Manuel scolaire : bouée de sauvetage en période de crise

Matière à réflexion

Si l’école a toujours subi les impacts négatifs de l’instabilité socio-politique en Haïti, ces 15 dernières années, la situation s’est aggravée à un rythme vertigineux. Jamais les établissements scolaires n’ont fait face à de si rudes épreuves. Les jours et les heures de classe s’amenuisent, et nombreuses sont les écoles qui tendent à disparaître au fur et à mesure que le phénomène des « territoires perdus » s’amplifie sous les coups de boutoir des gangs armés.

Dans ce contexte particulier, un constat s’impose : le recours à la technologie comme la seule alternative viable permettant aux écoles de rester en vie, à travers des cours en ligne. Mais est-il vrai que le numérique reste la seule planche de salut ? Et dans quelle mesure peut-on rendre cette solution plus efficace dans le contexte haïtien ?

Les livres dessinent l’avenir

En voulant se tirer vite d’affaire, on a tendance à oublier que l’emploi des outils numériques se heurte souvent à un certain nombre d’aléas : problèmes d’énergie électrique, connexion Internet instable, coût exorbitant des appareils électroniques, etc. Donc face à ces obstacles s’impose la nécessité d’un support tout-terrain, plus pratique et répondant aux exigences pédagogiques : le manuel scolaire. Et pourquoi donc ? Au moins pour les cinq raisons que nous allons évoquer.

Le manuel scolaire, trait d’union en temps de crise

Les crises récurrentes des dernières années ont contraint les enfants à passer plus de temps à la maison qu’à l’école : soit parce que leurs écoles sont détruites, vandalisées ou transformées en refuges pour déplacés ; ou parce que les zones de localisation de leurs établissements deviennent impraticables. Ainsi, pour garder un tant soit peu de rythme, les écoles organisent des cours en ligne, mais dans des conditions loin d’être idéales ; car rares sont les écoles en mesure de se doter d’une plateforme d’apprentissage standard. Pour pallier cette carence, on recourt souvent à WhatsApp (application peu adaptée aux activités académiques), Zoom ou encore Google/Meet. S’il est vrai que ces applications-là aident à connecter les apprenants aux professeurs, elles n’intègrent aucun support didactique structurant l’apprentissage.  Dans ce contexte particulier, le manuel scolaire devient le seul trait d’union fiable et incontournable entre l’enseignant et l’apprenant. Tout en complétant le travail amorcé en ligne, il permet la poursuite des activités hors connexion.

Le manuel scolaire structure les cours à distance

En principe, les notions ou connaissances à inculquer aux apprenants découlent d’un curriculum produit et imposé par le ministère de l’Éducation nationale. Aucun enseignant, si brillant soit-il, ne peut prétendre maîtriser l’entièreté d’une matière, ne serait-ce que le programme d’une seule classe, avec toutes les activités pédagogiques et didactiques subsidiaires audit programme. Jusqu’à date, le seul support capable de répondre à ces exigences, c’est le manuel scolaire.

L’imprimerie de la MET

Définitivement, le manuel est l’élément qui offre le plus de garantie aux différents acteurs du système : responsables d’écoles, enseignants, parents et apprenants. Bien de spécialistes du domaine s’accordent sur le fait que l’école commence à la maison. En ce sens, pour bien assurer la transmission du savoir, il devient indispensable que le professeur prépare son plan de cours à l’avance. Et pour ce faire, non seulement il a besoin du livre de chevet (le manuel de référence du cours), mais assez souvent il lui faut d’autres ouvrages complémentaires. Et avec les approches pédagogiques contemporaines qui placent l’apprenant au centre du processus d’apprentissage, il devient essentiel que celui-ci participe aussi à la préparation de son cours. Tout cela est impossible sans un support adapté : le manuel scolaire.

Le manuel scolaire optimise les (rares) cours en présentiel

En période de crise sécuritaire aigüe, les cours en présentiel, quand ils sont possibles, valent leur pesant d’or à cause du fait qu’ils deviennent essentiels, rares et risqués pour plus d’un. Peut-on imaginer un professeur usant ce temps précieux à copier des notes au tableau ?

