Un médecin haïtien, fuyant l’insécurité, travaillant comme chauffeur-livreur de nourriture, a été tué par balle le mercredi 13 juillet 2022 près de Southwest Ewing Avenue et Southwest Addie Street à Port St Lucie dans l’État de Floride, aux Etats-Unis. La nouvelle, si elle n’était pas d’une cruauté dévastatrice, aurait remporté le prix d’actualité insolite de l’année. Elle est, pour ainsi dire, de nature à surprendre les conciliabules de la nuit au détour du claquement d’une serrure et d’un pas qui s’éloigne dans le vide.
Par Claudy Junior Pierre
La police a été contactée vers les 23 heures par un riverain après avoir entendu des coups de feu tirés en direction d’une voiture. Les agents de police, arrivés sur place, ont tout essayé pour garder la victime en vie en attendant les ambulanciers. Malheureusement, il avait déjà succombé à ses blessures. Quelques minutes plus tard, la nouvelle allait être confirmée par un sergent de police pour le média américain Fox 29, “il s’agit d’un chirurgien haïtien vivant avec sa famille en Floride. Ainsi, le Dr Roberto Peigne a vécu ses derniers moments.
Pas facile de pénétrer le quotidien de la famille Peigne après ce drame qui laisse sur les joues des larmes toutes fraîches de regret. Un rendez-vous reporté, quelques obligations professionnelles, Elleanar Peigne Lordena, diplômée à la Faculté d’odontologie de l’Université d’État d’Haïti (UEH) raconte la vie de son cousin et parrain, le Dr Roberto Peigne.
Né à Anse-à-Pitre en 1979, Roberto Peigne fait partie d’une longue liste d’enfants issus de famille modeste dans cette localité du département du Sud-Est qui, parti à la recherche d’une vie meilleure, avait l’obligation de réussir. Issu d’une famille de 8 enfants, il était le plus brillant et le plus prometteur. « Toute sa famille comptait sur lui, et il ne s’était jamais départi de cette tâche qu’il assumait à force que les épreuves de la vie deviennent de plus en plus douloureuses », se souvient Elleanar Peigne Loderna.
Installé dans la Commune de Carrefour en vue de poursuivre ses études classiques, il s’est forgé une solide réputation à force de travailler avec les élèves moins doués que lui dans les matières de base au lycée Henry Christophe de cette commune.
Voulant poursuivre ses rêves de devenir médecin, il a bénéficié du support de toute sa famille qui avait la conviction qu’il était né pour briller. « Il est ce cousin dont tu entends parler toute petite. Son nom était cité en exemple dans la famille dans tout ce qui est vertu, intelligence et bonté. Il a toujours été mon modèle », se rappelle Elleanar Peigne Loderna, chirurgienne-dentiste.
En République dominicaine, les études de médecine étaient très coûteuses. Lui, il compensait cet effort titanesque de sa famille avec les bonnes notes qu’il alignait comme des perles, année après année. De retour en Haïti, il est allé piocher une place précieuse au service de chirurgie de l’hôpital universitaire La Paix. Là-bas, il a passé quatre années de bons et loyaux services avant de décrocher le certificat de spécialisation en chirurgie générale.
Ne sachant pas se contenter quand il s’agit d’études, après sa formation de chirurgien, il s’est hissé au sommet de cette profession en faisant une sous-spécialité en chirurgie pédiatrique dans un programme piloté par l’hôpital Saint-Damien. « On s’est rencontré à l’hôpital Sainte-Thérèse de Hinche où il faisait une rotation d’un mois en chirurgie, il était un excellent chirurgien et un professionnel d’une grande bonté », se souvient une résidente en pédiatrie à l’hôpital universitaire La Paix.
«Dans sa pratique privée, il avait développé une relation personnelle avec les enfants au point que j’ai eu peur d’annoncer la nouvelle à ma fille. Il l’avait soignée à l’hôpital Saint-Damien, depuis on est resté en contact pour ses moindres problèmes de santé, c’est grâce à lui que ma fille est en vie aujourd’hui», témoigne, les yeux remplis de larmes, une dame dans la quarantaine.
Le Dr Roberto Peigne avait beaucoup de succès dans sa pratique privée
«C’est un devoir de mémoire de rappeler qu’il n’a jamais voulu quitter son pays, il aimait profondément Haïti. Je crois qu’il y a eu un concours de circonstances qui le poussait à faire ce choix l’année dernière», explique sa cousine Elleanar Peigne Lordena.
Les enlèvements de plusieurs médecins dont certains avec qui il travaillait en Haïti, un divorce difficile et une situation sécuritaire qui empêche de planifier, énumèrent les membres de sa famille, ce sont, a priori, les causes qui expliquent ce choix douloureux de devoir quitter son pays après plus de 13 ans d’études médicales vers un horizon incertain.
«Aux États-Unis, il se préparait à passer l’examen américain afin de pouvoir pratiquer légalement, je crois que c’est après l’accouchement de sa femme qu’il a décidé de faire ce job de chauffeur-livreur de nourriture. Malheureusement, il a été assassiné, mais il restera à jamais mon modèle, mon héros », murmure d’un air éploré Elleanar Peigne Lordena.
«Nous n’avons pas eu un grand parcours ensemble, mais je me souviens de toi comme le premier chirurgien à emprunter la route du grand Sud après le séisme du 14 août 2021», témoigne le Dr Emmanuel Samedy de Pro-Vision sur sa page Facebook. «C’est choquant, vraiment choquant (…)», lâche Sean Moulant, le client à qui la livraison de DoorDash était destinée. Sa femme dévastée par la nouvelle dit attendre les réponses de la justice américaine. Les membres de la famille du Dr Roberto Peigne témoignent à l’unanimité qu’il était un homme modeste qui voulait prendre soin de sa famille et exercer sa profession dans la paix.
Entre ici et ailleurs, sa vie n’était pourtant qu’une longue cheminée dans la vallée de l’ombre de la mort.
Perdu au beau milieu d’une atmosphère lourde et pesante où le soleil n’a pas sa place et où l’air que l’on respire n’est pas aussi vivifiant que celui de la montagne. Entre crainte du kidnapping et balles assassines, il était dans un brouillard de ténèbres à couper au couteau. Certains disent que c’était inévitable, d’autres se contentent de rappeler que c’est la triste histoire des professionnels haïtiens, partis au gré du destin, depuis plusieurs décennies.
Claudy Junior Pierre
Source : www.lenouvelliste.com
Discussion à propos de post