Vaccinés à la dernière minute

Ce mercredi, Marie André, d’une quarantaine d’années, vient à la Direction sanitaire de l’Ouest (DSO) du ministère de la Santé publique pour se faire vacciner. Demain matin de très tôt, elle doit se rendre à l’Aéroport International Toussaint Louverture Maïs Gâté pour un voyage d’études en Belgique, un pays de l’Europe.

Marie André est en sueur. Elle demande à moi, une habituée qui a souvent mené des proches et des collègues pour se faire administrer le vaccin anti-covid 19 à la DSO où elle pourrait trouver une vaccinatrice.

Je me trouve sur les lieux pour le périodique Byennèt qui doit boucler le numéro consacré à la vaccination contre la covid-19.

Il est deux heures de l’après-midi, le personnel a déjà plié bagages. Les rues ne sont pas sûres. Tout le monde a hâte de rentrer à la maison. Je désigne à la dame, dont le corsage trempé et le visage ruisselant révèlent qu’elle a marché à pied pour venir à la DSO, un long couloir.

À peine a-t-elle grimpé les marches d’un escalier qu’une infirmière lui dit : ” Écoutez, madame. On a terminé pour aujourd’hui. ” Marie André la supplie : ” Je dois partir demain, s’il vous plait, j’ai besoin de la carte vaccinale. ”

L’infirmière n’a pas résisté à sa supplication. Elle lui soumet une feuille. La dame la remplit prestement.

La salle de réception est déserte. Aucun bruit d’automobiles, nulle pétarade de moto ne parvient à mes oreilles. Je profite de l’occasion pour demander à la vaccinatrice combien de personnes, pour cette journée, ont reçu leur dose ? ” Aujourd’hui j’ai vacciné 64 personnes “, dit-elle fièrement. Pendant que Marie André remplit le dossier, un jeune homme s’amène pour le même motif.

” Mis, sove m! Samedi je pars à Nassau. On me dit que je dois prendre le vaccin. Pourriez-vous me donner deux doses sur place ? ”

L’infirmière lui dit qu’elle a Pfizer pour le moment. Pfizer ne fait pas l’équivalent de deux doses. Alors l’homme annonce qu’elle se rendra illico au Laboratoir nationale à Delmas 33.

” Pour rien au monde, je ne raterai ce voyage “, dit-il haut et fort dans la salle de réception.

Ce jeune homme, tout d’un coup, m’intéresse autant que Marie André. Et comme il allait s’en aller, je le prends à part, lui demandant de se décliner, son nom, son adresse, ce qu’il fait dans la vie. Réflexe de reporter, je l’entraîne sur la cour pour mieux m’entretenir avec lui. Pourquoi, Énel, tiens-tu à prendre deux doses ? ” C’est ce qu’on m’a dit pour entrer à Nassau “, admet-il. Mais pourquoi avoir pris tout ce temps pour venir à la Direction sanitaire ? Sa réponse coule naturellement : ” J’ai entendu à la radio tout ce qu’on a dit sur le vaccin. Mais j’avais peur. Il y a tellement de choses que l’on raconte. Et surtout sur les réseaux sociaux. Je veux être sincère avec vous. Je prends le vaccin parce que c’est une obligation. Jodia pa gen wout pa bwa. Le vaccin ou rester en Haïti. J’ai une femme, un enfant. Je veux aller travailler. Je veux me refaire une vie ailleurs. ”

Peu de temps après, j’aborde Marie André. Elle me montre son carnet vaccinal dans lequel est inscrite sa première dose. Pourquoi, à la dernière minute ? ” J’ai pris des vaccins quand j’étais enfant. La vue même d’une aiguille me fait peur. Mais on ne rate pas une bourse d’étude en Europe pour une question de vaccin “, dit la dame qui se fend d’un sourire avant de me laisser sur la cour de la DSO.

Wooselande Isnardin

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