Haïti, toujours « roulée dans la farine » : la tragédie se joue aux Nations Unies .
Dans un climat rappelant la tragédie de Macbeth de William Shakespeare, où ambition, culpabilité et corruption du pouvoir se mêlent, les Nations Unies ont abordé la crise persistante en Haïti. Cette image théâtrale reflète la gravité et la complexité de la situation : un État fragilisé, des forces extérieures influentes et une population prise en étau.
La propagande et les enjeux internationaux
Dès le début, il faut noter que si la propagande du président kényan William Ruto n’a pas trouvé écho du côté américain, au regard des déclarations du tout nouveau secrétaire d’État, récemment ratifié par le Sénat des États-Unis, Marco Rubio, il n’en demeure pas moins que l’habile Ruto a su manœuvrer pour faire passer sa campagne, malgré son caractère mensonger, et récupérer les efforts de la Police nationale d’Haïti (PNH) avec l’appui de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS). Une majorité des intervenants ont unanimement salué l’action de la mission dirigée par le Kenya, comme si la PNH n’existait pas ou n’avait rien accompli en matière de sécurité. Heureusement, notre chancelier, Son Excellence Jean Victor Harvel Jean-Baptiste, a su remettre les pendules à l’heure avec élégance, en félicitant les vaillants policiers haïtiens qui, malgré des moyens limités, ont mené des opérations majeures aux côtés des Forces Armées d’Haïti et, bien sûr, de la MMAS.
L’intervention de madame Maria Isabel Salvador (BINUH)
La représentante spéciale du secrétaire général pour Haïti et chefffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti, madame Maria Isabel Salvador, a pris la parole, empreinte d’espoir, en soulignant des signes de progrès politiques, sans toutefois en préciser la nature. Elle a néanmoins dressé un tableau alarmant de la situation en Haïti, tout en identifiant comme signe positif l’arrivée, le 18 janvier, de 217 policiers kényans, dont une équipe avancée de cinq femmes. Elle a lancé un appel vibrant aux bailleurs de fonds pour qu’ils se montrent généreux, afin d’alléger les souffrances en Haïti et de permettre le relèvement du pays. En conclusion, elle a invité les acteurs haïtiens à surmonter leurs différends et à collaborer, tout en prévenant que le progrès durable nécessite des efforts simultanés, à la fois sur le plan politique et sécuritaire, soutenus par une solidarité internationale continue.
Point de vue de Mme Ghada Waly (ONUDC)
Selon Madame Ghada Waly, directrice exécutive de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la violence en Haïti n’a cessé de s’intensifier depuis sa dernière intervention. Les gangs, en quête de contrôle sur des territoires stratégiques, mènent des attaques meurtrières contre la population et les forces de l’ordre. Ils recourent à des tactiques brutales, notamment des massacres. Leur expansion territoriale, qui atteint actuellement 85 % de Port-au-Prince, est soigneusement planifiée pour la mainmise sur les ressources et la recherche d’alliances avec certaines élites politiques et économiques.
La coalition criminelle « Viv Ansanm » intensifie ses attaques sur des zones stratégiques. Elle cherche à asphyxier les régions échappant encore à son influence. Parallèlement, les marchés illicites, notamment le trafic de stupéfiants, aggravent la situation. Depuis les années 1980, un réseau influent, composé de militaires, de responsables de l’ordre et de membres du secteur privé opérant en Haïti comme à l’étranger, contrôle ce trafic. Ce cercle, profondément enraciné, doit être démantelé pour enrayer le flot de drogues vers Haïti.
Les acteurs politiques et économiques utilisent également l’industrie de l’anguille (zangi) pour blanchir les revenus de ces activités criminelles. L’ONUDC appelle les autorités haïtiennes à enquêter sur le blanchiment d’argent lié aux trafics illégaux, notamment des espèces protégées. Le comble de la situation, le trafic d’êtres humains, particulièrement inquiétant, expose des enfants à des recrutements forcés par les gangs.
Le représentant des États-Unis
L’intervention du représentant des États-Unis souligne les défis majeurs d’Haïti en gouvernance, sécurité et aide humanitaire. Elle appelle à prioriser la transparence, à inclure femmes et jeunes dans le processus politique, et à lutter efficacement contre les violences des gangs. Dans cette perspective, les États-Unis réaffirment leur engagement aux côtés de l’ONU, du gouvernement haïtien et de la communauté internationale pour stabiliser le pays, améliorer la sécurité et garantir l’accès à l’aide humanitaire essentielle. En fait, l’objectif reste d’assurer la paix, la sécurité et la prospérité pour le peuple haïtien.
