Malia Jean est une activiste dans la lutte contre le VIH. La native de Ganthier, commune située à 12 kilomètres au nord-est de Port-au-Prince, n’a pas sa langue dans sa poche. D’ailleurs, aux ateliers de dialogue national pour l’élaboration de la dernière demande de subvention au Fonds mondial pour le VIH, la Tuberculose et la Malaria, tenus durant la période de mars à mai 2023, au Kinam, Pétion-Ville, elle était montée sur ses grands chevaux pour déclarer, dans ses habits de présidente de l’Association des femmes haïtiennes infectées et affectées par le VIH/SIDA (AFHIAVIH) : ” Remettez les fonds dédiés à la lutte contre le VIH aux associations de PVVIH. Nous saurons les gérer au bénéfice de ceux qui vivent avec le VIH dans le sang. ”
Depuis quelques jours, nous essayons de joindre l’activiste. En vain. Ce matin, au téléphone, quand elle répond, elle était en route pour l’hôtel El Rancho, dans les hauteurs de Pétion-Ville. Aussitôt avons- nous pris rendez-vous, nous avons sauté en voiture.
À la salle de conférence d’El Rancho où le forum de l’Observatoire communautaire sur des services VIH (OCSEVIH) met l’accent sur les populations clés, les hommes ayant rapports avec des hommes, les transgenres, les professionnels de sexe, Malia devient un feu roulant d’interrogations. Elle pose des questions à Hetera Estinphil de l’association Kouraj pour essayer de comprendre l’identité de genre et les concepts qui l’accompagnent. À une professionnelle de sexe (PS) infectée, haussant le ton dans les débats, tout en se disant accablée de discriminations, Malia propose de l’accueillir. Augusta Milien, activiste aguerrie, rappelle à Malia, qu’elle a toujours refusé les PS dans son association. Ce que la présidente de l’AFIAVIH corrige et rejette d’un revers de main. ” Notre association ouvre ses bras pour accueillir ces jeunes femmes en tant que PVVIH ; mais nous n’allons pas marcher sur tes platebandes en nous faisant passer comme association dédiée aux travailleurs de sexe “, corrige-t-elle.
Une femme ouverte d’esprit
À une séance de pause, nous profitons du cadre de l’hôtel, à l’ombre des palmiers et la fraîcheur de l’eau dans la piscine pour nous entretenir avec Malia. Elle se fend d’un sourire de bon cœur et dit : ” Moi qu’on a souvent qualifié d’homophobe, vous voyez bien, ce ne sont que des ragots. Je ne rentre pas dans cette logique-là. Je suis chrétienne, bien construite dans ma foi. Pour que la lutte avance, on doit être ouvert d’esprit. C’est ainsi qu’on arrivera à concrétiser les objectifs de développement durable. ”
Pour inverser la tendance, l’enfant de la promesse, l’enfant née des œuvres de Jean Emmanuel et Madeleine Perez, raconte qu’elle a accompagné beaucoup de membres des populations clés à un moment où le président fondateur de Promoteur Objectif Zérosida (POZ), le Dr Eddy Génécé, était encore en vie. ” Dernièrement, j’ai croisé un leader d’une association de LGBT, il m’a loué pour ce que j’ai fait pour lui à un moment où il n’avait pas de moral. Et ils sont nombreux à me rappeler des services rendus de toute mon âme. ”
Ces histoires qu’on n’oublie pas
Quand on revient sur le chapitre des ateliers du dialogue national pour l’élaboration de la demande de financement, Malia, activiste flamboyante, interpelle les autorités : ” J’ai fait ces déclarations parce que, en tant que PVVIH à la tête d’une association, je ne peux pas imaginer comment en 2030, les fonds s’arrêteront tout net. Non ! Je suis alarmée. Je vis en Haïti. Regardez! Au moment où nous parlons, la situation de mon pays est lamentable. Devant ce constat, c’est tout à fait normal que je me demande : qu’allons- nous devenir ? J’ai compris. On va tous crever! Nos associations n’aurons aucun sou. Nous n’aurons plus de médicaments. Un jour, il faut que tout s’arrête. On meurt. ”
Parce que Malia Jean a compris que tout a une fin, l’histoire de son mari, dans un état grabataire, luttant avec le SIDA lui remonte à la tête. Tous ceux qui sont tombés à un moment où les ARV n’étaient pas à la portée des PVVIH assaillent sa mémoire. Elle se souvient qu’en mai 2016, elle avait pris la tête d’une manifestation d’activistes pour porter ses revendications au Parlement.
