du Cap-Haïtien. Lentement et sûrement on finit par arriver et remettre le véhicule de l o c a t i o n à l a compagnie qui le chérit comme on aime une femme.
Dernier exercice. L’enregistrement, la pesée de nos valises, le contrôle au peigne fin. C’est l’heure d’embarquer à bord. Toutes nos pensées s’envolent vers Port- au-Prince habitée par les mêmes peurs, les mêmes angoisses, les mêmes tourments…
À peine sommes-nous installés dans nos sièges, les ailes de la même ligne aérienne, qui nous ont conduits au Cap, nous emportent en plein ciel. Le temps de fermer l’œil, on l’ouvre à l’aérogare Guy Malary. Quel périple ! Quelles longues pérégrinations !
Claude Bernard Sérant
serantclaudebernard@yah oo.fr
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