Combien de filles manquent l’école à cause de leurs règles

Matière à réflexion

Par-delà les barbelés invisibles de la honte et du silence, des milliers de jeunes filles haïtiennes vivent chaque mois une guerre discrète. Non pas contre une maladie, mais contre une forme insidieuse d’exclusion : la précarité menstruelle. Quand les règles deviennent un obstacle à l’école, à la dignité, à la santé, c’est tout un système qui vacille.

Utérus

On parle peu de ce sujet. Trop intime, trop féminin, trop banal, peut-être. Et pourtant. Dans les camps de déplacés qui entourent Port-au-Prince, ce n’est pas l’oubli du pain quotidien qui fait parfois pleurer, mais l’impossibilité de gérer dignement ses menstruations. Une serviette hygiénique devient un luxe. Une douleur, une malédiction. Une honte, un empêchement.

Comment en est-on arrivé là ?

La réponse est plurielle, mais elle s’écrit d’abord avec des armes. Ce sont les gangs, maîtres d’un territoire abandonné par l’État, qui ont fait exploser la fragilité des corps féminins. En fuyant les violences, des milliers de femmes et de filles ont tout perdu, sauf leurs règles. Et pour elles, il n’existe aucun cessez-le-feu.

Mais la racine est plus ancienne. La dictature des Duvalier a empoisonné le pays : peur, silence, impunité, corruption, tout cela a gangrené les institutions et l’imaginaire collectif. La démocratie haïtienne n’a jamais eu le temps de panser les plaies profondes du peuple. Elle s’est effondrée, comme un masque craquelé, et dans ce chaos, les gangs ont récupéré ce que l’État n’a jamais su protéger : le peuple.

Et les filles ?

Ijyèn manstriyèl

Elles paient au prix fort. Car ne pas pouvoir aller à l’école parce qu’on a ses règles, c’est le début d’un cercle vicieux : décrochage scolaire, dépendance économique, vulnérabilité accrue face aux violences. La précarité menstruelle n’est pas un détail, c’est un indicateur. Un miroir cruel de l’échec de la République.

Il faut oser le dire haut et fort : les règles sont un enjeu politique. C’est une question de santé publique, d’égalité des chances, de justice sociale. Ce devrait être une priorité de l’État haïtien, une cause nationale, une urgence humanitaire. Mais que fait-on quand l’État est à genoux, et que la société civile lutte à mains nues ?

On s’organise. On résiste. Des organisations comme FIEF, Aid’Solis ou Espwa pou Fanm Ayisyèn prennent le relais. Elles distribuent des kits. Elles parlent. Elles éduquent. Elles refusent le silence. Mais elles ne peuvent pas tout.

Il est temps que les journalistes s’emparent de cette question. Il est temps que les élites haïtiennes comprennent qu’un pays où les filles sont absentes de l’école cinq jours par mois est un pays à genoux. Il est temps de briser les tabous, de faire de l’hygiène menstruelle un droit, et non une faveur.

Car au fond, la question n’est pas : « Pourquoi parler des règles ? »
La vraie question est : « Pourquoi se taire encore ? »

La rédaction du RHJS

Quitter la version mobile