À bien regarder, doter les élèves de manuels complets et didactiquement solides est l’option rationnelle qui appelle l’enseignant et l’apprenant à tout construire sur une base régulière pour recueillir, transmettre et élever le savoir. Lorsqu’il peut compter sur le manuel, le professeur pourra profiter des rares cours en présentiel pour en survoler les différents chapitres déjà vus en ligne, insister sur l’essentiel des contenus et assigner des devoirs de maison aux apprenants pour les jours difficiles.

Le manuel scolaire stimule le développement de l’autonomie chez l’apprenant

Les périodes de crise représentent l’un des moments où le sens de l’autonomie dans l’apprentissage est le plus sollicité. Tous les pédagogues se mettent d’accord sur le fait qu’il n’y a pas meilleur apprenant que celui qui peut avancer seul ou presque. Mais même autonome, l’apprenant a besoin d’un guide, d’un support bien charpenté, bien organisé et élaboré en fonction des compétences à développer et lui permettant de s’entraîner à travers un ensemble d’activités et d’exercices riches et variés.  Dans la dynamique de l’apprentissage, l’esprit s’élargit au contact de plusieurs ouvrages. Un fait est certain, en période de crise, les apprenants autonomes sont ceux qui parviennent toujours à garder une longueur d’avance et qui facilitent le travail des enseignants que ce soit à distance ou en présentiel, à travers des classes-ateliers.

Des livres pour dessiner l’avenir

Avec de bons manuels en main, l’apprenant autonome profile l’image d’une personne douée d’une certaine compétence pédagogique. À force de tirer la quintessence du savoir acquis dans les livres, il se révèle déjà, aux yeux de ses camarades, un professeur en herbe.

Le manuel scolaire pour atténuer les effets néfastes de l’absentéisme des professeurs dans les écoles publiques

S’il est un facteur qui dégrade encore plus le système scolaire haïtien, c’est la récurrence des grèves des enseignants dans les écoles publiques. Quelles qu’en soient les raisons et aussi légitimes que soient ces mouvements de protestation, il n’en demeure pas moins vrai que les élèves des écoles publiques en souffrent énormément. Et l’injustice qui leur est infligée est d’autant plus grande que, venant pour la majorité des couches sociales défavorisées, ces élèves n’ont pas les moyens pour se doter d’ouvrages de qualité leur permettant de travailler seuls ou  en groupe à travers le système de pédagogie par les pairs ou encore avec l’aide d’un précepteur ou des parents à la maison. D’où l’impérieuse nécessité pour l’État de systématiser le programme de dotation de manuels scolaires dans les écoles publiques et la subvention ciblée en faveur des écoles défavorisées.

Au‑delà de la qualité de l’enseignement dispensé, le manuel scolaire demeure l’accompagnateur omniprésent des apprenants, surtout quand les crises les confinent à la maison. En effet, le livre plus que tout autre support, facilite les cours à distance, en offrant à l’élève un recueil de connaissances (pour découvrir, apprendre, comprendre, s’entraîner et s’autoévaluer), à l’enseignant une aide pour la gestion de ses cours et une banque d’exercices,  aux parents la possibilité d’assurer un certain suivi dans l’apprentissage.

Nous en profitons pour lancer un ultime appel citoyen à la conscience et au sens de responsabilité de tous les acteurs et prescripteurs du système : cadres supérieurs du MENFP, directeurs et directrices d’écoles, parents. Dans cette période ô combien difficile de la vie nationale, le devoir vous incombe de garder le flambeau de l’espoir (ou ce qui en reste) encore allumé en mettant le plus de livres possible à la portée de nos jeunes. Aux responsables dont les établissements ont été endommagés ou vandalisés : n’abandonnez pas ! Trouvez un médium de connexion quelconque avec vos élèves et assurez‑vous qu’ils disposent de manuels adaptés. Travaillez d’un commun accord avec les parents pour que vos apprenants continuent à étudier et à bien s’entraîner à la maison. Le peu de lumière dont nous sommes les dépositaires nous confère une très grande responsabilité : celle de garder en vie une nation. Haïti se meurt, mais pour son salut, il nous reste encore une voie sûre : L’ÉDUCATION !

Frantz Toussaint

ftoussaint_mch@yahoo.fr

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