L’Épiphanie jette un pont entre le spirituel et le terrestre. Cette tradition millénaire ancrée dans la culture haïtienne s’enrichit de nos coutumes ancestrales et la colore d’une palette nouvelle comme nos peintres (Philomé Obin, Castera Bazile, Rigaud Benoit, Gabriel Leveque, Adam Leontus, Wilson Bigaud, Jasmin Joseph et Préfète Duffaut) qui avaient transformé, à travers une fresque, la cathédrale de Sainte-Trinité de Port-au-Prince.
Le 6 janvier, communément appelé Jour des Rois, marque en réalité l’Épiphanie, une célébration chrétienne qui symbolise l’union du divin et du terrestre.
Selon la tradition, l’Épiphanie commémore la visite des trois rois mages : Melchior, Gaspard et Balthazar, à l’enfant Jésus, guidés par une étoile éclatante. Leurs présents : l’or, l’encens et la myrrhe, transcendent leur matérialité pour révéler la triple nature du Christ : un Roi humble, un Divin parmi les hommes, et un Sauveur par le sacrifice.
Ces offrandes renferment un message universel, fondé sur trois (3) piliers : l’amour, la justice et l’espoir, qui vont et viennent comme ils veulent au-delà des frontières tant religieuses que culturelles. Plus qu’une simple commémoration théologique, ces symboles s’inscrivent dans une temporalité universelle, influençant pratiques religieuses et traditions culturelles partout, à travers le monde. Ainsi, l’Épiphanie est devenue un pont entre le spirituel et le terrestre, entre le passé et l’avenir, entre l’individuel et le collectif.
Les trois modèles de vie inspirés par l’Épiphanie
- La révélation de la divinité
L’encens, symbole de prière et de spiritualité, affirme la dimension divine du Christ. Ce message invite à une universalité spirituelle, reconnaissant en chaque être humain une valeur transcendante et encourageant l’égalité et la fraternité entre les peuples.
- Une royauté différente
L’or symbolise une royauté fondée sur l’humilité et le service. Contrairement aux puissances terrestres, la royauté du Christ incarne l’amour et la justice. Ce modèle inspire un leadersphip moral, basé sur la dignité et la responsabilité envers autrui.
- La mission rédemptrice et le sacrifice
La myrrhe, utilisée pour embaumer, préfigure la souffrance et le sacrifice du Christ. Ce symbole enseigne que le véritable amour implique le don de soi, invitant à transcender la douleur pour bâtir un avenir empreint de résilience et d’unité. Toutefois, ces principes peuvent être critiqués lorsqu’ils mènent à une idéalisation excessive de la souffrance ou, plutôt, à une acceptation passive des injustices. Ainsi, l’Épiphanie, par ses symboles, tisse un pont entre le spirituel et le terrestre, une invitation à méditer sur la grandeur enfouie dans l’humilité.
L’Épiphanie à travers la planète
La fête des Rois est riche en traditions et riche aussi de significations culturelles qui varient d’un peuple à un autre, d’une culture à une autre. En France, par exemple, elle est associée à la galette des rois, où celui qui trouve la fève devient le “roi” ou la “reine” d’un jour. En Italie, par ailleurs, à l’occasion de ce jour férié national, la Befana, figure folklorique, distribue cadeaux ou charbon aux enfants selon leurs comportements.
Si l’Épiphanie unit les cultures par des traditions festives variées, elle conserve également une profondeur spirituelle, particulièrement dans les pratiques religieuses.
En Haïti, cette fête prend une dimension unique, entre rites catholiques et influences syncrétiques, illustrant la richesse de l’identité culturelle haïtienne.
Dimension liturgique
L’Église catholique célèbre l’Épiphanie avec une solennité particulière, marquée par une grande messe en l’honneur des Rois mages. Dans de nombreuses paroisses, cette fête est ponctuée de cérémonies spéciales, mettant en scène une procession symbolique des Rois mages. Des enfants ou membres de la communauté, vêtus en Melchior, Gaspard et Balthazar, apportent des présents symboliques : l’or, l’encens et la myrrhe, qu’ils déposent avec révérence devant la crèche. Cette tradition, empreinte de spiritualité, renforce le lien entre les fidèles et le mystère de l’Incarnation. De plus, il est d’usage que les crèches demeurent en place jusqu’au jour de l’Épiphanie, prolongeant ainsi la méditation sur la naissance du Christ.
