Sur les quatre stations de radio de cette petite ville située dans les hauteurs du massif de la Hotte, aucune d’entre elles n’a pu émettre le moindre son. La loi du kilomètre zéro qui veut qu’on se rapproche des faits de la communauté se perdait dans les nouvelles d’autres communes atteintes par les secousses telluriques. Les uns et les autres attendaient impatiemment dans cette commune pluvieuse les besoins humanitaires : soins de santé, abris provisoires… Les radios de cette ville du café et de l’igname : Phoenix, la Prophétie, la Grandanselaise et Zanmi avaient carrément disparu sur les ondes.
Que devenaient les proches de la section communale de Chardonnette ? Que devenaient celles de Mouline ? Personne ne savait. Les stations de radio en activité à Jérémie commentaient largement les nouvelles de toute la région. Celles des Cayes idem. Beaumont était noyée dans les flots d’information.
Beaumont, commune de la Grand’Anse située à 46 kilomètres de Jérémie, frappée par le séisme, se réveille difficilement d’une telle catastrophe. Après un tel drame qui a causé des pertes en vies humaines et des biens, les citoyens sont à l’affût de nouvelles.
Le drame de la vie du PDG de radio La Prophétie
Le directeur de radio la Prophétie, Jean Anel Desrosiers, a vécu le drame de sa vie. Sa station de radio endommagée, son institution scolaire, le collège la Prophétie complètement par terre. Il a juste eu le temps d’accorder quelques flashes en direct à des stations de radio de la capitale auxquelles il est attaché aux salles des nouvelles.
Comme il est le coordonnateur général du Réseau des médias communautaires (REMECO), Desrosiers a eu l’obligation de contacter les patrons des médias pour avoir de leurs nouvelles. Ses coups de fil lui ont permis d’avoir une idée de l’état des médias affiliés à la structure qu’il dirige.
« J’étais chez moi avec ma famille. Le local de mon école est complètement détruit, alors qu’une partie du local de ma radio a été endommagée. Je ne m’attendais pas à un tremblement de terre aussi terrible. Au moindre bruit, je suis sur le qui-vive », a fait savoir le patron de presse.
« Radio la Prophétie a cessé d’émettre. Trois grands panneaux solaires installés sur le toit de la maison ont été endommagés. Notre matériel est quasiment irréparable », confie le patron dont la résidence jouxte la radio.
Radio la Prophétie (97.3 FM), pour Desrosiers, ne va pas se relever de sitôt. Trop de dommages. Le bâtiment qui abrite la station est un danger public.
Le personnel de la Prophétie se retrouve du jour au lendemain au chômage. Nombre d’entre eux qui ont assisté, impuissants à une telle dévastation du patrimoine bâti, vivent sous des tentes.
« En dépit de notre détresse, nous sommes soulagés de voir l’équipe du Réseau haïtien des journalistes de la santé (RHJS) venir récolter des informations sur les médias dans la Grand’Anse. Vous êtes les premiers à vous intéresser à nous », ajoute le coordonnateur du REMECO.
La présence du RHJS, réseau de journalistes attachés à plusieurs médias de la capitale et de villes de province, apporte au coordonnateur du REMECO une nouvelle énergie. Sur ce même élan, il nous met sur la piste de plusieurs stations de radio.
Radio Phoenix renaît sur les ondes grandanselaises
Desrosiers nous conduit chez l’ingénieur Marc Daniel André, un ancien directeur départemental reconverti dans les secteurs de la communication, l’hôtellerie et l’industrie.
L’espace où se situe la station de radio d’André est attrayant. Elle est cachée dans un écrin de verdure.
Où était donc le P.D.G de radio Phoenix (95.3) à ce moment fatidique ?
« J’étais sur la route nationale devant mon magasin. Je parlais avec deux de mes frères. Aux premières secousses, j’ai saisi leurs mains et nous avons traversé la route nationale pour me rendre là où il n’y a pas de maison. Nous avons amplement constaté les dégâts. »
André nous parle devant son abri provisoire, une tente installée sous des ramures. « Aussitôt que les secousses ont cessé, la radio Phoenix n’émettait plus. J’ai réalisé ce fait à partir de ce téléphone. Quand je suis dehors, j’écoute régulièrement les émissions de la radio à partir de mon portable. J’ai couru à la station pour voir ce qui s’est passé », poursuit le Beaumontois.
Phoenix, située dans la première section de la commune de Beaumont, dans la localité Nanponm, est restée debout, mais plusieurs murs sont fissurés, d’autres se sont écroulés. Et le matériel ? « Mon émetteur est tombé, le régulateur de l’inverter brûlé, le mixer endommagé », énumère-t-il.
Pourtant radio Phoenix, qui porte bien son nom, est de retour sur les ondes. Par quelle magie? « Radio Phoenix est dans l’air grâce au concours généreux d’Anous Dorestant, un ancien directeur départemental de l’Éducation nationale, P.DG de radio Méga (95.5 FM) dans la Grand’Anse, qui nous a prêté une antenne et un mixer. Un technicien comme Jean Anel Desrosiers a réparé nos appareils pour que notre station puisse émettre », explique-t-il.
Dans la maison privée de Marc Daniel André, la musique se répand dans le portable qu’il a en main, signe que la communauté a une station qui veille sur elle.
Combien de temps la radio passe-t-elle sur les ondes? Après une hésitation, il répond: « Les émissions ne durent pas trop longtemps, par crainte des répliques. Nous sommes prudents. »
Radio Phoenix n’a que neuf mois de fonctionnement et elle a pris une telle frappe. L’usine d’huile de Palma christi de cet entrepreneur avait été dévastée par le cyclone Matthew. Pourtant, André ne considère pas ces évènements comme des échecs. Pour lui, c’est plutôt une leçon de vie. Radio Phoenix continue sa route, elle a une destination.
C’est dans ce même entrain que ces deux patrons de médias, Jean Anel Desrosiers et Marc Daniel André, ont décidé de visiter plusieurs stations avec nous. Il commençait déjà à pleuvoir à Beaumont. Sous une pluie battante, dans notre tout-terrain, nous avons filé à Pestel puis aux Roseaux. Arrivé à Jérémie, il pleuvait encore; nous n’avions pas pu traverser le pont que le président Dumarsais Estimé avait jeté sur la rivière Grand’Anse. L’alexandrin métallique inauguré en 1950 était trop mal en point. Nous avions dû traverser, à moto, un rideau de pluie pour rencontrer quelques patrons de médias du chef-lieu de la Grand’Anse en vue de continuer à récolter des informations et des histoires autour de ce séisme qui a secoué nos médias.
Claude Bernard Sérant
Source : www.lenouvelliste.com
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