L’inscription d’Haïti dans un plan final

Matière à réflexion

Notre monde est menacé par un phénomène qui le ronge comme un chancre : l’illimitisme. Cette illusion de pouvoir qui enfle la tête des mortels qui rêvent de devenir amortel fait trembler l’humanité sur ses bases. On veut tout avoir, et tout de suite ; quitte à saccager tout l’écosystème qui permet à la vie de s’épanouir. Au nom de la croissance, de l’individualisme et de cet illimitisme forcené, le droit des peuples est ce que veulent les puissants. Haïti, prise dans les filets d’une géopolitique machiavélique, se brise sous la force des armes qui nous cernent de tous côtés.

 

Par Marnatha I. Ternier

Le monde est pris dans la tourmente. Une irruption de folie fait voler en éclat tout esprit d’harmonie qui devait nous guider. Les plus forts, dans un monde idéal, devraient tendre la main aux plus faibles et nos voisins, eux, ne jetteraient pas de l’huile sur nos brasiers.

L’image du désarroi

Regardons Haïti, notre patrie : elle n’est ni Rome, ni le Royaume-Uni. Et pourtant, sous chaque toit, les langues se délient, car voilà que d’autres nations se dressent en nouveaux maîtres de notre terre. Urbi et orbi, Haïti attire les convoitises. Le Vatican, les États-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne fixent leur regard sur la perle des Antilles, tel un joyau disputé à voix feutrées. Et les pays qui, à chaque grande réunion, se proclament partenaires du développement durable, ne viennent souvent que pour réclamer leur part du gâteau, nappe déjà dressée, couverts sur la table. Et dans l’ombre, les subalternes, notre voisin immédiat, et ce « frère » venu de loin, guettent, espérant ronger quelques os délaissés, tout en arborant le masque noble de la solidarité. Car ici, la générosité internationale a souvent le goût discret d’un investissement bien calculé.

Ce n’est pas parce que Donald Trump avait traité notre pays de « shitole » que nous ne répéterons plus après Simon Bolivar : « Haïti, cette émeraude tombée de la bague de Dieu dans la mer des Caraïbes, est une terre de luttes pour la liberté. »

Regardez ce qu’ils ont fait de nous. Non ! Haïti ne mérite pas ce sort. Ce n’est pas un fait du hasard. Cette situation que nous avons héritée n’est pas tombée du ciel. Elle n’est pas non plus le fruit de certaines forces souterraines issues de l’enfer. Cette situation est le produit de nos élites intellectuelles, politiques et économiques.

L’Hôpital général sous les flammes

Regardez la galerie des amis d’Haïti : Binuh, CoreGroup, MMSS, Ambassades, Consulats, OIF, UNESCO, Pays amis, Caricom, OEA, ONU, Pays voisins, Pays africains, Latinos américains, Anglosaxons, Union européenne, BID, Banque mondiale.

Avez-vous vu comment ils nous ont traité ?

Des faits pour un autoexamen

Haïti, comme au premier temps, est seul au monde. Enveloppée dans sa solitude depuis deux siècles, Haïti se débat, corde au cou, refusant de rendre l’âme. On regarde le temps s’égrener jusqu’à notre perte. L’étau se resserre autour de nous. L’aire métropolitaine aujourd’hui est occupée par les gangs criminels apparemment jusqu’à plus de 90 %.

Au juste, que veulent-ils ?

Un État contrôlé tout à fait par des gangsters pour donner le champ libre au déroulement des activités terroristes. Transformer Haïti en un désert médical pour que personne n’arrive à trouver des soins de santé ; fermer les écoles, les universités, les centres de métier pour que l’on retourne à l’âge de la pierre.

Pourquoi n’avons-nous pas fait le choix de l’éducation ?

Les livres dessinent l’avenir

Ne pas faire choix de l’éducation est une volonté d’enténébrer les esprits. Une volonté pour que Haïti ne soit pas un miracle. « Haïti, là où la Négritude s’est mise debout pour la première fois », pour parodier Aimé Césaire, ne doit pas mourir. Haïti, Quisqueya ou Bohio est une terre de mythe, d’épopée et de luttes pour la liberté. Et c’est par l’éducation que l’on développera les facultés intellectuelles et morales de ce peuple afin qu’il s’améliore et arrive à s’arracher – par l’autoexamen – de cette servitude qui nous pousse à nous retourner ignoblement contre nous-mêmes.

