Ça saigne de voir comment les idées déshumanisantes peuvent enchaîner l’homme depuis la nuit des temps et le clouer dans un instant alourdi par un passé trop présent qui n’annonce pas la légèreté de l’être dans le futur.
Le 1er mars de l’année 2024 marque le dixième anniversaire de la « Journée zéro discrimination ». Et si l’on passait en revue quelques discriminations ?
Discriminer, c’est exclure, c’est dessiner des frontières pour mieux rejeter socialement. C’est le fait de traiter l’autre différemment. Et fort souvent en le considérant mal, avec mépris.
La commémoration de cette journée est un repère à l’échelle du temps qui ouvre un intervalle à saisir pour promouvoir l’inclusion sans laisser personne hors du cercle où l’on se donne la main comme dans une ronde d’enfants. C’est ce que j’ai fait, moi, personnellement lorsque j’ai rencontré le représentant Pays de l’OUNUSIDA en Haïti, le Dr Christian Mouala, au local du Réseau haïtien des journalistes de la santé (RHJS).
Il m’a dit, le médecin :« Le monde a fait de grands progrès vers l’objectif de mettre fin au SIDA en tant que menace pour la santé publique d’ici 2030. Ces progrès ont été alimentés par des avancées en matière de protection des droits de l’homme. Pourtant les lois, les politiques et les pratiques qui punissent, discriminent et stigmatisent les femmes et les filles, les populations clés et d’autres communautés marginalisées violent les droits de l’homme et entravent l’accès à la prévention, au dépistage, au traitement et aux soins en matière de VIH. »
Que faire ? La réponse du Dr Mouala ne se fait pas attendre :« Il est urgent de supprimer ces lois qui portent atteinte aux droits des personnes pour qu’elles soient remplacées par celles qui défendent les droits de chacun. Le chemin qui mène à la fin du SIDA est celui des droits. »
Si cette pathologie reste un problème majeur de santé publique à l’échelle mondiale, l’espoir est là; puisqu’il est encore possible en misant sur la politique, la finance et les recherches scientifiques pour éradiquer le sida de la planète. Quel esprit d’unité traverse tous les secteurs pour combattre un virus mortel !
Dans cette dynamique de l’unité dans la diversité et la diversité dans l’unité, pour reprendre Platon, le monde arrive à faire face à de nombreux défis. L’humanité a fait de grands progrès sur divers points. Et pourquoi, sur d’autres plans, les pays n’arrivent-ils pas à connaitre la paix ? La quiétude d’esprit, le calme dans les foyers, la sécurité dans les rues. Comment décrire la paix ? Cet état de concorde serait le vecteur d’une croissance phénoménale. On s’épanouirait dans le bien-être à l’échelle planétaire. Ce serait trop beau, la vie rêvée.
Ce rejet
Ça saigne de voir comment les idées déshumanisantes peuvent enchaîner l’homme depuis la nuit des temps et le clouer dans un instant alourdi par un passé trop présent qui n’annonce pas la légèreté de l’être dans le futur.
Ces traitements défavorables pour afficher le vrai visage de la discrimination, ils se déclinent sous des formes directes et indirectes ; sous des formes discrètes et subtiles. Ils prennent le visage du refus catégorique, de l’injonction discriminatoire. De l’abus. Du traitement illégal. Du rejet de l’autre en tant que personne.
Ça saigne, la discrimination qui empoisonne la vie. Ce rejet jette le trouble, attaque l’autre jusqu’à le faire perdre l’estime de soi. L’exclusion sociale ruine l’être. Et ce regard noir de haine, il écrase et détruit celui qui n’a pas les ressources mentales pour regarder son vis-à-vis à hauteur d’homme.
Dans un monde troublé où toutes les valeurs se perdent dans l’intérêt, la vie ne s’accroche à plus rien, elle s’enlise dans le sable du désespoir.
Vers qui se tourner ?
Frères humains, nous portons en nous, à la fois, la lumière et les ténèbres.
Nous sommes capables de nous réarmer mentalement pour faciliter l’avènement d’une société plus juste, plus stable. Dans l’idéal, nous pouvons viser plus haut. Pourquoi ne pas travailler à l’avènement d’une société prospère et épanouie dans l’esprit du droit. Des droits fondés sur la dignité de toute personne. «Tout moun se moun. » Comment faire entrer ce concept dans l’esprit malade de préjugés qui remontent au Code noir, ordonnance royale de Louis XIV ou Édit royal de mars 1685 offrant un cadre juridique qui assoit l’exercice de l’esclavage dans les Antilles, notamment, Haïti.
