Discours du supérieur provincial, frère Augustin Nelson

Célébration du bicentenaire de la fondation de l’institut des frères du Sacré-Cœur

Excellence, Mgr. Pierre André Dumas, Évêque des Nippes

Célébrant principal  de la cérémonie de ce jour

Révérends pères Concélébrant

Chers confrères et consœurs dans la vie religieuse

Mesdames et messieurs les invités,

Frères et sœurs bien-aimés

 

L’assistance à la chapelle du collège Canado-haïtien

Je souhaite tout d’abord m’unir à l’action de grâce des frères du Sacré-Cœur répartis dans 33 pays à travers le monde. Si nous sommes ici rassemblés ce matin dans la prière les 200 ans de fondation de notre institut, c’est par une grâce et une bénédiction toute particulière du Seigneur. Depuis toute éternité nous sommes dans le cœur de Dieu.

La célébration des 200 ans de fondation de l’institut est une occasion de  revisiter notre histoire pour mieux nous en imprégner et aussi mais surtout pour nous tourner vers l’avenir. Au sein de la province d’Haïti, nous sommes appelés à semer l’espérance au cœur d’une profonde crise sociopolitique, d’une pandémie inquiétante et d’une la crise du lien social.

L’Évêque des Nippes, Pierre André Dumas

Ce contexte nous oblige à faire une relecture de nos réalités délicates et transformatrices. Car ce qui compte c’est la vie de Dieu en nous et non les hauts et les bas de nos émotions, de notre santé et de nos fragilités.

L’article 100 de notre Règle de vie nous renvoie à l’Esprit Saint : « Viens, Esprit Saint, tu nous révèles tes intentions lorsque nous cherchons à les discerner. Transforme et traduis au Père la vie inexprimée de nos cœurs et aide-nous à accueillir sa volonté alors qu’elle se manifeste dans les événements et les incohérences de notre vie commune ».

Ce contexte difficile dans lequel nous évoluons nous commande de mettre en application la méthodologie classique des prophètes comme Isaïe, Jean-Baptiste et Jésus pour réinventer la vie religieuse du futur. Comme l’a exprimé le frère Bernard Couvillion dans une conférence aux frères de la province du Canada, l’approche prophétique comporte deux mouvements.

Premièrement, le prophète met en scène sa critique du mal ou de l’injustice qui nuit au peuple élu. Cependant, il ne s’arrête pas à la dénonciation de ce qui est nuisible. Les prophètes passent rapidement au second mouvement : imaginer un plan audacieux qui conduit à des décisions porteuses de vie.

Dans la relecture de notre parcours comme institut, nous ne saurions ne pas inclure un élément d’autocritique et surtout concentrer notre énergie à imaginer une réponse qui produit la vie.

Sur cette lancée, nous pouvons nous inspirer de Jésus, notre modèle par excellence. Ses disciples, qui adhèrent aux lois de la pureté, empêchent les enfants de s’approcher de lui. Les enfants sont impurs à cause de leur contact intime avec les femmes. Jésus, contrairement aux autres rabbins, dénonce ses propres disciples. Son imagination prophétique de la dignité des enfants est rapide: « C’est à ces enfants qu’appartient le Royaume de Dieu. » Puis, il fait quelque chose d’inconcevable : il les embrasse, eux, et leur impureté.

Le père Coindre a également fait sienne cette méthodologie. Il commence par dénoncer les conditions abusives des garçons dans les prisons, puis imagine une solution : créer un sanctuaire où ils pourraient vivre en sécurité. Son imagination l’inspire à acheter une usine de fabrication de la soie.

Trois ans après, lorsqu’une crise éclate aux Pieux-Secours, son imagination s’emballe encore une fois. Nous en avons pour témoignage le rapport rédigé par le secrétaire du conseil des patrons. Je vais en lire un extrait tiré de leur livre de procès-verbaux et cité par Bernard Couvillion :

« Dans le courant de l’année 1821, le père Coindre vit dans l’organisation du Pieux-Secours un défaut qui menaçait la nature même de l’établissement. Les ateliers étaient dirigés par des contremaîtres dont quelques-uns n’étaient pas attachés au travail par un autre lien que celui de l’intérêt personnel. Peu disposés à se soumettre aux règles de discipline imposées aux élèves, ils faisaient craindre à la fois l’insuffisance de l’instruction et la contagion de leur mauvais exemple.

