Par Esperancia Jean Noël
Durant deux mois, octobre et novembre 2022, dans le cadre du projet Rooted in Trust (RiT), l’Institut Panos Caraïbes de concert avec Internews et le Cercle de réflexion sur le développement économique (CRDE), communément appelé Policité ont mené une enquête dans quatre départements du pays : l’Ouest, le Nord, le Sud et les Nippes. Cette étude titrée « Évaluation de l’écosystème d’information (IEA)- Haïti » avait pour objectif d’examiner les questions ayant rapport à l’accès, la diffusion et la fiabilité des informations liées au coronavirus et la résurgence du choléra et aussi de tester la valeur et la confiance accordées à ces informations. Une telle étude a permis d’asseoir les preuves que les rumeurs et la mésinformation constituent deux obstacles majeurs à la lutte contre le choléra en Haïti.
Le choléra et les rumeurs
Selon les données fournies par l’enquête, une rumeur est définie comme étant une nouvelle qui peut être avérée vraie ou fausse parce que la véracité des faits n’est pas établie. L’incertitude qui règne par rapport à sa fiabilité exige qu’on doit éviter de la partager pour empêcher toutes conséquences négatives sur la population en général.
Le bacille vibrio cholerea est entaché de rumeurs parmi les plus connues, on soulignera ces clichés: «Les gens peuvent attraper le choléra lors des rapports sexuels ; le choléra n’existe pas dans tous les cas ; il existe aussi des expéditions sous forme de choléra ; le choléra est une maladie mystique ; le choléra ne tue pas ; le choléra est de la politique», indique l’étude tout en tenant compte que « ces exemples sont un indicateur de la présence de rumeurs dangereuses et néfastes sur l’épidémie de choléra dans l’écosystème d’information. Nous n’avons certes pas mesuré leur prévalence dans tout l’écosystème avec cette étude, mais si elles se propagent, elles peuvent aggraver ce problème de santé publique qui a fait plus de 10 000 morts entre 2010 et 2019 ».
Ces rumeurs proviennent de diverses sphères. La crise socio-économique qui perdure dans le pays depuis quelques années, la mauvaise gouvernance, l’intrusion de l’étranger dans les affaires nationales, la méconnaissance de la maladie et les croyances mystiques, ont des répercussions dans la prolifération des rumeurs liées à l’épidémie du choléra.
Que disent les chiffres ?
En se basant sur les mesures « parfois » et « toujours » du questionnaire, 48 % des questionnés confirment avoir relevé des rumeurs et s’en inquiètent. A l’opposé, 37,4 % avouent ne pas accorder trop grande importance aux différentes rumeurs liées à cette pathologie. 12,9 % des répondants disent « toujours » être inquiétés face à la montée de ces rumeurs dans leur département alors que 22,2 % ne s’en inquiètent « pas du tout ».Ces résultats prouvent clairement qu’il existe un double problème: d’un côté une forte présence de rumeurs peut entraver l’écosystème d’information et de l’autre côté un manque d’intérêt vis-à-vis de ces rumeurs peut également l’affecter.
L’étude montre que la politique contribue à la propagation des rumeurs liées à la bactérie du choléra. La méfiance existant entre les hommes politiques et les citoyens haïtiens depuis ces dix dernières années, le manque des services publics et l’Etat des institutions le démontre. « 17 % des personnes interrogées pensent que le choléra est de la politique utilisée pour détourner l’attention de la population et 18,1 % pensent que la résurgence des cas de choléra est une farce destinée à légitimer la présence future d’une force militaire étrangère dans le pays. » lit-on dans cette étude.
Les mouvements de protestations des différents secteurs de la vie nationale enregistrés au cours de l’année 2022 contre la corruption sont aussi des indicateurs de rumeurs. « 19.9% des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête quantitative croient que la résurgence du choléra est un complot ourdi par l’Organisation des Nations Unies (ONU) de concert avec le gouvernement haïtien afin de contenir des mouvements de foule qui pourraient émerger spontanément à travers le pays. »
Les croyances vodouesques se sont aussi mêlées de la partie. Il y a certains croyants qui associent des signes et des symptômes liés à une certaine maladie à des attaques mystiques. « Avec la réapparition du choléra, 63,7 % des répondants pensent que certains cas ressemblent au choléra mais seraient en réalité le produit d’attaques mystiques présentant des symptômes similaires au choléra », révèle l’étude.
La somme de ces rumeurs peut être considérée comme le commencement de la mésinformation à l’échelle d’un écosystème quand leurs diffusions s’opèrent de manière rapide dans ses différents canaux.
Qu’en est-il de la mésinformation ?
Dans une recherche effectuée par Internews en 2020, les personnes interviewées au cours de cette enquête n’avaient pas la capacité de distinguer une mésinformation d’une désinformation. Toutefois, dans cette nouvelle enquête les réalisateurs ont voulu être certains que les personnes interrogées étaient sûres de pouvoir distinguer une information juste d’une information erronée. Selon les chiffres, seulement 8,2 % des répondants étaient sûrs de ‘’toujours’’ pouvoir distinguer une information juste d’une fausse. 55,6 % des personnes interrogées étaient sûres de ‘’parfois’’ pouvoir faire la différence entre une information juste et une information fausse. 9,4 % étaient sûrs de ne ‘’pas du tout’’ pouvoir faire cette différence », précise la recherche. « Ces données indiquent que le terrain est fertile pour la multiplication des rumeurs et la propagation de fausses informations.»
Face à toutes ces difficultés, quelles mesures peuvent être prises pour freiner la propagation des rumeurs liées au choléra dans le pays afin de permettre à la population d’avoir de bonnes informations relatives à cette pathologie ?
Esperancia Jean Noël
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