Une note des administrateurs du FORUM PATRIMOINES HAITI à propos de l’article de M. Robert Berrouët Oriol, intitulé : « La « soup joumou » dotée du statut chimérique de « soupe de l’Indépendance » ou l’histoire d’une frauduleuse affabulation dénuée de fondements historiques ».
Face à l’émotion provoquée par l’article La « soup joumou » dotée du statut chimérique de « soupe de l’Indépendance » ou … l’histoire d’une frauduleuse affabulation dénuée de fondements historiques, publié sous la plume de Robert Berrouët-Oriol, le 18 novembre 2024 dans le magazine en ligne MADININ’ART et retransmis en boucle sur les réseaux sociaux, les administrateurs du groupe Forum Patrimoines Haïti estiment : dans l’intérêt de la vérité, de la probité intellectuelle et du respect du travail effectué par plusieurs experts et techniciens haïtiens, membres du Forum, qu’il est nécessaire de poursuivre la réflexion afin de clarifier un certain nombre de points soulevés dans cette publication.
Cet exercice est d’autant plus important qu’à la suite de l’intérêt manifesté par l’auteur de l’article, ce dernier a été intégré à notre communauté le 28 novembre 2024. Et de ce fait, il fait partie de notre groupe de discussions. La décision d’inclure M. Berrouët-Oriol avait été prise dans l’espoir qu’il en résulterait un débat académique et un échange fructueux pour l’information aussi bien des membres que du grand public. Ce genre de débat, dans le respect de la liberté intellectuelle, de la connaissance scientifique et du patrimoine culturel haïtien en particulier constitue une des raisons d’être même de notre Forum. Ce débat, en particulier, nous avait paru d’autant plus pertinent qu’il semblait être souhaité par l’auteur qui dit soumettre ses graves accusations patrimonicides « d’amateurisme et d’incompétence au débat public ».
Les administrateurs du Forum demandent donc à M. Berrouët-Oriol de bien vouloir fournir aux membres du Forum et à tous ses lecteurs des réseaux sociaux certains éclaircissements concernant la méthodologie utilisée pour la rédaction de cet article à prétention scientifique.
Dans la toute première phrase de l’article, l’auteur se réfère à « la fort controversée histoire de l’inscription de la « soup joumou » sur la Liste repr
ésentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Il aurait été utile à un lecteur attentif d’avoir les références permettant d’identifier, consulter et évaluer dans quelle mesure, à part sa propre intervention, d’autres auteurs et/ou institutions qui participent ou ont participé de cette controverse. Malheureusement nous n’avons pas eu droit à cela.
La source prioritaire utilisée par l’auteur pour asseoir son propos semble être principalement médiatique (publications de presse en ligne). La consultation de certains documents aurait été selon nous essentielle pour avoir véritablement une idée du sujet en question, des exigences qui s’appliquent à tous les dossiers de candidature soumis pour inscription sur la Liste représentative pour la sauvegarde du patrimoine immatériel de l’humanité ainsi que du travail réalisé par différents groupes et institutions haïtiens pour constituer le dossier de la « Soup joumou » qui a été régulièrement soumis par l’État haïtien le jeudi 25 mars 2021 et inscrit par l’UNESCO comme patrimoine de l’humanité le 16 décembre 2021.
Parmi ces documents manquant dans la webographie de l’auteur, citons d’abord la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO (2003), les Directives opérationnelles et les critères pour l’inscription sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Une lecture de ces documents normatifs clés permettrait de constater que le critère d’historicité n’est pas mentionné.
M. Berrouet est-il au courant du contenu des ateliers de renforcement de capacités communautaires et nationales pour l’implémentation de la Convention de 2003 en Haïti ? Dans sa revue de littérature, a-t-il analysé le communiqué de l’État haïtien reconnaissant le statut de patrimoine national de la pratique ? A-t-il pu consulter le programme de formation des enquêteurs qui ont réalisé avec succès le travail de terrain ? Ne faudrait-il pas citer le nom des institutions nationales, les noms des formateurs et enquêteurs, le lieu et la durée de cette formation ? A-t-il eu en main l’inventaire actualisé qui a été réalisé, coordonné par qui, sous la direction de qui ? A-t-il pu analyser les fiches de cet inventaire et le dossier soumis par l’État haïtien ?