Le représentant de la Russie
Le représentant de la Russie estime, pour sa part, que la crise haïtienne résulte d’un vide de pouvoir démocratique, aggravé par l’incapacité des autorités provisoires et le faible effectif de la Police nationale d’Haïti. Aussi déplore-t-il l’absence de perspectives électorales et le sous-financement de la mission internationale, qui peine à stabiliser la situation. Dans la même veine, il appelle les bailleurs à débloquer les fonds promis et à envisager un ajustement de la présence internationale une fois des résultats concrets seront obtenus.
Par ailleurs, il pointe du doigt le flux d’armes vers Haïti, qu’un seul État pourrait stopper, mais il n’a pas manifesté sa volonté de retenir son écoulement en aval. En ce sens, il reproche aux États-Unis de manipuler la crise via des sanctions unilatérales, jugées inefficaces. La Russie, de ce point de vue, préconise une approche équilibrée en matière de sanctions, ainsi qu’une aide concrète pour que les Haïtiens reprennent en main leur destin.
Le représentant de la France
La France salue le déploiement de 217 nouveaux policiers kényans, suivi de 152 militaires guatémaltèques et de huit (8) militaires salvadoriens, soutenant la mission de sécurité. Ces contributions restent vitales pour appuyer la PNH et éviter l’effondrement institutionnel.
La France renforce son engagement en augmentant ses contributions à cette force multinationale, à hauteur d’environ 10 millions de dollars : 8 millions en fonds fiduciaires et 2 millions de dollars via l’Organisation internationale de la francophonie, destinés à des formations pré-déploiement en français et en créole. S’y ajoute l’aide bilatérale accordée à la PNH, qui se chiffre à 2 millions d’euros depuis 2023.
Convaincue que les Nations Unies peuvent fournir un soutien stratégique, opérationnel et logistique essentiel, la France soutient la demande haïtienne de transformer la MMAS en mission de maintien de la paix dès que possible. Elle attend à cet effet le rapport d’options du secrétariat général. Enfin, elle rappelle avoir alloué 16,5 millions d’euros d’aide humanitaire en 2024 pour combattre l’insécurité alimentaire et secourir les populations déplacées, et elle réitère son engagement en Haïti.
La position de la République dominicaine
Le représentant de la République dominicaine a salué la solidarité louable du Kenya, tout en constatant que la nature même de la mission MMAS complique l’acheminement des ressources et la mise en place d’arrangements logistiques. Il regrette que les résultats obtenus ne soient pas à la hauteur des objectifs fixés.
Le représentant dominicain a également soutenu la position du conseiller présidentiel Lesly Voltaire, condamnant toute tentative d’inclure un groupe criminel au sein d’un éventuel gouvernement de transition. Une telle initiative représenterait une menace pour Haïti et pour l’ensemble de la région. Il plaide pour l’application de sanctions fermes et pour que toute personne ou entité soutenant ces organisations criminelles soit traduite en justice.
Trois points soulevés par la Chine :
1) Instabilité politique
La Chine estime que les revers politiques en Haïti favorisent la montée en puissance des gangs.
2) Violence des gangs
Elle exprime une vive inquiétude pour les populations innocentes, signalant que 50 % des membres de gangs sont des enfants, recrutés pour leur survie. De plus, une collusion existerait entre certains gangs, des responsables politiques et des acteurs du secteur privé. La Chine exhorte Haïti à assumer ses responsabilités et demande aux États membres de faire respecter l’embargo sur les armes, tout en appliquant fermement les sanctions pour endiguer les flux de munitions.
3) Responsabilités internationales
La Chine rappelle que la situation haïtienne est liée à des facteurs externes, notamment l’ingérence américaine et la création de la MMAS par les Américiains. Elle insiste sur le rôle limité de l’ONU et préconise un accompagnement international visant à aider la population haïtienne à trouver ses propres solutions, sans pour autant considérer l’ONU comme une solution définitive.
La réunion du Conseil de sécurité s’est tenue dans un contexte dramatique, entre espoir et constat d’échec. Tandis que certains acteurs internationaux vantent leurs initiatives ou pointent du doigt la responsabilité d’autrui, la population haïtienne demeure la première victime de ces tensions. Les efforts et les financements promis devront se concrétiser si l’on veut vraiment enrayer la spirale de violence, renforcer la gouvernance et offrir une perspective de stabilité à Haïti.
Loin des fracas de ce théatre qu’offre aujourd’hui le monde, retenons cette note d’atmosphère. Dans la grande salle où brillent les lustres, les riches nous rient au nez. Les puissants s’observent tout en se léchant les babines. Ils se délectent copieusement à nous regarder dans un miroir aux convoitises … notre pays se rétrécit de honte sous les moqueries des plus forts. Mais la plus petite force qui se plie parallèle à la terre finira un jour par se redresser et bondir vers le soleil.
Marnatha I. TERNIER
23 janvier 2025