L’Institut PANOS a organisé mardi 9 juillet une séance de formation au profit d’une trentaine de journalistes dans ses locaux à Pétion-Ville, autour de l’étude intitulée « Tour d’horizon de l’écosystème de l’information en Haïti – Confiance et couverture de l’information liée à la gouvernance et aux élections », une étude collaborative menée par Internews, l’Institut Panos et Policité.
Dans le cadre d’un tour d’horizon de l’écosystème de l’information en Haïti, la journaliste senior Germina Pierre Louis a présenté une étude de terrain qui permettra au public d’avoir une meilleure compréhension de l’offre et de la demande d’information sur les questions liées à la gouvernance, à la démocratie et aux élections. À cette séance de sensibilisation, elle a mis en relief le document qui accorde une attention particulière à la « demande » dans l’écosystème de l’information ; en outre, elle a souligné un aspect important de l’étude qui recommande d’outiller les professionnels de la presse pour leur permettre de mieux atteindre les différents groupes d’électeurs avec des informations vérifiées et impartiales.
Le coordonnateur de ladite institution, Jean-Claude Louis, qui a donné le coup d’envoi de cette cérémonie, a rappelé que les dernières élections en Haïti remontent à 2016. Ce qui permet de mesurer le pouls de la démocratie en Haïti. Alors que les élections sont en vue dans le pays, Internews, l’Institut Panos et Policité veulent aider les travailleurs de la presse à avoir une meilleure compréhension de l’offre et de la demande d’information sur les questions liées à la gouvernance, à la démocratie et aux élections. D’après Jean-Claude Louis, cette enquête de terrain, réalisée entre février et mai 2024, ne prétend pas être une analyse exhaustive. Il en veut pour preuve la situation actuelle en Haïti, qui a empêché les enquêteurs de collecter des données dans de plus larges aires géographiques où vivent différentes parties de la population. C’était le parcours du combattant pour récolter quelques voix de diverses communautés du pays. Toutefois, les échantillons de cette enquête, a-t-il laissé entendre, « illustrent l’accès des Haïtiens aux informations liées à la gouvernance et aux élections, ainsi que la capacité des médias à fournir ces informations. »
Données de cette enquête
S’informer est un droit fondamental. La presse est un service. Le public a besoin de savoir. « L’aspect de la « demande », qui est l’objet principal de cette étude, est réalisé à partir de données qualitatives collectées par le biais de groupes de discussion avec des Haïtiens de différentes régions géographiques du pays.
Toutes choses étant égales par ailleurs, la loi de l’offre et de la demande rythme l’écosystème de l’information. « Le volet «offre», qui concerne principalement les journalistes, les professionnels des médias et autres fournisseurs d’informations, a permis de recueillir des données quantitatives au moyen d’un questionnaire à choix multiples et à réponses fermées, afin d’une part, d’évaluer quand et comment les informations liées à la gouvernance et aux élections sont partagées, et d’autre part, de comprendre les défis auxquels les fournisseurs d’information sont confrontés.
Qu’en est-il de la demande?
Les principales conclusions de l’enquête qualitative menée auprès de la population sont les suivantes :
- Les politiques publiques de sécurité pendant les périodes électorales: la sécurité apparaît comme un sujet d’intérêt majeur avant et après la période électorale.
- Des préférences mitigées en matière de canaux d’information: certains participants préfèrent s’informer auprès des médias traditionnels en raison de «la spirale infernale des réseaux sociaux » et parce que « les informations diffusées par les médias traditionnels sont plus fiables ». Parmi les participants qui préfèrent les réseaux sociaux, ils évoquent «la possibilité de diffuser l’information en direct ».
- Les participants se méfient des informations diffusées sur les réseaux sociaux en général, et en particulier sur Facebook: Ils ont indiqué que les informations publiées sur les réseaux sociaux ne sont pas traitées de la même façon que celles publiées par les médias traditionnels.
- Obstacles à l’accès à l’information: le manque d’électricité, d’accès à l’internet et de sécurité a été cité comme les principaux obstacles empêchant les citoyens d’obtenir des informations fiables pendant les périodes électorales.
- Profils des candidats et débats électoraux: deux sujets sur lesquels les participants souhaitent que les médias se focalisent durant la période électorale.
- Les participants ont une propension à vérifier les informations avant de les partager: conscients de la prolifération accrue des «fake news» sur les médias sociaux et/ou dans certains médias partisans, la plupart des participants ont indiqué vérifier les informations auprès de parents, d’amis ou de voisins avant de les partager.
- Le favoritisme des médias durant les élections de 2016: en général, les participants ont perçu une inclinaison de la part des médias en faveur d’un candidat particulier pendant les élections de 2016, favorisant ainsi l’élection de ce candidat.
- Le rôle des médias est primordial: les participants ont exprimé le besoin d’être informés des actions du gouvernement. Selon eux, les médias doivent également éduquer la population.
Qu’en est-il de l’offre ?
Du côté de l’offre, les principales conclusions sont les suivantes :
- Au moment de l’enquête, 33% des répondants travaillaient sur des sujets relatifs à la gouvernance, à la démocratie et aux élections, tandis que 68% d’entre eux avaient déjà traité des sujets qui y sont liés.
