Insécurité : nouveau virus mortel dans la lutte contre le SIDA en Haïti

 

La situation dramatique que vit actuellement la population haïtienne interpelle plus d’un sur l’avenir des jeunes de ce pays qui constitue plus de 60% de la population active. Le dernier rapport du Fonds des nations Unies pour l’enfance souligne que 50% des membres de gangs qui opèrent dans la région métropolitaine sont des jeunes et le recrutement des enfants a connu une augmentation de plus de 70% en 2024. Le nombre de déplacés internes a atteint les 800 milles personnes. Les récentes attaques dans les quartiers de Solino, de Nazon et leurs environs ont provoqué l’exode de plus de 40 milles personnes fuyant la violence des hommes armés. Cette situation inquiète la communauté internationale au point que le mercredi 20 novembre dernier une réunion s’est tenue au Conseil de sécurité de l’ONU pour discuter de la question.

Par Eddy Trofort

Lors d’une rencontre spéciale du Conseil de sécurité de l’ONU sur Haïti, Dr Bill Pape co-fondateur des Centres GHESKIO, dans son intervention, a attiré l’attention des membres de cette structure onusienne sur la situation dramatique du pays causée par l’insécurité avec des conséquences néfastes dans la lutte contre le SIDA. Ce médecin de longue carrière et professeur de médecine clinique au Weill Cornell Medical College de New York se présent également comme une victime directe de l’insécurité à plusieurs niveaux. Son fils a été kidnappé et retenu pendant plusieurs mois et GHESKIO qui offre des soins gratuits à des milliers de personnes notamment les Personnes vivant avec le VIH (PVVIH), a été obligé de fermer ses portes au Bicentenaire en raison des affrontements des gangs armés dans le quartier de Martissant entièrement occupé par des bandits.

Dr Bill Pape co-fondateur des Centres GHESKIO à l’OMU

« En 1981, j’ai été appelé pour consulter des patients adultes atteints de diarrhée chronique à l’hôpital Universitaire d’Etat. Ces cas se sont avérés être les premiers patients haïtiens reconnus atteints de ce que nous appelons aujourd’hui le sida. Cela m’a incité, avec huit autres professionnels haïtiens, à créer le GHESKIO le 2 mai 1982, l’une des premières institutions au monde dédiées à la lutte contre le sida. Notre mission était claire : fournir des soins, une formation et des recherches. Aujourd’hui, plus de 40 ans plus tard, le GHESKIO est l’un des plus grands centres de soins du sida et de la tuberculose des Amériques, offrant des soins gratuits à plus de 300 000 patients », a rappelé Dr Pape au Conseil de sécurité des Nations-Unies.

Dr Pape a indiqué qu’au fil du temps, des progrès incroyables ont été enregistrés dans la lutte contre le VIH en Haïti. Il a rappelé que le sida, qui a été la principale cause de décès en Haïti pendant des décennies, est désormais la septième cause, responsable de seulement 5,6 % des décès. Des progrès qui sont sérieusement sapés par les violences maintenues dans la région métropolitaine et alimentées par des secteurs mafieux obligeant plus de 800 milles personnes au nombre desquelles des PVVIH à abandonner leurs maisons.

Un appel lancinant

A cette Journée mondiale du Sida ce 1er décembre, les organisations de PVVIH appellent les autorités sanitaires du pays à prendre des mesures pour accompagner ce groupe minoritaire, fortement touché par la situation sécuritaire du pays.

Art urbain pour combattre la stigmatisation et la discrimination

Mme Esther Boucicault Stanislas de la FEBS fait remarquer que les PVVIH forcés de quitter leurs maisons ne pouvaient plus recevoir leurs médicaments. Elle salue les efforts de la Georgetown University (GU), qui grâce au programme ‘’Drug Dispensation Point’’ (DDP), a permis aux clients de récupérer gratuitement les ARV disponibles dans des supermarchés, chez des notables, des pharmacies sans trop de difficulté. La présidente de la FEBS dans le bas Artibonite plaide également pour le renforcement économique des PVVIH avec des activités génératrices de revenus (AGR) afin de les rendre plus autonomes. Dans le département de l’Artibonite notamment dans la ville de St Marc connue pour son passé dans la lutte contre le VIH, la situation est compliquée avec l’incursion des bandits armés dans plusieurs communes de cette région.  Mme Stanislas souligne que les PVVIH qui étaient des agriculteurs ont abandonné leurs jardins dans l’Artibonite à cause de ces violences.

