Selon Marnatha Irène Ternier, c’est notre naissance qui détermine les violences faites aux femmes ….
Par Pradel Henriquez
De nos jours, en Haïti, on ne serait pas étonné de découvrir que beaucoup d’hommes (il s’agit ici d’un aspect crucial des débats sur le genre), de très nombreux hommes, quels que soient leur rang, leur statut, leur niveau, leur position socio-économique, leurs richesses matérielles et économiques ou leur pauvreté, idem (riches ou pauvres), ils battent leur (s) femme (s) Ou encore, ils exercent sur elle (s) des formes de violences tant diverses que voilées et détournées. En effet, lorsque la situation sociale, politique et économique est grave, ce sont les femmes et les enfants qui paient le pot cassé.
Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche, auteur de «Par delà le bien et le mal» et de «Ainsi parlait Zarathoustra», aborderait-il la question, dans ce cas précis, sous l’angle de la « Volonté de puissance», étant donné un contexte social où les rapports de force sont tout simplement aveugles et ne font souvent appel à aucun bon sens, aucune jugeote, aucune morale, aucune crainte de Dieu, aucune sagesse, aucune instruction, aucune culture, aucun humanisme, aucune tolérance, aucun respect de l’autre, aucune éducation familiale, voire, aucune justice dans les relations conjugales, ni simplement sentimentales. C’est la force purement physique brutale, aveugle qui prédomine tant dans les couples que dans les relations sentimentales en général.
On l’a vu pendant la période de la Covid-19, un peu partout à travers le monde, on vient juste de le voir encore, en Haïti durant les trois (3) dernières années de chaos ayant suivi l’assassinat de Jovenel Moïse où le pays était littéralement livré à lui-même, de plus en plus :
des médecins battent leur femme
des avocats battent leur femme.
des officiels de la fonction publique battent leur femme.
des militaires et les policiers battent leur femme
des enseignants battent leur femme.
des jeunes gens mariés ou amants battent leur conjointes.
des amants battent leur amant, (ho) pardon, leur amante…
des intellectuels battent leur femme.
Qu’en est-il des prêtres ?
Que font certains pasteurs et houngans de leur femme ?
Il ne faut pas oublier entre temps que des journalistes eux aussi battent leur femme au nom de je ne sais quelle immunité.
Les catégories socioprofessionnelles moins élevées battent leur femme.
Des paysans battent leur femme.
Tiens…
Il y en a qui vont jusqu’à mettre leur femme à genoux pour les sanctionner à cause de leurs infidélités conjugales ou autres …
En un mot, tout le monde bat sa femme comme un tambour géant.
Et c’est douloureux de l’affirmer ainsi, il n’y a personne dans notre société, pour protéger personne et nulle institution non plus, pour protéger ni les enfants ni les femmes.
On nous rapporte par ailleurs (souhaitons que cela soit une bonne blague en passant) qu’une femme mariée, battue par son mari, médecin de profession, fait intervenir un juge de paix pour trancher. À son arrivée, le juge de paix se retrouve justement nez à nez avec la scène encore très violente. Et le mari de déclarer au juge de paix dûment accompagné d’un policier en uniforme et de son greffier :
« C’est ma femme que je suis en train de battre, gare à vous, si vous y mettez votre nez….
Ou pa wè se madanm mwen m ap bat…»
Clash conjugal
Le mari violent prend alors sa voiture et disparait des lieux, tout en la démarrant en trombe, spectaculairement, sans égard pour les autorités judiciaires et policières dépêchées sur place afin d’éviter le pire ce jour-là… Son vrai plan ayant été, qui sait, de tuer la femme… Il en avait marre.
Voilà aujourd’hui le type de mari qu’il soit intellectuel, socioprofessionnel, médecin, qui n’hésite pas une seconde à agresser la mère en présence de leur fillette âgée entre 4 et 5 ans, ni non plus à traiter sa femme de “chienne”, de ” malkadi ” avec les insultes les plus grossières et les plus sales, toujours en présence de leur fillette qui ne cesse de pleurer et qui, parfois, se met à recoller les morceaux des photos de mariage déchirées violemment par le père pour illustrer son désir de clash conjugal avec des illustrations de violences inouïes.