Malgré toutes les avancées de l’humanité, les descendants des esclaves sont ceux-là même qui affichent un réel mépris pour leur peuple. C’est dans les faits, non pas seulement dans les discours que ce mépris nous explose à la figure. La haine de celles et de ceux qui n’ont pas « le courage d’être » porte atteinte à la dignité de l’autre. L’homme est un être subjectif. Cette intersubjectivité fait que votre comportement discriminatoire à mon égard rejaillit sur vous. En me dégradant, vous vous dégradez. Cette dégradation a des répercussions dans notre écosystème et sur notre environnement qui devient un lieu de tourments.
Tout homme qui n’a pas conscience, pleinement conscience d’où il vient ? de son histoire s’illusionne et se ment à lui-même.
La question à se poser aujourd’hui : s’élever au plus haut sommet de l’État n’est-il pas soluble dans la construction d’une société plus humaine ?
Si le droit gouvernait nos rapports et dans un respect assuré par une autorité publique responsable qui fait de la loi sa boussole, ça nous rendrait plus humain.
Une pensée pour tous ceux qui se sentent écrasés
À l’occasion de la Journée mondiale de la discrimination, ayons une pensée pour tous ceux-là qui se sentent écrasés par le poids de l’existence et sont fatigués de subir depuis la nuit des temps les préjugés de toutes sortes.
Aujourd’hui plus que jamais Haïti a mauvaise presse dans le monde et l’Haïtien subit des préjugés partout où il pose ses pas. Les préjugés de couleur, pour les cheveux jugés trop crépus, pour le nez épaté ; les préjugés de quartier ; les préjugés de langue.
Toujours un prétexte pour exclure, pour rabaisser l’autre
Une personne est discriminée pour son handicap ; Telle autre est vouée aux gémonies pour son choix sexuel. Les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, queer et/ou intersexués (LGBTQI) sont stigmatisés. Les personnes vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine n’en finissent pas de mener une lutte pour que, dans les milieux hospitaliers même, on accepte de les soigner comme tous les patients souffrant d’une pathologie.
La Bible des chrétiens est souvent brandie en plein sermon, sur les chaires d’église, pour faire comprendre à la minorité visible des LGBTQI qu’elles sont des enfants du diable.
Ces préjugés sont assez souvent le fruit fictions, de mythes, de croyances, de stéréotypes, de clichés qui ont la vie dure. Nous pouvons les surmonter.
Introspection
À l’occasion du 10e anniversaire de la Journée zéro discrimination, faisons notre introspection. En d’autres mots, regardons-nous à l’intérieur pour essayer de comprendre le pourquoi de nos motivations, des sentiments qui nous animent autant que d’innombrables hommes et femmes dans les temps anciens.
Cet héritage-là pèse de tout son poids millénaire dans notre brève vie de mortel. Un tel patrimoine immatériel riche en préjugés a construit nos sociétés selon le principe que certains individus ont plus de droits que d’autres. À tel point qu’ils ne reconnaissent pas les droits fondamentaux de l’Homme qui s’attachent à toute personne en sa qualité d’être humain.
Il est lourd le passé qui passe dans notre présent qui s’installe pour mieux se conjuguer dans notre futur.
Il y a de ces préjugés qui font le lit dans notre esprit de tous les ramassis de pathologies qui empoisonnent la société. Pour ne pas remonter trop loin, dans les années 90, chez nous, en Haïti, on taxait les enfants des rues et nos populations vulnérables de kokorat. Rappelons au passage que le kokorat est un insecte qui fouille dans les ordures pour se nourrir.
Il y a un tel mépris pour ce peuple enfoncé dans la misère que la politique devient, comme à l’ordinaire, dans ce pays, une arme fatale pour détruire l’autre : la grande majorité qui rappelle trop à nos hommes et femmes de pouvoir leurs origines.
Ces attitudes, ces modes de comportement sont tout simplement l’ethos de ces personnes. Se défaire de tout ce qui nous habite et qui a fini par nous construire n’est pas facile à reformater dans une version de nouvelle manière d’être.
Malgré ces préjugés coriaces, il est temps de s’élever, de prêter l’oreille à l’autre qui est aussi nous, frères humains, passagers du temps, mortels de la terre. Considérez tous les préjugés amplement en mouvement dans nos pensées, nos actions, nos œuvres intellectuelles qui rabaissent l’homme comme des pathologies de la culture à déconstruire, à remettre en question avec une conscience aiguë qui ne perd pas de vue l’horizon des droits humains inaliénables.
Pour faire société, invitons-nous à tirer des leçons des expériences qui nous ont marqués. C’est ainsi qu’on entrera dans la logique de la Journée zéro discrimination en 2024.
Claude Bernard Sérant
Reportage photos
Discussion à propos de post