En ce 1er décembre 2024 qui consacre la Journée mondiale de lutte contre le Sida, à l’hôtel Montana, les statistiques se déploient. Sur le support de fond, qui illustre en grand format les informations, se lit : « Suivons le chemin des droits. » (An n respekte dwa tout moun pou n fini ak sida).
Dans la grande salle de l’hôtel Montana, les officiels égrènent des chiffres. Le directeur pays et représentant de l’ONUSIDA en Haïti, le Dr Christian Mouala, prononce son discours. « En 2023, Haïti a progressé dans sa riposte au VIH avec une réduction de 34 % des nouvelles infections à VIH depuis 2010 et moins de personnes meurent du VIH. Depuis 2010, le pays a enregistré une réduction de 75 % des décès liés au VIH. De même que les progrès vers les objectifs 95-95-95 en Haïti en matière de dépistage et traitement en cascade du VIH sont de 96 % des personnes vivant avec le VIH qui ont été diagnostiquées, 85 % d’entre elles sont sous traitement et 74 % des personnes sous traitement ont une charge virale supprimée ». Ces chiffres, soutient-il, sont du Programme national de lutte contre le Sida en 2024.
Le Dr Mouala croit dur comme fer que « le monde peut mettre fin au Sida en tant que menace pour la santé publique si les droits de l’homme de même que ceux de toutes les personnes vivant avec le VIH ou exposées au risque d’infection sont protégés. »
Des représentants de plusieurs institutions nationales et internationales interviennent à tour de rôle au pupitre. Le représentant du Fonds mondial, le Dr Hans Larsen du Comité de Coordination multisectorielle des projets de Fonds mondial en Haïti; la représentante spéciale du secrétariat général des Nations unies en Haïti, Maria Isabel Salvador, l’ambassadeur des États-Unis en Haïti, Denis Hankins; le président du forum de la société civile de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, le Dr Fritz Moïse; le président de la Fédération haïtienne des associations de PVVIH, Edouard Dieufait; le représentant du Conseil présidentiel de transition, le Dr Louis Gérald Gilles.
Tous ces intervenants ont formulé le souhait de voir se réaliser l’objectif de l’ONUSIDA à l’échelle mondiale pour 2030 : « 95-95-95, soit diagnostiquer 95 % de toutes les personnes séropositives, fournir un traitement ARV à 95 % des personnes diagnostiquées et obtenir une charge virale indétectable pour 95 % des personnes traitées, d’ici à 2030. »
Des slogans et des pancartes à la Journée mondiale du sida
Des hommes et femmes de plusieurs organisations de personnes infectées et affectées par le VIH/Sida brandissent soudain des pancartes dans la salle où se déroulent la cérémonie. Ils ont toute une liste de revendications. S’inspirant du thème de cette édition, ils claquent des formules frappantes inscrites dans la dynamique du moment qui veut que les droits humains, incluant le droit à la vie et à la liberté, ne soient pas que des paroles moutonnières jetées en l’air.
Une dame, bien endimanchée, hurle : « Debloke wout yo! » D’autres protestataires reprennent en chœur les mêmes cris. Des PVVIH croupissant dans des camps de déplacés, profitant de cet intervalle, réclament que les pouvoirs publics prennent toutes les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité des citoyens et celle des biens. « Sekirite nou mande! Sekirite nou mande! » Sentant leur vie menacée, ils scandent : « Si nou pa jwenn medikaman, li pap bon pou nou. »
Une femme, corpulente, retenue par deux hommes, crie comme une bête blessée : « M pa p tounen nan stad Sida ankò! ». Armée de sa pancarte, elle proteste parce qu’elle voit déjà à l’horizon de graves problèmes se profiler. Si elle n’a pas sa dose quotidienne d’ARV, le virus se fixera davantage dans ses cellules, particulièrement celles du système immunitaire : les lymphocytes T CD4. En se multipliant, faute d’ARV, elle sait que cela va créer des résistances. D’où sa chute. Ses jours seront comptés.
Face aux pancartes, des chiffres
Les pancartes défilent avec des messages : « Leta peyi m, PVVIH yo mande w sekirite ak travay pou yo ka gen yon lavi miyò »; « Nou bezwen èd pou PVVIH ki viktim vyolans yo »; « Batay kont VIH/Sida pap kanpe ».
Les discours continuent : « Le ministère de la Santé publique exprime sa solidarité avec les PVVIH. C’est aussi un appel à la bonne gouvernance et au leadersphip dans la mise en œuvre des pratiques et des stratégies de traitement et de prévention du PVVIH pour mettre fin à la pandémie du Sida », déclare le ministre de la Santé publique, le Dr Duckenson Lorthe Blema.
Les pancartes sont brandies. Quelques protestataires viennent se placer près du pupitre où le nouveau ministre de la Santé délivre, imperturbable, son discours : « Le rapport de 2023 au programme national de la lutte contre le Sida du MSPP indique que l’incidence du VIH a connu une baisse de 28% entre 2018 et 2023. Selon les données statistiques de la riposte d’octobre 2023 à septembre 2024 publiées dans le dernier feuillet informatique du PNLS en décembre 2024, la prévalence du VIH/Sida est estimée à 1.6%; le nombre de personnes vivant avec le VIH est de 145 000. On a enregistré 5 600 nouveaux cas de VIH et 1 500 décès dus au Sida pour l’année 2023. Au 30 septembre 2024, nous comptions 124 177 patients actifs placés sous ARV. » Plus loin, le ministre ajoute : « Le VIH/Sida n’est pas seulement un problème de santé publique, c’est un défi social et économique. »
En cette Journée mondiale de lutte contre le Sida en Haïti, les déterminants de la santé ont explosé dans les pancartes et les slogans pour rappeler le préambule de la Constitution de l’OMS: « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »
À l’hôtel Montana, les PVVIH ont réclamé à corps et à cri « An n respekte dwa tout moun pou n fini ak Sida ». Ces cris arriveront-ils à alimenter la réflexion de tout un chacun sur l’eau potable, l’hygiène publique et l’assainissement, la sécurité, la paix et le travail, la bonne gouvernance et le sens de l’engagement de la communauté internationale envers les droits de l’homme ?
Claude Bernard Sérant
serantclaudebernard@yahoo.fr
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