Regardez comment aujourd’hui on chasse nos paysans de nos terres fertiles ! On les expulse à coup de mitraille pour qu’on n’arrive plus à mettre quelque chose sous la dent. Souvenons-nous de l’homélie, en janvier 1991, de monseigneur François Wolf Ligondé : « Si les Haïtiens ne pensent qu’à assouvir leur vengeance au lieu de s’unir pour sauver la terre nourricière qui s’en va à la mer, en l’an 2000 on mangera des roches, et en l’an 2004 on célèbrera le deuxième centenaire de l’indépendance dans un désert. »

Notre peuple est en danger. En attendant l’Organisation des Nations-unies a les yeux rivés dans sa chartre et ses piles de dossiers moisis sur les droits humains.

Le monde, un terrain de jeu des puissants

Regardez comment les gangs sont passés maîtres en diversions. Ouvrons nos yeux sur leur procédé. Ils manœuvrent vers le Plateau Central, Mirebalais, notamment, pour mieux rebondir dans l’Ouest, sur Port-au-Prince. Ainsi vont-ils boucler la boucle des 100 pour 100 promis.

« Sa nou wè a se sa. » Ce qu’on voit, c’est ce qu’on voit.  Les gangs – qui baignent à toutes les sauces dans un plat de spaghettis –, sont les nouveaux mercenaires du crime actuel. Ils facilitent les choses sous le couvert de fédération de gangs, de famille et alliés. Peu importe leur appellation. Les puissants n’ont pas d’alliés. Ils n’ont que des serviteurs à leurs ordres.

Les démolisseurs de la République ne savent pas que les puissants ont le goût de partager le monde comme un gâteau.  Rappelons-nous qu’en 1697, par le traité de Ryswick, l’Espagne et la France avaient partagé l’île d’Haïti.

À chaque fois que les gangs sèment la terreur et la violence, ils clament haut et fort leur forfait. Ils l’affichent. Ils publient leur crime énorme afin que nul n’en ignore. Et quand ils signent avec une joie de vivre ce qu’ils ont orchestré, ils exaltent : « Nous le faisons exactement comme le Blanc nous le demande ». Quelle éclatante illustration de l’intériorisation de la volonté du maître par la bouche de ses esclaves !  Cet aveu pour blanchir leur noire conscience témoigne aussi de la situation de nos élites déboussolées, incapables de s’arracher à ces liens qui le ligotent.

Comment de tels propos peuvent-ils franchir les lèvres des héritiers des vaillants guerriers qui se sont battus à Vertières?

Les gangs – armés du bras des enfants du peuple pour détruire Haïti –, sont animés, sans le savoir, par la volonté d’être esclave. Ils ne sauront jamais qu’ils mènent une bataille honteuse pour la reconquête du pays par leurs maîtres.

Des faits et des interrogations

Les armes létales et les munitions se déversent beaucoup plus que les aliments de base qui pourraient aider les familles et éviter les décès dus à la malnutrition. Les gangs dépouillent les petites marchandes de leur négoce ; ils tuent, pillent, brûlent, et violent. Ils sont en mission. Même nos forces de l’ordre n’osent les arrêter.

Des armes en Haïti pour détruire la vie

Connaissez-vous un territoire perdu en Haïti qui a été récupéré ? Pourquoi lorsque la communauté internationale monte au créneau, c’est du vent ? Pourquoi ce vent souffle-t-il sur nos brasiers ?

Connaissez-vous le meilleur moyen au 21ème siècle pour exterminer tout un peuple ? Pourquoi isoler Haïti du reste du monde ?

