Vers une nouvelle politique nationale de recherche en santé en Haïti

Cérémonie officielle de lancement

« Une nouvelle culture de la recherche doit s’instaurer dans le secteur haïtien de la santé. Les principaux concernés doivent être désormais à l’avant-garde de la recherche dont les résultats doivent être vulgarisés, archivés précieusement et plus spécialement inspirer les politiques, les stratégies afin d’améliorer  nos principaux  indicateurs en santé et par conséquent le bien-être de la population haïtienne », a déclaré solennellement la ministre de la Santé publique, le Dr Marie Gréta Roy Clément, le mardi 21 janvier 2020, à la cérémonie officielle de lancement de la politique nationale de recherche en santé en Haïti.

Devant un parterre de distingués invités, Dr Roy  a fait observer que les « questions relatives à l’efficience de nos stratégies, à la couverture sanitaire, à l’équité en santé, à l’évolution et la distribution des maladies, des épidémies, à la survenue de phénomènes anormaux doivent faire incessamment l’objet de nos préoccupations et de nos recherches. »

Une telle démarche, selon elle, « doit nécessairement servir à améliorer l’existant grâce à une réelle appropriation des résultats. » Aussi a-t-elle encouragé la Direction de l’Épidémiologie, des Laboratoires et de la Recherche (DELR), ainsi que les autres directions et unités du ministère concernées, « à mettre en œuvre les axes stratégiques identifiés dans la présente Politique » Dans une telle perspective, au début de cette nouvelle année, le numéro un du MSPP a formulé « le vœu que nos chercheurs et chercheuses, nos étudiants, nos diplômé(e)s,  nos professionnels de santé, l’université dans son intégralité, les différents secteurs concernés par la santé s’adonnent à cœur joie à la recherche et que nos décideurs, nos gestionnaires s’appliquent à mieux articuler leurs interventions en s’inspirant des résultats de ces recherches, ce pour le progrès du système de santé haïtien et l’amélioration continue de la santé de la population Haïtienne. »

Le directeur de la Direction de l’Epidémiologie des Laboratoires et de recherche, le Dr Patrick Dély, chargé de présenté au public « La Politique Nationale de Recherche en Santé en Haïti », a défini ce travail intellectuel qui a mobilisé les différents acteurs de la recherche en santé comme un « document de référence qui définit un cadre de recherche qui permettra au MSPP à partir des données probantes, d’améliorer la qualité et l’équité des services et la santé de la population haïtienne. » Oeuvre d’une étroite collaboration du Ministère de la Santé Publique et les acteurs de la recherche en Haïti dans le cadre du projet SPHaïtiLAB appuyé financièrement par l’Union européenne et la Fondation Mérieux, ce  document a pour mission de réguler la mise en œuvre de la recherche en santé en respectant les normes éthiques, basée sur les besoins et générant des informations factuelles permettant la prévention, le maintien et le rétablissement de la santé par des services de qualité, équitables, adaptés au contexte haïtien pour le développement durable du pays

Quel est l’état des lieux de la recherche en santé en Haïti ?

Sur grand écran, Dr Patrick Dély expose la Politique Nationale de Recherche en Santé en Haïti. Il inventorie : « A nos jours, il existe deux textes légaux sur la recherche dans le domaine de la santé en Haïti : l’Arrêté ministériel de création du Comité National de Bioéthique (1999) » et le Décret portant sur l’organisation du MSPP (2005) et la création de la Direction d’Epidémiologie des Laboratoires et de la Recherche. » Aussi a-t-il pris le soin de souligner que les institutions menant de la recherche en santé en Haïti peuvent être classées en plusieurs catégories : la DELR à travers le Programme de formation en épidémiologie de terrain (FETP) ; les Universités publiques et privées haïtiennes, notamment l’UEH, l’UNDH, l’Université Quisqueya et l’Université Lumière ; les hôpitaux/centres de recherche, de formation et de soins haïtiens. Pour illustrer : les centres GHESKIO, la Fondation haïtienne de diabète et de maladies cardiovasculaires (FAHDIMAC), l’Hôpital Saint Damien et autres ; les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et les centres de recherche internationaux : CDC-USA, Zamni Lasanté/PIH, I-TECH, INURED, Innovating Health International et Université de Floride.

Analyse ses forces, faiblesses, opportunités et menaces

Pour bien mener cet état des lieux, une analyse des forces, des faiblesses et des opportunités et menaces s’est avérée importante. Dans cette perspective, Dr Dély a fait observer qu’un questionnaire d’enquête comprenant dix questions a été partagé en ligne, avec certains représentants d’institutions impliqués dans la recherche en Haïti afin d’analyser les forces, faiblesses, opportunités et menaces relatives à la recherche en Haïti dans le domaine de la santé.

Combien de participants ont-ils pris part à cette enquête ?

Dans l’ensemble, a précisé Dr Dély,18 participants représentant 13 institutions ont répondu au questionnaire : les centres GHESKIO, Zanmi Lasanté/PIH (ZL), Université Lumière (ULUM), Université Notre Dame d’Haïti (UNDH), Université d’Etat d’Haïti (UEH), Université Quisqueya (UNIQ), Université de Floride (UF), Innovating Health International (IHI), International Training and Education Center for Health (I-TECH), Institut Universitaire de Recherche et de Développement (INURED), les Centres de Prévention et de Contrôle des Maladies (CDC), Hôpital St Damien (HSD), Humanité et Inclusion (HI).

