Haïti fait partie des pays de la Caraïbe où la lutte contre le sida engagée au début des années 2000 a connu le plus de succès. Des figures comme Esther Boucicault Stanislas reste sans aucun doute l’une des plus marquantes de ce combat acharné mené contre la discrimination et la stigmatisation envers les personnes affectées et infectées par le virus responsable de cette maladie. Cette femme a connu un revers sans précédent en avril 1998 au Rex théâtre alors qu’elle s’apprêtait à prendre la parole pour sensibiliser les jeunes contre le fléau que représentait le SIDA durant cette période. Esther Boucicault Stanislas a été chahutée, sifflée, bousculée alors qu’elle était sur la scène de cette salle de spectacle au Champ de Mars, à Port-au-Prince.
Le début d’une longue guerre
En décembre 1998, Esther a été la première personne infectée par le VIH à dévoiler sa séropositivité au grand public sur une chaîne de télévision, à visage découvert. Elle était interviewée par le rédacteur en chef de Le Nouvelliste, Dr Carlo Désinor. Le risque était énorme, mais il le fallait car trop de jeunes et de personnalités commençaient à mourir suite à la contraction du VIH sans pouvoir être soignés.
Au début des années 2000, l’Organisation mondiale de la santé a ouvertement fait de la lutte contre le VIH un problème de santé publique. Des conférences organisées dans plusieurs régions du monde pour sensibiliser les Gouvernements autour de la question ont ouvert les yeux des décideurs politiques sur le danger de ce virus immunodéficient. En Haïti, le Fonds mondial de lutte contre le VIH a mobilisé d’importants financements pour soutenir des interventions afin de réduire l’impact du virus dans les communautés.
La FEBS : un modèle de réussite dans l’Artibonite
Les données publiées par le Ministère de la santé publique et de la Population (MSPP) entre 2008 et 2012 montrent que la région de l’Artibonite a été la plus touchée, notamment la commune de St Marc. L’installation de la Fondation Esther Boucicault Stanislas (FEBS) a été stratégique pour protéger les jeunes de cette région, laquelle n’étaient pas suffisamment informés et sensibilisés du danger que représente le VIH. Sous le leadership d’Esther, la FEBS a permis de réduire considérablement le nombre d’infections en assistant les personnes infectées dans la ville de St Marc. En décembre 2007, une marche nationale a été organisée dans le bas Artibonite. Cette activité avait rassemblé des milliers de personnes, notamment des activistes venus de plusieurs régions du pays en vue de soutenir la lutte d’Esther B. Stanislas pour les PVVIH.
Les activités de la FEBS dans la ville de St Marc ont permis de récupérer plusieurs centaines de jeunes garçons et jeunes filles qui faisaient du trottoir. De ces jeunes, plus de 60% ont été infectés par le VIH après avoir bénéficié des tests de dépistage au VIH. Ils ont été immédiatement mis sous ARV pour empêcher d’autres contaminations dans la région. Il a fallu l’intervention de la FEBS pour attirer l’attention des responsables du Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) sur la situation dans le bas Artibonite la plus touchée par le phénomène. Des programmes ont été mis en place pour la distribution de médicaments et une prise en charge plus importante des personnes infectées et affectées notamment les enfants orphelins. Une école de jardin d’enfant et de primaire dirigée par Dr Michèle Altagrace Maignan a été aménagée à Bois Leta, une section communale de St Marc, en faveur de ses enfants.
Une lutte menacée par l’insécurité
Ce combat acharné contre le virus du Sida connait un revers considérable depuis les cinq (5) dernières années avec la dégradation de la situation sécuritaire en Haïti. Les PVVIH vivent une nouvelle réalité avec le déplacement de millier de personnes fuyant les violences des gangs armés dans plusieurs régions du pays notamment dans le département de l’Artibonite. Au début du mois de septembre 2024, plus de 70 personnes ont été assassinées dans la commune de Pont-Sondé par les gangs armés obligeant plus de 6000 personnes à s’installer dans trois abris provisoires à St Marc selon les chiffres de la Protection civile. Cette situation a de sérieuses incidences sur les services offerts aux patients de la FEBS, une institution de santé qui accompagne les personnes infectées depuis environ une vingt ans dans la ville.