Au-delà des messes et processions catholiques, l’Épiphanie en Haïti révèle une dualité fascinante. Elle devient le reflet d’un dialogue entre le catholicisme et le Vodou, où les symboles et rituels se croisent pour honorer à la fois notre foi chrétienne et les esprits ancestraux.
L’Épiphanie en Haïti : une richesse syncrétique
En Haïti, l’Épiphanie prend une dimension unique, à la croisée des traditions catholiques et vodou. Si l’Église catholique célèbre cette fête par des messes solennelles et des processions, le vodou y ajoute une profondeur spirituelle distincte, en honorant des loas comme Papa Legba, Baron Samedi et Ogou.
Des cérémonies qui mêlent chants, danses et offrandes de rhum, tabac ou miel reflètent une vision syncrétique de la fête. Ces pratiques symbolisent la prospérité, la spiritualité et la guidance pour l’année à venir, renforçant ainsi la richesse de l’identité culturelle haïtienne.
Cérémonie de nettoyage et de renouvellement
Certains groupes utilisent cette fête pour effectuer des rituels de purification collective. Cela peut inclure des bains spirituels et des aspersions d’eau bénite ou de feuilles sacrées.
Une fête sociale
Une part importante des familles haïtiennes, bien ancrées dans la tradition de l’ancienne métropole d’influence française, se réunit à l’occasion de cette fête. Tous les enfants et petits-enfants convergent chez le doyen ou la doyenne de la famille. Cette célébration, communément appelée “fèt Granmoun”, donne lieu à un somptueux dîner où toute l’argenterie est sortie pour l’occasion. Un Gâteau des Rois, souvent orné de nuances bleu royal, et une liqueur rouge spécialement préparée pour la circonstance, y sont partagés. Autrefois, au sein des administrations, il était courant que les collègues marquent cette fête en s’échangeant un gâteau sec et une bouteille de liqueur, renforçant ainsi les liens sociaux et professionnels.
Symbolisme et sources d’inspiration pour les artistes
Royauté, divinité, souffrance :
Ces dimensions, échos d’une humanité partagée, résonnent bel et bien dans la littérature et dans l’art universels, révélant, pour ainsi dire, toute une quête de sens, de pouvoir et de résilience traversant les âges.
En littérature :
Dans Le Roi Lear de Shakespeare, le pouvoir déclinant de Lear, sa quête de rédemption par la souffrance, et son humilité finale incarnent une transformation spirituelle profonde.
En poésie :
Dans Les Fleurs du Mal de Baudelaire, “L’Albatros” symbolise la grandeur intérieure et l’isolement douloureux, montrant comment la souffrance nourrit la transcendance artistique.
Dans la mythologie grecque :
Prométhée, titan sacrificiel, illustre le lien entre pouvoir, souffrance et don au service de l’humanité.
En art :
Le Couronnement d’épines du Caravage capture l’idée que la vraie royauté réside dans l’humilité et le sacrifice.
Une leçon pour la jeunesse
Les dimensions de royauté, divinité et souffrance peuvent servir de guide pour la jeunesse haïtienne dans son rejet de la haine et sa quête d’unité :
Incarner la dignité et le leadership moral : Promouvoir une vision du pouvoir fondée sur l’humilité et la solidarité.
Rejeter les divisions : Bâtir une société inclusive, affranchie, libérée des préjugés liés à la classe, les affiliations politiques ou encore les croyances religieuses.
Transformer la souffrance en résilience : Comme les Rois mages ont suivi l’étoile pour trouver une vérité universelle, les figures haïtiennes comme Boukman et Dessalines ont guidé le peuple vers la liberté tout en transcendant la souffrance.
Un appel à l’union
Je viens de vous le décrire, l’Épiphanie comporte donc de nombreux symboles intemporels. Elle rappelle notamment que la grandeur réside dans l’humilité, que la divinité appelle à la compassion, et que la souffrance peut devenir un levier de transe-formation. Ces principes renvoient à des phares intemporels qui, pris dans une logique haïtienne ou nationale, sont capables d’éclairer notre chemin vers une Haïti unifiée, moins divisée et moins déchirée. Enfin, le passé inspirera ainsi un avenir tissé d’espoir, de justice et de solidarité.
Bonne fête de l’Union.
Que vive cette étoile qui doit raviver notre force…
Marnatha I. Ternier
6 janvier 2025