Le père Coindre a cherché des ouvriers habiles et vertueux disposés à consacrer leur vie à l’éducation de nos jeunes élèves. Il chercha des maîtres dont le zèle ne serait pas rebuté par les dégoûts de toutes sortes que la profession d’instituteur, la plus pénible de toutes, leur offrait en perspective. Enfin, il conçut la fondation d’une congrégation de frères laïcs soumis à une règle austère. Leurs privations continuelles ne semblaient que renforcer la voie difficile qu’ils commençaient à suivre. Le prix de leurs travaux ne pouvait être payé que par Dieu ; un tel dévouement et de telles vertus ne peuvent être inspirés que par la religion. C’est à la religion que le père Coindre eut recours ».

Sans l’imagination prophétique d’André Coindre, notre institut n’aurait pas été fondé. Son audace montre clairement que l’imagination prophétique va à l’encontre du statu quo et d’intérêt personnel. Elle ose voir grand et n’a pas peur d’exiger des sacrifices ou de faire confiance au pouvoir de la prière.

Je souhaite vivement qu’au cours de notre relecture, nous nous  lancions dans le genre d’imagination prophétique dont André Coindre a été le modèle.

Dans les années cinquante, le frère Louis-Régis Ross a fait une synthèse pour répondre à la question : « Les frères du Sacré-Cœur ont-ils une pédagogie ? » Voici sa conclusion : Le respect de l’enfant est la norme de notre pédagogie. Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir notre règle et de compter le nombre de fois où le mot respect y est employé. Il est dit que chaque enfant est un membre de Jésus-Christ, un temple de l’Esprit Saint, une charge sacrée. Le frère Ross ajoute que c’est surtout dans la correction que notre respect de l’enfant atteint son apogée : l’enfant coupable a « droit à sa réputation » et « Nous leur parlons toujours raisonnablement. »

Grâce à la générosité et à l’audace des frères Canadiens, la congrégation s’est implantée en Haïti depuis 1943. Les six premiers frères se sont mobilisés pour déployer leur génie, leur formation spirituelle et le sens de la vie fraternelle au service de la mission haïtienne. Leur souffrance, leur abnégation et leur détermination ressemblent à ce qu’ont vécu André Coindre et le Seigneur lui-même face aux épreuves insurmontables par le seul effort humain.

Notre relecture devrait nous amener à chercher avec sincérité le Seigneur, à travailler à rendre plus fécond le charisme qui nous est confié. Cette démarche nous révèlera le vrai sens du vivre en frères en Haïti actuellement pour une plus grande fraternité dans le Royaume de Dieu.

Frères et sœurs, votre présence ici traduit votre encouragement à l’endroit des Frères du Sacré-Cœur. Je remercie d’une manière spéciale le président de cette célébration, Mgr Pierre André Dumas, qui a accepté de bon gré et avec joie  de partager ce moment inoubliable avec nous.

Merci à vous tous qui avez contribué à faire de cette belle célébration eucharistique une source jaillissante de grâce où chacun joue sa partition à la perfection : le comité d’organisation présidé par F. Junior, les membres du conseil provincial, maitre de cérémonie, les animateurs et lecteurs, merci à ceux aussi n’ayant pas pu être présent physiquement, l’ont été bien de cœur et d’esprit à travers la prière ou un petit mot de circonstance.

Je termine en vous invitant à prier les uns pour les autres, non pas pour ne jamais faiblir, mais pour pouvoir reconnaître et apprendre de nos erreurs; non pas pour ne pas tomber, mais pour pouvoir toujours nous relever et nous fortifier après chaque chute.

Chers confrères, la mission que le Seigneur nous confie peut sembler lourde à certains jours. Nous savons que le Seigneur a promis d’être notre compagnon de route et de nous soutenir de la force de son Esprit. Celui qui nous dit : « Je compte sur vous » nous dit aussi « Vous pouvez compter sur moi. Courage, j’ai vaincu le monde ! » (cf. Jn 16, 33).

Alors, comme le Père Coindre, je nous dis : courage et confiance.

Je vous remercie

Frère Augustin Nelson

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