Selon le spécialiste en santé publique Dr. André Paul Vénor, la situation actuelle d’insécurité et d’instabilité, qui est aussi à la base d’une réduction drastique de financement, constitue un facteur de risque majeur qui peut faire perdre les acquis que le pays a réalisé dans la lutte contre le VIH. Ce serait très dommage. Il souligne que les partenaires du pays doivent travailler avec les organisations sur le terrain pour éviter la perte des gains durement acquis au cours des décennies passées.
Dr Carl Obas, Coordonnateur des activités de la FEBS explique que la continuité dans la prise en charge des patients est importante pour les PVVIH. Il souligne que ces activités contribuent énormément dans leurs récupérations physiques, mentales et sociales. « Nous organisons plusieurs sessions sur divers thèmes dont l’estime de soi, l’entreprenariat, la sensibilisation aux droits humains, nutrition, entre autres. La FEBS organise aussi, par occasion, des sessions de formation sur quelques notions de chimie industrielle comme la confection de savon à vaisselle et détergent pour lave-vaisselle », a-t-il indiqué.
Pour la travailleuse sociale de la FEBS Stéphanie Obas, l’insécurité limite l’accès des PVVIH aux services de santé et rend difficiles les visites à domicile. Les déplacements sont risqués, et cela affecte aussi la régularité des suivis médicaux. Les patients sont souvent dans l’incapacité de se rendre aux centres de santé, ce qui complique leur prise en charge et augmente le risque de décrochage thérapeutique.
Avec la menace des gangs dans l’Artibonite et compte tenu de la situation financière, l’institution pourrait fermer ses portes faute de pouvoir répondre à ses exigences. « Nous faisons face à un grave problème de financement. Depuis tantôt 3 ans, nous ne recevons quasiment pas de fonds. Pour cette année, nous sommes en septembre 2024 et nous n’avons encore reçu aucun fond pour la réalisation des activités. Les clients qui vivaient déjà dans une situation difficile sont maintenant aux abois », se désole Dr. Carl Joseph Obas.
La Présidente de la Fondation éponyme, Esther Boucicaut Stanislas, se dit consciente de la délicatesse de la situation que connait l’institution aujourd‘hui. Toutefois, cette femme courageuse avance qu’elle reste déterminée et veut faire feu de tout bois pour continuer d’accompagner les PVVIH, particulièrement les patients de l’Artibonite. « Certains patients de St Marc ont abandonné leurs maisons pour fuir la violence des bandes armés et se retrouvent à quémander pour se loger. Nous sommes en alerte rouge et nous souhaiterions que les autorités concernées, les bailleurs fassent le nécessaire pour porter assistance à nos clients. Depuis quelques années, les clients sont totalement délaissés », informe Esther Boucicaut Stanislas.
Le développement de la situation sécuritaire dans le Pays interpelle sérieusement les membres de la FEBS et ses partenaires sur la nouvelle vie des PVVIH. Des milliers d’entre eux sont dans la nature abandonnant involontairement leur traitement. Pour des centaines qui suivaient assidument leur médication, leur charge virale avait été considérablement réduite et le virus devenait alors indétectable réduisant le risque de sa transmission à une autre personne. Une situation qui pourrait changer si les PVVIH ne trouvent pas d’accès pour continuer leur traitement.
Haïti a été l’un des territoires de la Caraïbe ayant bénéficié d’importants financements dans la lutte contre le Sida, la TB et la Malaria entre 2006 à aujourd’hui avec des progrès considérables dans la lutte contre le VIH. Le taux d’incidence est passé de 6% à 2,1% au cours de cette période. Les traitements mis en place a permis de garder plus de 120 milles personnes en vie.
Esther Boucicaut Stanislas, cette militante hors-pair, a mené une lutte sans arrêt pour accompagner ces personnes qui ne pouvaient trouver du travail à cause de leur statut sérologique. Aujourd’hui, elle lance un appel pressant aux partenaires pour conserver ces acquis en évitant de nouvelles infections compte tenu de la situation socioéconomique difficile qui rend la population encore plus vulnérable avec des jeunes filles de 15 à 17 ans qui recommencent à faire du trottoir pour se nourrir aux yeux de tout le monde en pleine rue au cours de la matinée.
Eddy Trofort
troforteddy@gmail.com
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