Depuis l’année 2021, année qui coïncide avec l’assassinat du président Jovenel Moïse, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021 dans sa résidence de Pèlerin 5 non loin de Pétion-Ville, tous les vieux démons se déchaînent sur notre territoire. Un complot contre le pays est ourdi de main de maître. Cette fois-ci, ils ont soulevé les marginaux. Ils ont armé nos jeunes, nos enfants des quartiers populaires ; ils les ont promis monts et merveilles. Les ghettos ont pris le relai des forces armées d’occupation étrangères. Ils arrivent à endiguer les fleuves de manifestants sur le béton mieux que nos forces de l’ordre.

Les faits qui s’écrivent par nos historiens de l’instant sont liés à des antécédents.  René Préval entre 1997 et 1998, avait déjà tenté d’évacuer le projet d’unification de l’île qui devait s’appeler « Projet Hispaniola » sous le Label dominicain. Bien avant René Préval, on ne nous avait pas encore expliqué « ce petit désordre » commis et avoué par l’ex-président Jean Bertrand Aristide.

Le président René Préval, lui, avait contourné adroitement le plan d’expropriation de la capitale, Port au Prince, durant son second mandat présidentiel. Avant de quitter le pouvoir en 2011, il avait signé un arrêté pour mettre la machine en route.

Arrivé au pouvoir, le président Michel Martelly, sans rencontrer la moindre résistance, foncera tout droit dans le plan établi qui nous a conduit aux ruines actuelles. Or, tout est parti de là et personne n’est venu encore nous expliquer, non plus, les détails de ses nombreux voyages réalisés à travers le monde durant son mandat présidentiel entre 2011 et 2016.

Michel Martelly est l’un des présidents haïtiens qui a le plus voyagé à l’étranger. Un vrai recordman. Entre juin 2011 et juin 2015, il aura réalisé quarante (40) déplacements internationaux, totalisant 1 941 jours d’absence du pays.  Ces voyages auront occasionné des dépenses significatives, avec des per diem estimés à environ 3,8 millions de dollars américains.

Et qu’aura-t-il négocié durant tous ces voyages ?

En remontant le film des évènements, l’histoire nous prend aux tripes.  Les faits sont là. Près de dix (10) mille personnes sont assassinées entre le coup d’état de 1991 qui prend fin en octobre 1994, et le coup d’état de février 2004 qui sera suivi d’un pouvoir de facto avec un président fantoche.

Des professeurs, des étudiants, beaucoup de jeunes brillant d’avenir sont tombés en 2004, à travers le mouvement GNB. Après l’assassinat spectaculaire de Jovenel Moïse en juillet 2021, la machine à décimer s’est remise en route. La classe politique à travers le Conseil présidentiel de transition (CPT) actuel de neuf (9) membres, sonne purement et simplement le glas.

La classe économique, pour sa part, est tombée très facilement dans le panneau des sanctions économiques qui dénonce parfois leurs implications directes dans des cas de crimes organisés, de corruptions, de blanchiment, de financement du terrorisme, ou de complicité dans des cas d’assassinat crapuleux.

Les dernières statistiques officielles datant de 2024 révèlent que notre population est estimée à douze (12) millions d’âmes. Plus de quatre (4) millions résident dans le département de l’Ouest.

Pourquoi cet étrange focus sur Port-au-Prince, la capitale ?

Ce sont ces quatre (4) millions de personnes qu’on assassine, qu’on asphyxie depuis 2021, car on les empêche de vaquer librement à leurs occupations habituelles. Ce sont aussi tous ces départements du Nord au sud et de l’est à l’ouest, soit plus de sept 7 autres millions d’habitants qu’on empêche de circuler de leurs provinces vers la capitale. Ou encore, de la capitale vers l’étranger sous prétexte que les vols commerciaux sont en insécurité sur notre territoire.

Nos nuits comme nos jours sous haute tension s’enveloppent de ténèbres. En ces moments vacillant de doute, laissons la flamme de patriote qui brûle en nous allumer. « Ayiti pap péri » ! N’ayons pas peur. Nous devons avoir l’intransigeance de ce courage ancré dans l’énergie de Vertières pour sortir du cycle du malheur, du drame, de la catastrophe d’une gouvernance apte à générer le malheur, le mal être, la pauvreté pour le plus grand nombre. Haïti renaitra.

Marnatha I. Ternier

 

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