
Par Marnatha I. Ternier
Il a fallu profiter de l’assassinat de Jovenel Moïse pour implémenter le projet d’extermination du peuple haïtien. Dans le flou, la pagaille et les informations diffusées pour noyer la réalité, les gangs saisissent le moment pour se renforcer. Mieux organisés, mieux armés, ils montent en leadership. Porte-parole, dispositif de consultants, experts dans divers domaines y compris en matière médicale. Sur ce terrain-là, leur machine de guerre va jouer un grand coup en privant le peuple des hôpitaux pour maintenir des soins de santé. Pas besoin d’être sémiologue pour voir les signes, relever les symptômes dans notre corps social. Les plus fins, eux, pourront poser un diagnostic pour établir que ces hommes armés sont en mission. Justement. S’ils ne veulent pas que les établissements, les biens et les services de santé ne soient pas disponibles, accessibles et fonctionnels, c’est le droit à la vie qui est un droit humain existentiel qui est menacé en Haïti. En un mot : ce peuple n’a pas le droit d’être vivant.
De là découle toutes les tergiversations pour protéger et servir la population. Mais qui doit garantir la sécurité de la population ? Dans cet état de vacuité, la colère des brigades de nos quartiers gronde ; la vengeance populaire recourt au « bwa kale ».
Le champ des signes
Quand le service de la justice d’un pays est aux abonnés absents, il signe la condamnation à mort d’un peuple. Autant de territoires perdus en un laps de temps sont corrélés à l’inaction de la Justice. Lorsque ce Pouvoir ne joue pas son rôle, au nom de l’État, voilà ce que devient « Vivre ensemble » en Haïti.
Pas besoin d’être sémiologue pour que les signes deviennent clairs. Voilà pourquoi on refuse à notre peuple l’éducation. On enténèbre son esprit pour empêcher le miracle d’Haïti. Une Haïti dans la lumière fait peur. Un peuple éduqué à sa base ne tolèrera jamais de telles élites débonnaires plus soucieux de « l’effort dans le mal » pour s’enrichir allègrement. De telles élites bercées à bout de bras pour les mafias locaux et internationaux ne peuvent pas travailler pour la paix et le bonheur d’Haïti.
Ils sont employés pour exécuter le plan de leurs maîtres. À ce propos, une citation tirée d’une histoire populaire vaut mieux qu’un long discours. « Si blan an di w mouri, ou mouri. » (Si le blanc te dit que tu es mort, c’est que tu es mort.)
« Si blan an di w mouri, ou mouri. » Que comprendre d’un tel propos dans le contexte actuel ?
L’explication tragique : le blanc dit à l’Haïtien, tourne tes armes contre tes frères. Sans état d’âme, il le fait. Une telle action n’est pas spontanée, elle n’est pas fruit d’un cerveau uniquement appâté par le gain. Sa justification est beaucoup plus profonde. Une telle ligne de conduite est enracinée dans une culture, une production sociale, intellectuelle. C’est un signe, c’est un fait de l’homme haïtien qui se reproduit. Des tonnes de nouvelles dans la presse en font état au quotidien.
Si les hommes et femmes de pouvoir qui nous ont dirigé ont été utilisés par les blancs pour se détourner de l’intérêt général, pourquoi la génération actuelle ne reproduirait pas les mêmes gestes, les mêmes actions, les mêmes rites ? « Yo pa egare ».
Une violence abritée derrière un plan
La machine de cette organisation criminelle est si bien huilée qu’elle se dote d’un board, d’un staff de cerveaux qui font avancer les pions sur le terrain. Armée de tentacules en Haïti et dans nos « pays amis » qui nous embrassent pour mieux nous étrangler, ces hommes sans foi ni loi ont le moral pour mettre K.O la république. Ce moral puise son énergie dans une certitude : ils sont du côté des puissants. Ils s’en vantent sur les réseaux sociaux et ces vidéos explosent sur les écrans. Comment terroriser encore avec plus de force ?

Ces violences inconcevables qui déshumanisent nos populations s’abritent derrière un plan. Il y a une conscience politique derrière ces cruautés qui créent une situation insoutenable en Haïti. Ces horreurs ont des conséquences sur l’économie d’Haïti que l’Occident présente comme l’un des pays les plus pauvres du monde. Pour eux, c’est notre carte d’identité.
Derrière les maîtres du chaos, la tentation est grande : plus ils fragilisent Haïti, plus le pays s’enfonce dans la pauvreté, la corde au cou. Et plus les mafieux monopolisent l’État, plus le territoire s’affranchit à tout contrôle. Et tout devient possible.
Haïti est une terre de mémoire. Cette mémoire est combattue. Le complexe militaro-intellectuel des grandes puissances présente la première république noire indépendante du monde comme une anomalie.