S’appuyant sur les statistiques, il expose les chiffres : « La majorité des répondants font de la recherche opérationnelle (33%), suivie de la recherche clinique (28%), recherche appliquée (22%), recherche fondamentale (6%) et autres (11%). Le champ d’intérêt des chercheurs a été reparti de la manière suivante : les maladies infectieuses (83%), les maladies non-transmissibles (72%), les traumatismes (22%), les phénomènes inhabituels (28%) et autre (40%). Chaque institution pouvait avoir plusieurs champs d’intérêt. Les participants ont identifié comme principaux obstacles à la recherche en Haïti : la carence en ressources humaines (72%), l’absence d’une politique nationale de recherche (72%), l’absence d’un guide national de recherche (56%), l’absence d’un cadre juridico-légal de recherche (33.5%) et autres (61%). Les questions de l’analyse FFOM étaient composées par des questions ouvertes. »

Quelles opportunités ?

En dépit des problèmes auxquels fait face Haïti, les opportunités ne manquent pas. Dr Dély fait défiler quelques données qui profilent l’espoir : « Augmentation du nombre de cadres de retour de formation ; augmentation du nombre d’institutions offrant une formation en maitrise ; beaucoup de champs d’interventions inexplorés et en attente d’être investigués ; intérêt de la communauté internationale et spécificité du contexte haïtien (originalité des problématiques haïtiennes) ; possibilité de partenariat avec des institutions internationales mondialement reconnues ; intérêt des partenaires et du MSPP dans la recherche ; renforcement des partenariats Sud-Sud ; proximité avec l’Amérique du Nord et opportunités de partenariat. »

Quelles sont les faiblesses inventoriées ?

À côté de la lumière, plusieurs données portent des ombres dans le champ de la recherche qui sollicite une attention accrue. Tout un ensemble de faiblesses sont relevées : banque de données existante, mais pas suffisamment exploitée ; manque d’accès aux articles des revues scientifiques et aux données disponibles ; opportunités limitées pour la diffusion des résultats de recherche au niveau national. Très peu de revues scientifiques à comité de lecture ; faible communication interministérielle et diffusion des résultats de recherche ; faiblesse dans l’utilisation des connaissances issues de la recherche par les décideurs ; absence d’un système national de recherche établi ; absence d’un guide national de recherche ; absence d’une politique nationale de recherche ; absence d’un cadre juridico-légal de recherche ; processus d’approbation de l’éthique de recherche trop long due à l’absence d’un 
système électronique ; absence d’agenda national de recherche ; absence de coordination et de suivi des activités de recherche par une entité nationale ; manque d’implication des universités et des institutions de formation ; carence en ressources humaines ; absence d’un plan de carrière pour les universitaires et les chercheurs (progression, 
publications, mentorat, etc.) ; manque d’encadrement des chercheurs ; recherche non commandité par le MSPP actuellement ; faible compréhension de l’importance de la recherche par les décideurs ; non classement de la recherche parmi les domaines prioritaires du pays ; insuffisance de ressources humaines au niveau du MSPP pour gérer la recherche ; faible financement national et forte compétition pour obtenir des financements 
internationaux.

Quelles sont les menaces ?

À part les faiblesses, les menaces. Dr Dély énumère les plus emblématiques : « Manque de contrôle de la recherche par les autorités étatiques ; recherches parfois menées sans l’approbation d’un comité d’éthique ; manque de ressources humaines pour mener à bien les projets de recherche ; compétition pour les ressources financières et humaines avec les autres défis nationaux ; insuffisance de financement de la recherche ; violation des règles d’éthique ; faible rétention du personnel formé par manque d’opportunités ; fuite des ressources humaines à l’étranger ; partenariat scientifique Nord-Sud inéquitable. »

Intervention des partenaires du MSPP

Le directeur des centres GHESKIO (Groupe Haïtien d’Étude du Sarcome de Kaposi et des Infections Opportunistes), le Dr Jean-William Pape, a présenté l’impact des 38 ans de recherche de cette institution en Haïti. Il a mis l’accent sur le VIH/SIDA et la tuberculose. Aux premiers moments, dans les années 80, l’infection VIH/SIDA qui désorganisait le système immunitaire posait problème : perte de poids, diarrhée chronique inexpliquée, fièvre prolongée, etc. Le monde scientifique n’avait aucune réponse à ce syndrome d’immunodéficience acquise qui conduisait irrémédiablement à la mort. Le scientifique haïtien à qui le prix Christophe Mérieux 2010 a été attribué pour ses travaux de recherche aux côtés de ses collaborateurs qui ont permis de soulager la souffrance de plusieurs milliers de personnes, a rappelé le désaroi des chercheurs occidentaux qui ont conduit à stigmatiser les Haïtiens dans les années 80.

La cheffe de Projet international SP Haïti Lab de la Fondation Mérieux, Chloé Masetti, qui a pris la parole, au lancement officiel, a salué: « ce document qui vise à renforcer la recherche, en promouvant les principes d’éthique et de qualité pour mieux apporter des solutions aux problématiques de la santé dans le pays. » Pour elle : « c’est un outil fondamental. À travers ce document le ministère de la Santé exprime sa volonté de renforcer la culture de recherche dans le pays et de la promouvoir. »

Grâce au projet SPHaïtiLab, l’Union européenne et la Fondation Mérieux apportent leur appui financier. Dans le même cheminement de pensée, le représentant de l’Union européenne en Haïti, Aniceto Rodriguez-Ruiz, a encouragé les efforts de l’Etat haïtien talonné par le besoin de créer un environnement favorable pour la collaboration intersectorielle et parmi les parties prenantes nationales et internationales dans le cadre de cette nouvelle politique nationale de recherche en santé qui vise à promouvoir la culture de recherche de qualité selon les principes scientifiques en accord avec les normes nationales et internationales.

Claude Bernard Sérant

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