Par Marnatha I. TERNIER
Après l’indépendance, des campagnes systématiques ont visé à discréditer le vodou. On a associé la religion du peuple à la sorcellerie. Le vodou a été présenté comme un obstacle à la modernisation, voire un symbole d’arriération. Du temps de l’esclavage, à l’échelle des infractions, ces rituels ont été érigés au niveau de crime. C’était une stratégie pour briser la résistance des esclaves, car le vodou représentait un puissant ciment social et un moyen de communication entre les différentes ethnies. Malgré cette répression, le vodou a survécu, devenant un symbole de résilience culturelle et de lutte pour l’indépendance. Cependant, ces efforts de répression ont laissé des traces profondes, contribuant ainsi à la stigmatisation de cette pratique.
La haine, comparable à l’arsénite de sodium, agit insidieusement en Haïti, empoisonnant les racines de notre identité. Cet herbicide autrefois utilisé pour détruire plantes et arbres jugés indésirables est aujourd’hui proscrit dans de nombreux pays en raison de sa toxicité.
Pourtant, dans le contexte haïtien, ce poison demeure une métaphore puissante pour décrire toute forme de dynamique interne et externe : des influences destructrices exercées par des forces extérieures et des comportements auto-infligés qui minent l’âme nationale. Ce poison prend racine à la fois dans l’histoire de la colonisation, de l’esclavage et dans celle de nos luttes pour l’indépendance. Par exemple, les esclaves importés d’Afrique, souvent issus de tribus rivales, furent regroupés sur des terres étrangères, déracinés de leurs traditions et de leurs familles, et ils furent aussi plongés dans un système d’oppression conçu essentiellement pour les diviser.
Les colons exploitèrent donc ces différences en instaurant des hiérarchies artificielles : les esclaves de maison étaient opposés aux esclaves des champs, et les affranchis, souvent encouragés à se croire supérieurs, étaient plutôt utilisés pour maintenir la domination coloniale.
Ces divisions internes, savamment orchestrées, affaiblirent la solidarité et limitèrent les résistances collectives. Héritage de cette stratégie de “diviser pour régner”, ces tensions continuent encore de marquer les sociétés post-esclavagistes, nécessitant aujourd’hui une manière de réconciliation basée sur la solidarité et la reconnaissance des racines communes.
La cérémonie de Bois Caïman : Genèse d’une résistance spirituelle
Dans la nuit du 14 au 15 août 1791, sous le leadership de Boukman, houngan et visionnaire, une cérémonie vodou a insufflé chez les esclaves tout un désir de liberté. Ce rassemblement spirituel marquait le début d’une lutte collective contre l’oppression coloniale. Cependant, bien que l’indépendance ait été proclamée en 1804, les tentatives des puissances étrangères de maintenir Haïti dans une forme d’« esclavage spirituel, mental et chronique » n’ont jamais cessé. Ces efforts visaient à étouffer la culture et l’identité haïtiennes, laissant un poison à la fois culturel et psychologique.
Le Décret du 28 janvier 1797 : une tentative de répression culturelle ; contexte historique
En 1797, les autorités coloniales françaises ont adopté un décret visant à réprimer la pratique du vodou. En criminalisant ces rituels, elles cherchaient à briser la résistance des esclaves, car le vodou représentait un puissant ciment social et un moyen de communication entre les différentes ethnies.
Interdire le vodou était également une attaque contre un élément fondamental de l’identité des esclaves. Cette pratique n’était pas seulement spirituelle, mais également une expression de solidarité et de résistance psychologique face à l’oppression.
Le décret illustrait une tentative de maintenir la domination coloniale en éradiquant toute forme de dissidence culturelle et spirituelle. Le vodou représentait une menace directe pour l’ordre colonial en inspirant l’organisation et la résistance des esclaves.
Malgré cette répression, le vodou a survécu, devenant un symbole de résilience culturelle et de lutte pour l’indépendance. Cependant, ces efforts de répression ont laissé des traces profondes, contribuant à la stigmatisation de cette pratique.
Stratagèmes des éternels colons : désinformation et stigmatisation
Après l’indépendance, des campagnes systématiques ont visé à discréditer le vodou. Faussement associé à la sorcellerie, il a été présenté comme un obstacle à la modernisation et un symbole d’arriération.
L’Église catholique et les missions protestantes ont joué un rôle majeur dans la tentative d’éradication du vodou. En imposant leurs doctrines, elles ont contribué à dévaloriser les croyances et pratiques culturelles haïtiennes.
Les systèmes éducatifs post-indépendance, influencés par des modèles eurocentrés, ont marginalisé les contributions africaines et vodouesques à l’histoire haïtienne. L’éducation était souvent utilisée comme un outil pour imposer des normes culturelles et linguistiques françaises.