Qu’est donc devenu ce document ?
« Moi-même, j’ai remis au sénateur Jean Renel Sénatus, dit Zokiki, le document afin que l’État vote une loi pour nous autres, PVVIH. Rien n’est sorti. Mais Zokiki, seul, ne pouvait rien quand nos représentants n’avaient rien à cirer dans la lutte contre le VIH/SIDA. ”
Malia se souvient
Malgré ce côté amer, Malia tempère. De bons moments revisitent son esprit et son discours se colore au ton de cette journée ensoleillée dans les jardins d’El Rancho où se prélasse une colonie de touristes dans une douce oisiveté.
Un sourire irradie son visage, elle remonte les années antérieures : ” Je me souviens du Dr Eddy Génécé, le fondateur et directeur exécutif de POZ. Il m’avait permis de voyager pour représenter les PVVIH de Cité Soleil. En 2006, j’ai fait un long voyage au Kenya. J’ai pris part à des conférences ; je suis allée en Ouganda ; je suis même montée à Washington. Tout ça c’est du passé. Les voyages aussi pour les PVVIH, ça nous permet de discuter entre nous, de partager nos expériences. C’est un aspect de la lutte qu’on tend à négliger puisque tout le monde défend sa chapelle. ”
Une ombre passe sur le visage de Malia. Aussitôt, elle se ressaisit. ” Il y a quand même des progrès, c’est ce qui nous permet de tenir ferme et de continuer. On fait des activités avec les subventions du Fonds mondial à travers FOSREF. ”
Et quand elle se met à parler de PEPFAR, le Plan d’urgence présidentiel de lutte contre le sida, une initiative internationale du gouvernement américain, ses yeux s’illuminent. ” AFHIAVIH a aussi l’encadrement de Georgetown University. “Yo fè nou bèl”. Quelqu’un qui vient à mon bureau, verra qu’il y a un standard. Il doit se dire : ça c’est le bureau de la directrice. Et puis aussi, avec Georgetown University, nous avons un point de distribution communautaire qu’on peut aussi considérer comme un tapis rouge pour servir les médicaments aux PVVIH. ”
Elle répartit d’un grand rire et reprend : ” Yo fè nou bèl“. Laissez-moi parler maintenant au nom de la Fédération haïtienne des associations des personnes vivant avec le VIH. Je suis responsable des relations publiques. J’aimerais voir redémarrer le projet de Georgetown University pour que toutes les associations de PVVIH bénéficient de ce standard. ”
Malia Jean, cette activiste, qui a créé AFHIAVIH, en 2007, a ses coups de cœur. Elle n’oubliera jamais le Dr Myrna Eustache de POZ qui avait pris, un jour, entre ses mains, un cup d’eau qu’elle était en train de boire. Ce geste du Dr Eustache lui avait rendu l’estime de soi, la fierté et le sentiment d’appartenir à la famille humaine. Elle n’oubliera jamais son neveu Jean Renel Sénatus. Bien des années avant de devenir sénateur de la République, il l’avait aidé financièrement et moralement. Elle se souvient que malgré son état, à l’époque, son neveu savait placer son nouveau-né d’à peine un mois à ses côtés, sur son lit de patiente en sursis.
Et comment pourrait- elle oublier Dr Eddy Génécé, ce père aux bras tendus vers toutes les PVVIH qui lui a permis de rencontrer l’homme de sa vie, celui avec qui elle a refait sa vie dans les liens du mariage.
” En 2016, je me suis remariée avec une personne qui m’aime et que j’aime. D’abord, je dois vous avouer que ce choix était celui du Dr Génécé, qui m’avait promis… ”
Au moment, où Malia ouvre les pages de son histoire d’amour, madame Sœurette Policar Montjoie, du haut du balcon qui surplombe la cour de l’hôtel, nous demande de regagner la salle. Retour au forum de la société civile qui permettra à Malia de découvrir de nouvelles idées et de partager ses aspirations pour le changement.
Louiny Fontal
À lire aussi :
À voir :
Discussion à propos de post