La situation économique dégradant a, d’ailleurs, été souligné à l’encre forte par Dr. Pape dans son intervention dans l’hémicycle du Conseil de sécurité des Nations-Unies. « L’économie haïtienne a connu une croissance négative pendant cinq années consécutives, la capitale est complètement coupée du reste du pays et nous connaissons le plus grand exode et la plus grande fuite des cerveaux de notre histoire. Plus de 800 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays et les taux de meurtres, d’enlèvements, de viols et de malnutrition sévère ont atteint des niveaux sans précédent » a rappelé le Professeur de médecine Clinique de Cornell Medical Collège de New York.

a pause pour le mémorial à FEDHAP Plus

Le Co-fondateur des Centres GHESKIO a indiqué que la plupart des hôpitaux, y compris l’hôpital universitaire d’État, sont désormais fermés et seulement 25 % des établissements médicaux de la capitale restent opérationnels, ce qui exerce une pression écrasante sur ceux qui sont encore debout, y compris le nôtre.

 

Une réalité insoutenable

Dr. Bill Pape, a également indiqué que 70 % du personnel de GHESKIO a quitté le pays. « Des lettres de démission arrivent presque chaque semaine a-t-il souligné. 68 % des employés ont dû fuir leur domicile. Au cours des trois dernières années, 26 membres du personnel ont été kidnappés dont deux au cours des deux derniers mois seulement. Il souligne que son propre fils a été kidnappé en novembre 2023 et détenu pendant trois mois et demi, une épreuve terrible pour sa famille », regrette-t-il.

Dr William Bill Pape fait remarquer : « Il est facile de partager des statistiques sinistres, mais elles ne rendent pas pleinement compte du coût humain, de ce que ressentent les personnes qui doivent vivre cet enfer chaque jour : Que dire à une fille de 13 ans qui a été victime d’un viol collectif, est tombée enceinte et était trop jeune pour comprendre ce qui arrivait à son propre corps ? Nous l’avons aidée à accoucher d’un bébé qu’elle a immédiatement rejeté jusqu’à ce jour. Quel avenir l’attend, elle et son enfant ? », se désole le médecin.

« Comment consoler un homme attaché chez lui, forcé de regarder sa femme et ses deux filles se faire violer et mutiler ? … Deux jeunes mères ont été assassinées. L’une a été abattue devant sa fille de 4 ans, laissant derrière elle deux enfants, dont un bébé d’un an et un mari qui a été kidnappé l’année dernière. L’autre, une urologue nouvellement formée, était récemment revenue des États-Unis pour servir son pays. Elle laisse derrière elle un mari et un jeune enfant.

Pour une intervention étrangère

Devant le Conseil de sécurité des Nations-Unies, Dr Pape a plaidé pour une intervention étrangère plus solide estimant que la mission multinationale dirigée par le Kenya ‘’ne fonctionne pas’’. Le Médecin spécialiste des maladies infectieuses dit croire qu’aucun haïtien vivant dans cette réalité infernale ne serait favorable à cette demande, seule alternative à un génocide dans ce pays de la Caraïbe ayant combattu pour l’abolition de l’esclavage et qui a joué un rôle crucial dans la libération des pays de l’Amérique du Sud.

La journée mondiale célébrée cette année autour du thème « Suivons le chemin des droits » aura une autre résonance avec la voix de Dr Bill Pape qui a clairement indiqué dans l’hémicycle du Conseil de sécurité des nations que les infectés du virus du Sida en Haïti n’ont plus de droit face à l’enfer qu’ils vivent au quotidien en Haïti rappelant au passage que le nouveau virus mortel de la population haïtienne n’est plus le VIH mais l’insécurité qui ravage la première république noire du monde.

Eddy Trofort

Journaliste

(509) 47 272491

troforteddy@gmail.com

Photo : Courtoisie UN

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