En dévoilant l’hypocrisie des Lumières et des révolutions occidentales qui pratiquaient l’esclavage, Haïti sera désignée urbi et orbi comme une menace pour les puissances occidentales. Ce n’est pas sans raison que la France avait réclamé une indemnité de 150 millions de francs or à la jeune république pour la reconnaissance officielle de son indépendance.
Dans une Amérique séparée par la violence de l’humanité, Haïti continue de chercher un chemin de lumière dans l’écosystème des « pays amis » pour ne pas disparaitre complètement comme les Taïnos avec l’arrivée des Européens qu’ils ont accueillis avec déférence. Ce sont des faits qui font date.
Des faits dans un passé si récent
D’autres faits se succèdent et prolongent la tragédie.
Un jour, un arrêté d’expropriation est publié le 2 septembre 2010, huit mois après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Dans cet arrêté, il est déclaré qu’une large portion de la zone commerciale du centre de Port-au-Prince est d’utilité publique. Ce texte fondé sur un rapport conjoint de plusieurs ministres du gouvernement Préval-Bellerive, dont deux (2) ministres du même gouvernement de l’époque, sont encore en fonction aujourd’hui, a amorcé alors toute une dynamique de réaménagement urbain qui allait s’accélérer sous la présidence de Michel Martelly, entre le 14 mai 2011 et le 7 février 2016. En mai 2012, un nouvel arrêté du gouvernement Martelly réduit la zone expropriée de 200 hectares à seulement 30 hectares, officiellement pour construire une nouvelle Cité administrative. Le 31 mai 2014, les premières démolitions commencent ainsi, marquant le début de l’exécution du projet.

Dans ce contexte d’expropriation et de démolition à Port-au-Prince, le CIAT (Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire) a joué un rôle clé en coordonnant les actions gouvernementales visant à redéfinir l’urbanisme de la capitale. Le CIAT a également été impliqué dans la mise en place d’une méthodologie cadastrale et dans la réorganisation de l’administration foncière haïtienne, en collaboration avec divers partenaires, afin de sécuriser les droits fonciers et de soutenir le développement urbain.
Expansion silencieuse : quand l’expropriation devient colonisation
Le plan d’expropriation devient donc un plan d’extermination puisqu’il suffit d’offrir le salon à l’étranger, ou au visiteur, il réclame la chambre à coucher et profite pour évaluer du coup la possibilité de prendre possession de toute la résidence d’accueil.
Jusqu’à preuve du contraire, le cas de Mirebalais envahi par les gangs criminels en est un bel exemple d’improvisation dans le cadre de ce plan d’expropriation qui devient un vrai plan d’extermination formelle du peuple haïtien et qui va bien au-delà de l’aire métropolitaine.
Petite anecdote appropriée : en 2004, un correspondant depuis Mirebalais est alors interrogé par le journaliste Guyler C. Delva. Le correspondant de Mirebalais confirme pour Delva, journaliste très connu, chez nous, que des militaires de la Minustha ont tiré à bout portant sur des paysans qui venaient de découvrir un gisement d’or dans une certaine localité de Mirebalais.
Sur place, parmi ces paysans, il y a eu des morts bien entendu, selon la correspondance du journaliste de cette commune.
Coup de théâtre, dans les 48 heures qui allaient suivre cette information tragique, c’est plutôt l’annonce de l’assassinat du journaliste lui-même, cette fois, qu’on allait apprendre et qui est paradoxalement passée pourtant inaperçue dans l’opinion publique. Celle-ci n’a pas compris que ce journaliste est assassiné parce qu’il a osé parler dans la presse, de gisement d’or à Mirebalais et que cette info ne devait que passer sous silence.
Vingt (20) ans plus tard, les gangs foncent à Mirebalais un beau lundi d’avril, comme de fait, ils occupent toutes les zones stratégiques du pays en matière de richesses ou de ressources naturelles. Ils nous font avaler tout un charabia abracadabrant pour nous convaincre qu’ils ont envahi Mirebalais pour des prunes….
Ceci dit, en 2025, une question cruciale refait surface : le projet a-t-il changé de nature ou simplement changé d’échelle ?
Tout semble indiquer que la cartographie du pouvoir foncier s’étend désormais bien au-delà du centre-ville, vers des communes comme Kenscoff, haut lieu écologique et stratégique du massif de la Selle.
Pourquoi Kenscoff ?
Parce que cette commune de l’Ouest abrite une portion du massif montagneux qui relie Jacmel, Anse-à-Pitres, et s’étend jusqu’à Pédernales en République dominicaine. Une zone convoitée, soupçonnée de receler terres rares et ressources minières. D’autres départements riches en ressources naturelles, comme le Nord, notamment la frontière de Ouanaminthe, le Nord-Est, la plaine de Maribaroux, le Plateau Central, le Sud-Est, sont également à surveiller.
Autant de faits nous appellent à un réveil citoyen pour que nos élites se ressaisissent et conduisent le pays enfin sur la bonne voie.
Par Marnatha I. Ternier
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Haïti : il était une fois un plan d’extermination pour tout un peuple
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