Pour l’auteur, quelle est la validité, l’importance du consentement libre et éclairé des porteurs, détendeurs et animateurs de cette tradition, l’argument [anti]identitaire et contre toute forme de cohésion sociale haïtienne présenté aux lecteurs ? Les aurait-il consultés ? Quand et où ?
Quels sont les acteurs institutionnels, les institutions, les personnalités qui ont été consultés (organismes publics, société civile, techniciens, communauté, université, équipe de l’inventaire) ?
L’auteur a-t-il eu en main les éléments du dossier qui a été transmis à l’UNESCO le 25 mars 2021 pour l’inscription de la « Soup joumou » dans le cadre de sa sauvegarde internationale?
L’auteur a-t-il lu les deux rapports périodiques produits par l’État haïtien et régulièrement soumis comme exigence de chaque État partie à la Convention de 2003 ? A-t-il consulté le Rapport de l’organe d’évaluation de l’UNESCO ou le procès-verbal des débats en plénière lors de l’analyse du dossier le 16 décembre 2021 ? Ces lectures lui auraient permis de prendre connaissance des thèmes qui ont été discutés et se rendre compte qu’à aucun moment la dimension « histoire » évoquée n’a été un critère.
En ce qui concerne l’inventaire auquel fait référence M. Berrouët-Oriol, il semble s’être trompé de dossier, car celui qui est cité ce n’est pas celui qui a été utilisé selon l’esprit de la Convention de 2003. Cette seule erreur suffit à discréditer toute son argumentation. Dans le cas où l’auteur les aurait consultés et aurait choisi de ne pas les citer, pourquoi une telle rétention des preuves matérielles qui devaient supporter son argument « historiste » ?
Alors que la présente communication était en cours de rédaction, nous apprenons à l’instant par un communiqué du Ministère de la Culture et de la Communication que « le savoir-faire et les pratiques traditionnelles liés à la production et à la consommation de la cassave ont fait l’objet d’une inscription multinationale sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, le mercredi 4 décembre 2024, lors de la 19e session du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel tenue à Asunción en République du Paraguay. » Le ministère poursuit en soulignant que « cette inscription est le fruit d’une coopération entre Cuba, le Honduras, la République dominicaine, la République bolivarienne du Venezuela et Haïti ».
Cette annonce vient à point nommé pour mettre en lumière le travail effectué avec peu de moyens et dans des conditions tellement difficiles par une équipe dynamique de chercheurs, société civile et personnalités engagés à la sauvegarde de ce type de patrimoine « fragile ». Leur engagement permet à Haïti de jouer pleinement son rôle dans la sauvegarde du patrimoine culturel de l’humanité.
Trop souvent, la distance avec le pays réel influe sur la vision que certains peuvent se faire de ce qui s’y réalise en dépit des contraintes aussi bien institutionnelles, matérielles que sécuritaires. Il est malheureusement trop facile de se faire une idée erronée de la réalité sur le terrain et de préjuger de l’incompétence et de l’amateurisme de tous les Haïtiens. De même, comment ne pas prendre en compte que les dossiers soumis par un État partie pour l’inscription d’un bien culturel sur la Liste du patrimoine de l’humanité font l’objet d’une analyse par un comité d’évaluation de l’UNESCO composé d’experts de différents pays. L’acceptation des dossiers soumis par Haïti est la preuve de leur qualité et les techniciens haut niveau qui ont travaillé bec et ongles sur ces candidatures méritent respect et reconnaissance.
Au nom des membres du Forum patrimoines Haïti, les administrateurs exhortent M. Berrouët-Oriol à reconnaitre qu’il s’est trompé de combat et que ses propos patrimonicides ne suffiront pas pour réduire l’importance et la signification de la « Soup joumou ». Mythe ou pas, la complexité de la mémoire collective, nous apprend sagement que chaque peuple s’invente et [re]invente, une manière de s’ « identifier » dans l’universalisme latéral d’un monde pluriel.
Kesler Bien-Aimé
Philippe Châtelain
Ginette Chérubin
Daniel Elie
Djénane François
Administrateurs du Forum Patrimoines Haïti
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