- 67% des personnes interrogées ont exprimé leur intention de couvrir les prochaines élections en indiquant un «Oui» absolu. Cependant, 32% ont conditionné le fait de couvrir les prochaines élections à des facteurs tels que: la disponibilité des ressources (13%), la situation sécuritaire du pays (12%), les intérêts éditoriaux (5%), et l’intérêt public (2%), tandis que 1% a estimé que le sujet des élections est controversé et dangereux, et en conséquence ne compte pas le couvrir.
- Les fournisseurs d’informations interrogés ont déclaré faire face à quatre défis majeurs en traitant des sujets liés à la gouvernance, la démocratie et les élections: la difficulté d’accès aux sources individuelles en raison de problèmes d’accès physique, de sécurité ou autres (27%), l’insécurité personnelle – crainte de représailles, menaces, intimidation (20%), le manque d’audience/intérêt pour ces sujets (12%) et le fait qu’il est difficile de savoir ce qui se passe réellement (10%).
- La vérification croisée avec plusieurs sources (83%) est la principale méthode utilisée par les journalistes pour valider leurs informations avant de les diffuser.
- À la question de savoir s’ils disposaient des outils et ressources nécessaires pour limiter la propagation de la désinformation, 36% des répondants ont mentionné qu’ils disposaient de très peu ou pas du tout d’outils et de ressources nécessaires pour atténuer la propagation de la désinformation, tandis que 38% ont souligné le besoin de plus de ressources et de formation.
- 27 % des fournisseurs d’informations interrogés n’ont pas reçu de formation sur les outils et les ressources permettant de limiter la propagation de fausses informations et de désinformation.
- 67% des journalistes interrogés ont déclaré avoir déjà subi des pressions politiques ou des menaces lors du traitement de sujets liés à la démocratie, à la gouvernance et aux élections en Haïti.
- 40% des personnes interrogées sont convaincues que les médias haïtiens ne jouent pas un rôle suffisamment efficace dans la sensibilisation du public à la gouvernance, à la démocratie et aux élections, tandis que 16% estiment qu’ils ne sont pas du tout efficaces.
- Parmi les différents formats médiatiques disponibles, les personnes interrogées estiment que les émissions de radio (42%) et les reportages radio (23%) étaient les plus efficaces pour informer le public sur les sujets liés à la gouvernance, à la démocratie et aux élections.
- La promotion du pluralisme dans les médias (42%) et la garantie de la sécurité des journalistes (43%) sont, selon les fournisseurs d’information, les principales mesures que le gouvernement devrait adopter pour permettre à la presse d’assurer une bonne couverture des élections avant, pendant et après la période électorale.
La base de cette étude
Le document proposé indique sur quoi repose le socle de cette étude. En effet, « Cette étude est basée sur le cadre de l’écosystème de l’information d’Internews (EI), un modèle conceptuel visant à décrire une vue d’ensemble du paysage de l’information dans certaines communautés, à comprendre les relations dynamiques entre l’offre et la demande en termes d’information, et à concevoir des solutions d’information spécifiques adaptées au contexte local.»
De même, les objectifs sont précisés dans le document remis aux journalistes. Aussi l’objectif de cette étude répond-il à ces deux questions :
1- Dans quelle mesure les Haïtiens font-ils confiance à leurs médias pour leur fournir des informations fiables et utiles sur la gouvernance et les questions liées aux élections ? (La demande)
2- Comment les journalistes, les professionnels de la communication et les médias couvrent-ils les questions liées à la gouvernance et aux élections en Haïti ? (L’offre)
Points soulevés par les journalistes
Suite à la présentation des résultats de cette étude, un échange animé a eu lieu entre l’intervenante principale, Germina Pierre Louis, et les participants sur plusieurs points : la nécessité pour les journalistes de traiter des sujets sur la sécurité, qui est un thème important durant la période électorale comme le démontre l’étude, la vérification des informations, le traitement des sujets en lien avec le profil et les antécédents des candidats, le suivi des actions gouvernementales et la promotion du pluralisme dans les médias lors des élections.
En réaction, les travailleurs ont fait savoir qu’ils manquent souvent de ressources pour mener des investigations. Certains réclament de la formation afin de s’outiller pour mieux aborder ces sujets ; ils estiment que beaucoup d’informations sur les sujets politiques sont monotones et qu’il faudrait également des portraits et tout un éventail de genres journalistiques pour ne pas lasser le public. Ils ont souligné l’importance de donner la parole aux gens dans leurs communautés, d’aller à la rencontre des acteurs dans leur diversité pour avoir une véritable idée de ce que pensent les Haïtiens de l’État, de nos politiques et de ce qu’ils attendent de ces derniers. Ils estiment qu’il faudrait aussi organiser des séances de formation pour les candidats qui veulent briguer des postes électifs, car trop souvent ils n’ont aucune idée du rôle qu’ils vont jouer.
On notera que les initiateurs de cette enquête, qui s’ouvre sur un tour d’horizon de l’écosystème de l’information en Haïti, ont exprimé clairement leurs préoccupations : « Depuis le retour à la démocratie en 1990, Haïti est plongée dans une série de crises sociopolitiques profondes. Ces crises sont nourries par une instabilité politique endémique caractérisée par des changements fréquents de gouvernement et des tensions sociales récurrentes en raison d’élections contestées. La prolifération des groupes armés au cours des cinq dernières années aggrave davantage la situation, en particulier dans l’agglomération de Port-au-Prince, où la violence des gangs a entraîné le déplacement de plus de 85 000 personnes et causé la mort de plus de 1 554 individus depuis le début de l’année 2024. »
Claude Bernard Sérant
serantclaudebernard@yahoo.fr
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