Lors de l’installation du ministre de la Santé publique, Dr Duckenson Lorthé Blema, le 20 novembre dernier, il était indéniable de constater que les défis qui l’attendaient étaient de taille. Ce jour-là, dans son nouveau rôle, il s’était dit conscient devant ce « désastre humanitaire, politique et écologique et socio-économique qui menace la nation haïtienne dans ses fondements profonds. » 35 jours plus tard, nous faisons un arrêt sur cette citation comme on l’aurait pu le faire sur une image.
Avec la montée de la violence en Haïti, – le phénomène des territoires perdus, la communauté d’agglomération regroupant quelques quartiers et quelques voies de la circulation de la zone métropolitaine et axes routiers – Port-au-Prince est visiblement réduit à une peau de chagrin sur notre carte géographique. Ces facteurs-là, aussi visibles que le nez et la bouche en plein visage, sont des déterminants avant toute prise de décision. Ces facteurs influents, sans être nécessairement des causes directes du problème, ont été les grains de sable qui ont torpillé cette cérémonie qui devait célébrer la santé, la vie.
La réouverture de l’Hôpital général, le plus grand centre hospitalier du pays, s’inscrit dans la politique du ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP). En ce sens, à l’installation du ministre de la Santé, Duckenson Lorthe Blema, le 20 novembre dernier, il savait d’ores et déjà les défis qui l’attendaient. La réouverture de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) est l’un des défis majeurs à relever ; même situation complexe pour laquelle n’émerge aucune solution pour d’autres structures sanitaires qui ont fermé leurs portes.
Les obligations de l’État
Nous savons tous qu’il est essentiel de pouvoir se soigner. Tout comme il est prioritaire de se prémunir contre le risque de maladie. « Atansyon pa kapon ». Pour l’épanouissement de la vie dans le bien-être, un système de santé efficace s’avère nécessaire dans une agglomération, ou encore dans tous les coins et recoins où la vie est présente.
Pour concrétiser le droit à la santé, il incombe à l’État trois obligations, selon l’Organisation mondiale de la santé : « Ne pas entraver l’exercice du droit à la santé » ; « Garantir qu’aucun tiers (acteurs non étatiques) ne fasse obstacle à l’exercice du droit à la santé », « prendre des mesures positives pour assurer la réalisation du droit à la santé. »
Mais quand des bandits lourdement armés, embusqués dans les parages de l’HUEH, ont tiré sur tout ce qui bougeait, tout le plan comportant des effets bénéfiques, pour le plus grand bien-être de la population, a volé en éclats. En semant la mort dans les rangs des journalistes et des policiers, les bandits ont ravi le plus beau cadeau de Noël que le MSPP voulait offrir à une population brisée, désaxée, à genoux qui a besoin de ce service public.
Drame de sang
Mais ne fallait-il pas aussi tenir compte de l’intolérance des gangs ?
Il n’est un secret pour personne : ce que disent les gangs, ils le font. La cérémonie de réouverture de l’Hôpital général a viré en un drame de sang. Trois morts : deux journalistes (Markenzy Nathou et Jimmy Jean), un policier (Daniel Renaud) et huit journalistes blessés (Pétion Robens, Réginald Baltazar, Miracle Vélondie, Florise Deronvil, Jean-Jack Aspèges, Jocelyn Justin, Rosemond Vernet et Arnord Junior Pierre). Cette tragédie touche la population et impacte directement le droit à la santé qui fait partie des droits humains inaliénables qui incluent le droit à la vie et à la liberté.
Pour la justice autant que pour la santé, le tableau est le même en Haïti. Le service public de la justice est remplacé par la vengeance populaire. Le citoyen, en tant que sujet de droit, n’a pas confiance dans la justice de son pays. Le système qui prend corps et qui efface l’État jour après jour étend ses tentacules pour casser les reins au service de santé en Haïti. Qu’il soit public ou privé. Regardez le nombre d’hôpitaux et de centres de santé rayés de la carte sanitaire de Port-au-Prince, cœur névralgique du pays.
La cérémonie de réouverture de l’Hôpital général, à Noël, fête qui célèbre la vie, la Nativité du fils de l’Homme, dans la tradition chrétienne, a annoncé la Toussaint.
Quand le droit à la santé est menacé, à quoi la vie se résume-t-elle ? Un enfer de tourments, une liste de maladies en attente d’être soignées ; le stress qui nous accable du poids de la vie.
« La santé et la qualité de vie d’un peuple dépendent en grande partie de l’engagement politique des dirigeants et du comportement des individus », a écrit le Dr Alex Larsen dans Politique nationale de promotion de la santé, un document dans lequel il encourage l’adoption de comportements favorables pour réduire les inégalités face à la santé. En effet, le journalisme de santé, les ateliers de formation en Haïti et à l’étranger et les expériences de la vie ont fini par nous démontrer que la santé passe par des déterminants : comment peut-on parler de santé si les bandits encerclent la ville ? Comment peut-on parler de santé quand des hommes sans foi ni loi tuent, violent, brûlent, font la loi et annoncent sur les réseaux sociaux ce qu’ils vont faire et le font ?
En lançant l’attaque, les bandits commentaient tout feu tout flamme sur le déroulement de l’action. On assistait à la mort en direct sur nos portables.
L’espace dans lequel vit la population serait-il une scène de jeu vidéo actionné par des manettes ?
La scène macabre du mardi 24 décembre nous donne froid dans le dos. La violence des tirs, le sang, et surtout la mort annonciatrice d’une république qui se liquéfie.
Claude Bernard Sérant
serantclaudebernard@yahoo.fr
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