On a vu pire d’ailleurs : un autre mari détenteur cette fois d’un doctorat en sociologie de l’Université du Canada et qui vit en province d’Haïti avec sa femme et leur enfant. Lors d’une querelle qui devait par la suite déboucher sur une sorte de rupture ( séparation ) au sein du couple, le mari, docteur en sociologie, écrit ceci comme une sorte de message WhatsApp à sa femme, et je cite : «Ou ka kenbe l wi (en parlant de leur enfant). Men pa mande m kòb pou li, kòm si son timoun ki t ap leve avè m. Chèche travay ou fè pou lè l gen bezwen.
Se dènye fwa m ap di ou sa, pa ekri m.
Si ou ensiste menm sa m konn voye, m pa p bay yo ankò.
Fòk ou konprann lè ou moun retire ou nan kolèt li : déchè santi….”
(fin de citation)
Ainsi, le machisme allié à la violence (verbale, psychologique ou physique) va tellement loin de nos jours que rien ne devrait, en fait, énerver un homme dans son.couple (un homme au sens masculin). Car si un homme est trop stressé à la maison, s’il perd son job, par exemple, s’il est trop tendu, trop énervé, s’il se fâche, il peut aller jusqu’à détruire son foyer, rabrouer son couple, ou sa vie sentimentale.
Qui protège les plus faibles ?
Or, qui protège les plus faibles dans notre société actuelle ?
Une femme battue par son mari pendant quasiment cinq (5) ans de leur vie conjugale a été systématiquement roulée dans la farine par des institutions publiques concernées et payées pour faire leur job, pendant ces cinq (5) années où cette victime n’a voulu nullement tolérer ces violences et qu’elle croyait nécessaire, à chaque fois, de s’adresser au Ministère à la Condition féminine, notamment.
Par ailleurs, une autre femme battue par son mari un 2 janvier (en plein Nouvel an), baignant dans des tâches de sang, elle a jugé bon de se rendre plutôt dans un commissariat de police de l’aire métropolitaine pour trouver de l’aide. Elle a appris plutôt que le service de plaintes ne fonctionne pas le 2 janvier, sans oublier les commentaires ironiques des gens qui étaient à l’accueil au commissariat.
Qui protège qui ?
Or, la victime était en danger….
Mais alors, qui protège qui ?
La Police nationale ?
La DCPJ ?
Les ONG nationales ou internationales ?
La presse traditionnelle ou les médias sociaux ?
Le ministère à la Condition féminine et aux Droits des femmes ?
Les juges de paix ?
Les tribunaux ?
Les associations féministes traditionnelles ou avant-gardistes ?
By the way, comme on dit en anglais, où sont passées les féministes habituelles ?
Qui protège ces femmes ?
Est-ce leur famille qui les protège dans leur propre foyer ?
Quel rôle jouent le père et la mère de ces femmes victimes de violences ?
Quel rôle jouent les frères ou même les sœurs de ces femmes victimes ?
Comment se montrer enfin solidaire avec ces femmes battues ?
Quel type d’éducation familiale donner aux hommes pour qu’ils respectent les femmes ?
Et vice versa.
Puisqu’on n’est pas ensemble (mariés, placés, amants, amoureux, ou autres) pour se tuer, ni pour s’avilir, ni pour s’humilier.
On est ensemble pour s’aimer, se tolérer, se comprendre….
Si non, qui protège les femmes et les enfants dans notre société où ces derniers sont constamment bafoués et humiliés?
Et rien jamais ne joue à leur avantage ?
Qui les protège ?
Ce qui est sûr et certain, c’est que depuis l’assassinat de Ginou Mondésir, cette journaliste culturelle de Télémax, la chaîne 5, d’alors, battue, massacrée, martyrisée, tuée par son conjoint, Valdo Jean, le 24 décembre 2004, à nos jours coïncidant ainsi avec la parution de ce nouvel ouvrage de Marnatha Ternier, “La transe des masques”, les femmes chez nous n’ont fait que descendre aux enfers dans leur vie à deux.
Et la descente aux enfers des femmes chez nous n’est que de plus en plus vertigineuse. De sorte que le vertige même devienne inacceptable, intolérable et insoutenable. Selon une sociologue professionnelle très active, elle aussi victime de violences conjugales, on aurait aujourd’hui près de 60% de foyers où les femmes sont régulièrement battues. J’ajouterais moi, selon mes recherches personnelles, que la situation est pire que cela….
