Le marché du travail haïtien est dominé par un ensemble de violences basées sur le genre. Dans tous les secteurs de la société, les femmes sont victimes à cause de leur sexe, leurs choix et leur position. Les femmes journalistes se plient et s’effondrent sous cette violence en pleine effervescence. Elles sont l’objet de harcèlement moral et sexuel dans l’exercice de leur métier. Malgré cette violation de leur droit, la plupart des victimes gardent le silence de peur de représailles et en raison de l’étroitesse du marché de l’emploi haïtien.
À 21 ans, Johanne* est stagiaire dans un journal en ligne de la capitale. Contrariée par des pratiques non professionnelles de ses collaborateurs, elle se voit obligée d’abandonner l’expérience. Nous sommes en 2019. Attouchements, propositions indécentes, commentaires déplacés, elle subit toutes les formes de harcèlements. Trois ans plus tard, le poids des avances et remarques désobligeantes de ses anciens collègues hante encore la jeune journaliste. “C’était une situation traumatisante. Tout au début, ils [les collègues] me faisaient des avances. Ensuite, ils insèrent, comme propositions, des rapports sexuels au fil des conversations”, raconte Johanne en soulignant qu’elle désapprouve, à chaque occasion, les comportements sexistes de ses collègues. Mais, il n’en reste pas moins qu’ils persistent en essayant de la rabaisser, avoue- t-elle. ” Malgré les refus catégoriques, ils insistaient tout en faisant recours à des commentaires dégradants “.
Entourée de prédateurs sexuels, Johanne était malheureuse de voir se briser ses rapports avec ses collègues journalistes. Tout cela à cause de leur convoitise, leur désir sans scrupuledépassanttoutesles limites des relations humaines et professionnelles. Dans ces circonstances, la capacité productive de la journaliste était affectée par les pressions d’un environnement qui refusait de voir ses capacités et ses objectifs à percer dans le métier. Elle était terrifiée. ” Le plus terrible, c’est d’avoir été la seule femme de l’équipe. J’étais en constante situation d’insécurité. Si l’un des hommes voulait m’agresser physiquement, je savais que je ne pouvais pas compter sur les autres pour me défendre. Ils pouvaient s’unir pour me violer “, se plaint-elle, expliquant que cette expérience troublante l’a poussée à prendre une pause sur ses activités en tant que journaliste.
Le corps d’abord et s’il y a lieu, la compétence ensuite…
Nouvelles ou expérimentées, les travailleuses de la presse sont souvent perçues comme desobjetssexuelsàencroire Sarah***.
Cette trentenaire a connu l’assaut de ses collaborateurs et celui de son directeur. Les remarques sur son corps abondent. ” On faisait souvent référence à des parties de mon corps. Je ne saurais rapporter les propos vu la vulgarité employée “, confie-t- elle. Cette pratique qui gagne du terrain dans le pays est en train de se généraliser danslapresse.C’estdumoins,l’avisde l’ancien patron de Radiotélévision nationale d’Haïti (RTNH), Pradel Henriquez.
Selon Henriquez, le harcèlement sexuel est présent partout dans la presse haïtienne. Il avoue avoir rencontré ce type de violence, qui est classé dans les violences basées sur le genre (VBG) au cours de ses expériences comme patron de médias qui étaient hautement consommés par la population haïtienne à cette époque. ” La télévision est le milieu où il y a beaucoup plus de chantage à l’endroit des femmes “, lâche-t-il sans langue de bois. Henriquez apprend de ses dix ans d’expérience comme directeur de la RTNH et de Télémax que la télévision est un paysage avéré de corruption et d’exploitation sexuelle. Selon lui, le département de la production remporte le prix. ” La femme veut toujours paraitre belle à la télévision, avec la caméra, le maquillage. Voilà où commence le chantage “, regrette ce journaliste qui deviendra ministre de la Culture et de la Communication.
Connaissant le terrain, il en veut pour preuve que dans les médias, les stagiaires sont beaucoup plus victimes de harcèlements. Chantages, fausses promesses, l’arsenal des agresseurs semble toujours répondre. ” Le rêve de la stagiaire est de faire son stage et être embauchée après. Souvent les harceleurs font croire aux stagiaires qu’ils peuvent les embaucher “, soutient-il. L’ancien directeur raconte que durant son passage à la RTNH, un directeur technique a exercé des pressions sur une stagiaire, la demandant de l’accompagner sur le terrain alors qu’il devait aller vérifier les antennes. Selon lui, c’était contraire aux règlements qu’une personne aille sur le terrain sans qu’elle ne fasse pas partie du staff technique de la télévision. Pourtant, ce directeur technique a menacé de mettre fin aux expériences de la stagiaire si elle n’accepte pas sa proposition.
En dépit de ces manquements, l’ancien ministre souligne qu’il existe des lois sur la fonction publique qui protègent les employés.es contre ces formes de violences. Ce qui semble différent dans le secteur privé. De là, il pense que le harcèlement sexuel et moral est beaucoup plus répandu dans les médias privés. Au cours de son parcours en tant que directeur de médias, Henriquez a dénombré plusieurs cas, que ce soit, au niveau de l’administration et de la production qui est plus marquante.
Fabiola Fanfan
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