
Née Marie Marthe Balin, la directrice du Collège Canapé-Vert, plus connue sous le nom de madame Franck Paul, est venue au monde le 19 avril 1936, à Port-au-Prince, sous la présidence de Sténio Vincent, à la rue Lamarre. Elle se souvient comme si c’était hier de cette gingerbread au toit ondulé. C’est là qu’elle a poussé ses premiers cris sous le ciel bleu d’Haïti, dans cette demeure victorienne au style architectural de l’époque.
Élégante dans son tailleur, le jour de son anniversaire, les souvenirs de l’octogénaire affleurent ; mêmes ceux qu’elle avait rangés dans un coin de sa mémoire reviennent pour faire briller ses yeux. Elle se souvient de la soirée où elle est entrée dans sa maison à trois niveaux située dans le quartier du Canapé-Vert qui n’avait qu’une porte : celle de sa chambre nuptiale, au deuxième étage. Après la réception du mariage avec Franck Paul, le diplomate, le 29 septembre 1959, à l’Église Saint-Gérard de Carrefour-Feuilles, le couple est entré dans un édifice inachevé et meublé. Le salon était au premier étage ainsi que la salle à manger. La clôture qui entourait la propriété – à la rue Perceval Thoby aujourd’hui appelée rue Celcis –, était tout simplement une haie de plantes pareille à celle de beaucoup d’autres résidences privées à Port-au-Prince.

Canapé-Vert, au bon vieux temps, était un archipel de collines verdoyantes où vivaient quelques notables (Franck Sylvain, Jean Bernadel, Rousseau, Papillon) qu’elle et son époux Franck rencontraient souvent. Les toits se comptaient sur les doigts de la main. Ce quartier n’était que douces collines où croissaient arbres fruitiers et plantes en voie de disparition. Pêle-mêle la flore de cet environnement remonte dans ses souvenirs : mapou, sablier, pistache des Indes, tamarinier, mombin, prunier d’Espagne (siwèl), grenadier, zibeline, sukrin, maribouya, pòm malkadi, bonbon kaptèn, jaune d’œuf…
Les chants d’oiseaux, la fraîcheur et la générosité d’une riante nature qui conjuguait vivre- ensemble et douceur de vivre ont disparu du Canapé-Vert.
Comment Haïti a-t-il pu franchir ce seuil de violence ?
Quand elle se rappelle que sa maison, – le jour où elle est entrée à 23 ans, pour y vivre avec Franck, 42 ans – n’avait même pas de porte ; même pas de mur de clôture pour sécuriser leur vie. Elle peine à croire qu’Haïti a atteint un tel ensauvagement.
Que peut signifier, pour une personne attachée au pays, ce qui nous arrive ?
« Haïti, c’est un paradis transformé en enfer », dit madame Franck Paul.
Martissant, l’inoubliable

À parler de paradis tropical, madame Franck Paul se souvient qu’elle est entrée à l’École normale d’institutrices qui se trouvait à Martissant. Quand elle est entrée au royaume de l’enseignement primaire public, Martissant était un quartier verdoyant au sud de Port-au-Prince. Jamais elle ne pensait que l’enfer s’installerait dans un si beau site quand elle remonte au temps de ses jours heureux.
Le bâtiment de l’école était au milieu d’une grande cour occupée par des potagers cultivés par les étudiantes. « L’école, c’était un internat. On avait deux dortoirs. Il y avait le réfectoire. On était en pension. Pendant les vacances, on allait chez soi », se rappelle-t-elle.
À cause de son écrin de verdure et le coquet édifice, le président de la République Paul Eugène Magloire, à son accession au pouvoir, a délogé l’établissement, l’année suivante, au profit de sa sœur, madame Erzulie Magloire Prophète, qui avait une école d’art ménager.

Pour l’ancienne étudiante de l’École normale d’institutrices : « C’était une injustice quand on sait ce que cette école représentait pour les femmes d’Haïti. Elle a formé Marie Thérèse Colimon, les sœurs Sylvain, madame Odette Roy Fombrun. On nous a envoyées au pied du Fort Mercredi, à Bolosse, dans un gingerbread délabré pour continuer notre deuxième année. On avait fait quelques douches sur la cour. On s’est accommodée. Mais on était si mal logée, que, la troisième année, on nous a placées à Turgeau au bas de l’avenue Charles Sumner dans un autre gingerbread qui n’existe plus et dont la cour loge aujourd’hui un garage en plein air. »
Madame Franck Paul n’est pas prête à oublier cette injustice comme elle n’oublie pas ce préau où la directrice de l’école de Martissant, madame Brinvilia Augustin Guéri, les rassemblait pour annoncer un événement.
À 89 ans, dans un temps déraisonnable, un temps absurde où le droit de vivre chez soi n’est pas garanti, madame Franck Paul s’entoure d’un beau monde au Collège Canapé-Vert pour s’imprégner d’une dernière énergie en vue de rester debout dans cet établissement qu’elle a reconstruit après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Elle garde un franc sourire en ce jour de fête pour dire ô combien elle est attachée à l’éducation, le seul chemin qui conduit tout peuple vers ce rendez-vous au sommet.
Claude Bernard Sérant
serantclaudebernard@yahoo.fr
Voici une vidéo pour saluer madame Franck Paul
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