Pire que ce qu’on voit
C’est ce que nous essayons de comprendre en lisant le nouveau livre de Marnatha Irène Ternier qui n’a pas peur d’aborder tous les sujets tabous, voire dangereux, de notre société actuelle, comme l’homosexualité, la pédophilie, le viol sur mineur(e), les abus sexuels sur les enfants en domesticité , la corruption parmi les fonctionnaires privés ou publics, les violences faites aux femmes, les pollutions politiques, l’échec de notre civilisation occidentale, l’échec des religions traditionnelles et de la colonisation en général dans différents milieux culturels.
Aux États-Unis d’Amérique, par exemple, il y a le 911 pour protéger les femmes et les enfants.
En Haïti, de quel recours disposent une femme et un enfant qui subissent des agressions quelconques de la part d’un homme violent qui décide de faire du sport au quotidien (li fè gwo bibit), rien que pour pouvoir avoir l’énergie physique nécessaire afin (devine…) de mieux détruire et démolir sa femme et ses enfants ?
L’auteure du livre «La transe des masques», Marnatha Irène Ternier, est épouse et mère de trois enfants.
Le bal masqué de la vie
Dans son recueil de nouvelles La Transe des masques, elle en arrive à percevoir les catégories de naissance comme une photographie vivante. Chacune de ces catégories est une sommation au bal masqué de la vie, charriant avec elle ses joies, ses amertumes, ses désirs, ses souffrances et, parfois, une détermination certaine.
Comme une tendance collective ou culturelle, parfois légale d’ailleurs, cette catégorisation des enfants, qui est présentée dans les nouvelles suivantes faisant partie de «La transe des masques», telles que :
– “Le Bâtard, ”
– «Une terne cérémonie» -«Professionnel» – «L’Innocence sauvée du désespoir»
– L’âme de la douleur
– Le Diaspora
“Le Coq refuse de chanter”*,
Tandis que chez Jean-Jacques Rousseau
« l’homme est né bon mais (c’est) la société (qui) le corrompt».
Dans le cas de «La transe des masques» de Marnatha Ternier, l’homme est «né violent» à partir d’un ensemble de circonstances, et que très tôt cette violence viscérale rejaillira sur tout ce qui bouge autour de lui, en particulier sur les femmes, les mères, les conjointes, les amantes, etc.
Marnatha Irène Ternier nous invite à voir (ou à vivre ) la violence avec laquelle nous sommes venu(e) au monde, avec laquelle nous sommes né (e) s sur terre, au milieu de tant de masques qui ne peuvent qu’engendrer, reproduire, prospérer et se transmettre aux générations futures.
Notamment, dans cette injonction où la majorité des enfants est accompagnée uniquement d’une figure maternelle, où dans un foyer considéré comme normal par la société, l’enfant, vivant au milieu de masques divers et variés, est régulièrement spectateur de toutes les violences possibles et inimaginables; celles-ci ne peuvent que se produire et se reproduire…
Dans ce récit fictif qui va de la page 329 à la page 378, intitulé : «Des violences faites aux femmes», l’auteure, Marnatha Ternier, étale pour nous, lectrices et lecteurs, la description relative au déclin d’une famille dont le père meurt brutalement dans une croisière en 1971 :
« Elle s’est surprise à raconter l’histoire de sa mère alors qu’elle était bel et bien présente au forum (un atelier de défoulement destiné aux femmes battues et à d’autres types de souffrances communautaires) réunissant au moins cinq cents (500) personnes, femmes et hommes, pour parler d’elle-même, de ses déboires, dans son propre foyer, avec son mari devenu pour elle, entre temps, avec le temps, un vrai bourreau.
Sardine a grandi en effet sans père, sans papa. Celui-ci meurt noyé le jour de son anniversaire alors qu’il était accompagné d’une femme toute autre que celle que tout le monde connaissait dans le quartier, c’est à dire d’une deuxième femme, comme on dit donc, de la femme d’à côté…»
«Des violences faites aux femmes», c’est une histoire tragique et douloureuse, tant pour le narrateur (je l’imagine) que pour le lecteur éventuellement qui, au bout du compte, finira par comprendre que le personnage central de ce récit poignant est une sorte d’héritier d’une famille qui vivait tant bien que mal et dont la mère désormais seule suite à la mort de son premier mari, puis fragilisée tant par la mort de celui-ci que par les enfants de ce dernier, qu’il lui sera désormais difficile d’éduquer, de gérer, de prendre en charge….