Occupation américaine (1915-1934) : cette période a imposé des structures économiques et culturelles étrangères, affaiblissant davantage les traditions locales.
L’influence des médias occidentaux a progressivement dévalorisé les pratiques culturelles haïtiennes, notamment chez les jeunes générations.
Résistance culturelle
La migration forcée des Haïtiennes et des Haïtiens, exacerbée par des crises politiques et économiques, a non seulement rompu les liens communautaires, mais également freiné la transmission des traditions culturelles. Dans un monde dominé par l’économie de la connaissance, cette fuite des cerveaux constitue une perte significative pour Haïti, affaiblissant sa capacité à se construire, à valoriser son patrimoine et à se développer.
Malgré les tentatives historiques et contemporaines de déracinement culturel, l’Haïti moderne continue de résister et de chercher à réhabiliter son identité. Le vodou, jadis perçu comme une menace, est aujourd’hui réévalué comme un élément essentiel du patrimoine haïtien.
Les efforts de réhabilitation doivent passer par une éducation inclusive, une valorisation des traditions locales et une réduction de la dépendance économique et culturelle envers les puissances étrangères. En réaffirmant ses racines, Haïti pourra transformer ce poison latent en une source de force et de résilience pour les générations futures.
Il est clair qu’en rejetant nos racines, nous nous détestons nous-mêmes. Cette haine se répand jusqu’à nos pairs, sur notre culture et sur notre pays, exacerbant ainsi les divisions qui paralysent Haïti. Retrouver l’amour de soi et de ses origines est un acte nécessaire pour réparer ces blessures profondes.
L’amour de soi commence par la réconciliation avec notre histoire et notre identité. Accepter et valoriser nos traditions, comme le vodou, et notre héritage africain est essentiel pour créer une base solide d’unité nationale. En cultivant cet amour pour nos racines, nous pourrons transcender la haine et reconstruire un pays plus fort.
Le poète Aimé Césaire a raison quand il écrit : « Une patrie, c’est d’abord une communauté d’hommes unis par des liens spirituels et historiques profonds. » Justement, c’est en nous reconnectant à ces liens que nous pouvons raviver tout un sentiment d’appartenance et d’amour pour Haïti. Manifestement on peut construire sur l’amour. À partir de la portance de ce support on peut édifier, sous le souffle de l’inspiration, un avenir meilleur pour toutes les femmes, les hommes et les enfants de ce pays dans une vision inclusive.
La division et la haine ne peuvent être surmontées qu’en embrassant notre identité et en travaillant ensemble pour une Haïti unifiée, fière de son passé et confiante en son avenir.
En ce début d’année 2025, il est urgent de retenir que la haine, ce sentiment violent qui nous pousse à engendrer du chaos autour de nous, est toxique pour la vie en société. Au lieu de se repousser mutuellement, mutualisons plutôt nos forces, nos génies, nos expériences pour un état de complet bien-être physique, mental, social et environnemental pour que s’épanouissent les êtres et les choses sur cette terre sacrée que nos ancêtres nous ont légué en héritage.
À l’heure actuelle, il est urgent de retenir qu’aucun gouvernement, aucun président élu, aucun Premier ministre, aucune junte, aucun pouvoir public, aussi performant soit-il, ne pourra gouverner un peuple déchiré ou divisé.
Il est urgent enfin que l’on puisse en tant que peuple se débarrasser de cette formule négative qui veut que « Depi nan Ginen nèg rayi nèg… » Du fond de nos entrailles, un cri venu du fond des âges explose : Non! Nous rejetons ce cliché qui nous essentialise. Nous nous distinguons plutôt par des valeurs positives qui fondent notre culture liée à l’Afrique, berceau de notre fierté et de nos origines ; l’Afrique comme source où nous puisons en permanence notre renaissance.
L’Afrique ne sera plus jamais le berceau de nos racines confuses et empoisonnées.
Références :
1. Dubois, Laurent. Avengers of the New World: The Story of the Haitian Revolution. Cambridge: Harvard University Press, 2004.
2. Hurbon, Laënnec. Le Vodou haïtien: Entre mythe et réalité. Paris: Cerf, 1993.
3. Trouillot, Michel-Rolph. Silencing the Past: Power and the Production of History. Boston: Beacon Press, 1995.
4. Plummer, Brenda Gayle. Haiti and the United States: The Psychological Moment. Athens: University of Georgia Press, 1992.
5. Nicholls, David. From Dessalines to Duvalier: Race, Colour and National Independence in Haiti. Cambridge: Cambridge University Press, 1979.
Marnatha I. TERNIER
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