Par Christian Bazile
Les couloirs feutrés de l’hôtel Karibe n’ont jamais semblé aussi chargés d’émotion, en ce vendredi 30 mai 2025. Tandis que crépitent au loin les rafales qui terrorisent quotidiennement la capitale, une centaine d’étudiants, d’universitaires et de journalistes ont répondu à l’appel de l’Institut du Bien-Être Social et de Recherches (IBERS). En ce vendredi consacré à la Journée nationale de l’Enfant haïtien, l’institution voulait frapper fort : tirer la sonnette d’alarme sur le sort des plus jeunes dans une Haïti déboussolée, tout en semant les graines d’un avenir plus sûr.

Un centre-ville défiguré
Dans la bouche des participants plane l’image d’un centre-ville de Port-au-Prince méconnaissable : écoles transformées en abris de fortune, salles de classe devenues dortoirs pour familles chassées de Solino, Bel-Air ou Carrefour-Feuilles. « On parle de milliers d’enfants soudain privés de toit, de pupitre, d’insouciance », souffle Michelet, étudiant en sociologie. Le constat étouffe la salle ; la discussion s’enflamme.
La voix de l’alerte
À la tribune, la directrice de l’IBERS, Arielle Jeanty Villedrouin, ne mâche pas ses mots : « Nous avons créé un Centre d’alerte pour que chaque citoyen puisse signaler un enfant réduit à la domesticité, abandonné, ou en proie à la violence. Sans dénonciation, pas de salut ; sans sanctions, pas de dissuasion ! » Elle plaide pour une justice plus rapide, plus ferme ; la salle applaudit. Mais, très vite, elle nuance : « Le véritable changement passera par le renforcement des familles : des programmes sociaux cohérents, générateurs de revenus, pas de simples distributions de riz ou de t-shirts. Autonomie plutôt qu’assistanat. »
Les frontières de l’indifférence
Cette année, un sujet brûlant s’invite dans les esprits : la déportation massive d’enfants haïtiens par les autorités dominicaines. Entre deux interventions, les étudiants échangent des vidéos prises à la hâte sur les réseaux. « On récupère des gosses de six ans, seuls à la frontière d’Elias Piña », raconte un bénévole. Un journaliste lève la main : « Qui plaidera pour ces enfants s’ils n’existent dans aucun registre ? » Silence.
Le plaidoyer des étudiants
Hervé Volcy, directeur des ressources humaines de l’IBERS et auteur de La raison d’être du bien-être et de la protection de l’enfant, relance le débat : « Être étudiant aujourd’hui, c’est embrasser une responsabilité citoyenne. Osons porter ces histoires, osons exiger des comptes. Plus nos discours seront avisés, plus nos actions seront efficaces. »
Le message passe : plusieurs facultés promettent déjà des clubs de veille citoyenne pour traquer les cas d’abus dans leurs quartiers.
Des chiffres derrière les vies
- 35 % des enfants déplacés à Port-au-Prince n’ont plus accès à l’école depuis au moins six mois, estime l’IBERS.
- Plus de 4 000 mineurs auraient été rapatriés d’urgence depuis la République dominicaine depuis janvier.
- Dans certaines zones rouges, 1 foyer sur 3 perd son principal revenu à cause des exactions de gangs.
Ces statistiques glaçantes défilent sur l’écran de la salle de conférence ; les regards se croisent, graves.
L’espoir en partage
Malgré la tempête, l’atmosphère n’est pas qu’à la lamentation. Entre deux tables rondes, on esquisse des solutions concrètes : bourses d’études pour enfants déplacés, partenariats avec les cliniques mobiles, formation accélérée de travailleurs sociaux. Au fond, un stand recueille des signatures pour une pétition exigeant un plan national de protection de l’enfance ; déjà plus de 1 500 paraphes.
« Ne pas laisser la peur gagner »
En clôture, Arielle Jeanty Villedrouin se dresse devant l’assemblée : « Les enfants constituent la boussole morale d’une nation. Si nous les perdons, nous perdons Haïti. Relevez-vous, engagez-vous, et souvenez-vous : Timoun an sekirite, se fondasyon pou lapè ak rekonstriksyon. »
Les applaudissements noient ses derniers mots. Dehors, le soleil décline sur Port-au-Prince. À l’intérieur, une promesse circule : tant qu’il restera des voix pour raconter l’enfance brisée, il restera des bras pour la protéger.
Christian Bazile
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