Le beau-père (après avoir été un homme tout amoureux au début de l’idylle ) en arrive à se munir désormais de son masque de “monstre”, cette fois, afin de violenter (ou violer) tant la femme (sa nouvelle femme) que la petite fille (sa belle-fille) qui grandira en portant avec elle, plus que des cicatrices, mais surtout et avant tout, des chocs traumatiques profonds , tant et si bien que ce jour-là, au moment d’une session, on ne peut plus cathartique, il lui sera absolument difficile déjà de s’exprimer ou de communiquer avec l’assistance …
Soit dit en passant, dans les relations de couple en général, il n’y a pas que les hommes qui battent leur femme, il y a d’une part des femmes qui battent leur conjoint. Et je n’invente rien. Il existe d’autre part, dans les relations homosexuelles, aussi, l’homme qui bat l’autre (homme) ou la femme qui bat sa partenaire ou son amante etc.
Pour avoir été directeur de plusieurs entreprises différentes, tant dans le public que dans le privé, j’ai déjà eu par exemple, à affronter une situation aussi drôle que violente où l’une de mes employées s’est mise à “ronfler” une autre employée avec des gifles et des coups de poing , à partir d’une scène de jalousie, au sein même de l’entreprise. Je les ai convoquées dans mon bureau, c’était pour apprendre qu’elles partageaient une intimité certaine et qu’elles vivaient ensemble en réalité. Ce jour-là, elles étaient tellement excitées et irritées, violentes, que même moi, leur patron, j’aurais pu encaisser quelques bonnes claques.
J’ai pris alors mon sang froid à deux (2) mains pour leur rappeler fermement que c’était une affaire strictement intime ou personnelle, à gérer en dehors de l’institution ….
Bref..
En voilà bien un cas qui “éclate ” ici le débat relatif aux violences faites aux femmes traité jusque-là dans ce texte, sous l’aspect des relations de couple homme-femme. Toutefois ce nouvel exemple vécu, de couple femme-femme , violent, ne fait que confirmer l’approche de l’auteure de La transe des masques, Marnatha Ternier, qui voit bien la nature de notre naissance en tant que peuple haitien avec une culture spécifique, comme un mobile immédiat des violences diverses que nous infligeons à notre environnement, proche ou éloigné.
Panem et circences (du pain et des jeux de cirque) : disait- on (chez les Latins) dans la Rome antique pour dénoncer les pouvoirs publics qui distribuaient, à n’en plus finir, des divertissements et du blé, au peuple afin d’endormir sa conscience. Encore qu’on aurait eu besoin, nous aussi , entre temps, d’un peu de pain et de loisirs, sauf qu’il y a des classes sociales qui ne les trouvent même pas. Par contre, ils ont fini entretemps par détruire notre conscience collective et par geler cette conscience sur divers sujets de préoccupations majeures.
Pour nous faire oublier l’essentiel, on nous affuble donc de tous les débats sur le sexe, la sexualité, sur le cul, sur la politique, ou même, parfois, sur le sport…
On oublie de temps en temps les vraies crises sociétales majeures ainsi que notre vrai drame socio-économique qui détruit à petit feu, toutes nos cellules humanistes. On en arrive, dis-je, à oublier ainsi toutes ces violences qui pourrissent entre autres, la vie des plus faibles dont celle des femmes et des enfants. Ce sont nos piliers pourtant….
Excluant ici d’emblée tout débat ANTAGONIQUE sur l’homme et la femme, au sens étroit des termes, ni sur le masculin et le féminin, ni sur le sexe fort et sur le sexe faible, je dirais que, comme tout homme normal, honnête, éduqué, courtois, élégant, raffiné, sage, non sadique, moral, non cynique, instruit, non-violent, civilisé, mâture, respectant la loi et les vertus, ce sont nos piliers. Point barre.
Il n’y a pas meilleur moyen d’humilier un peuple qu’à commencer par humilier d’abord ces piliers, voire, à tout faire pour que ces derniers ne soient nullement soutenus, ni protégés dans leur dignité.
Justement, l’ouvrage de Marnatha Ternier va à contre-courant de ces jeux de cirque à la Romaine, il nous force plutôt à une introspection plus profonde. Il aborde la violence en général, les violences faites aux femmes en particulier, à partir de la «nature» même de la naissance de notre être en proie à des distorsions multiples.
Est-ce pour cela, dans La Transe des masques, et pour autant de violences sur les femmes, le port du masque est souvent obligatoire. Tout compte fait, entre nous, il y en a qui ne s’embarrassent d’aucun scrupule et qui, en réalité, ne portent aucun masque …
Pradel Henriquez
pradelhenriquez@yahoo.fr
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