Par Wooselande Isnardin
Eddy Gaëtan est l’un de ces rares artistes capables de saisir l’essence de la culture haïtienne, en harmonisant tradition et modernité avec une finesse remarquable. À travers sa palette nuancée, il nous transporte au cœur des paysages enchanteurs et des scènes du quotidien haïtien. Son parcours est celui d’un créateur passionné, pour qui l’art n’est pas simplement une vocation, mais une véritable philosophie de vie : une quête constante de vérité, un dialogue intime avec la beauté.
Né aux Cayes le 19 janvier 1966, Eddy se souvient de son enfance dans une atmosphère où l’art était une échappatoire. « J’ai commencé à dessiner à l’école des Frères salésiens de Saint-Jean Bosco », raconte-t-il. Très tôt, il découvre la valeur de ses créations lorsqu’un prêtre récompense ses œuvres avec des pièces de monnaie. « C’est ainsi que je me suis lancé dans le dessin », confie-t-il, évoquant ce premier déclic qui allait façonner son destin.
Le jeune Eddy, encore enfant, se laisse guider par le regard bienveillant d’un cousin qui voit en ses dessins une promesse. Ce dernier lui donne un dollar pour ses œuvres, un geste simple qui instille une certitude : l’art peut nourrir, l’art peut élever. Dès lors, « tous mes sentiments paroles, connaissances, ambitions, actions, passions, ma vision se sont fondus dans l’art », se souvient-il. En Haïti, où l’histoire et la culture vibrent au rythme des pinceaux, il trouve son inspiration, puisant dans les émotions qui l’entourent et les résonances de son propre vécu.
Un tournant décisif
L’année 1986, marquée par la chute de Jean-Claude Duvalier, devient un tournant décisif. Les rues s’emplissent d’artistes, et Eddy est invité à participer à un projet mural derrière l’église Saint-Joseph. « Je ne savais même pas encore tenir un pinceau correctement », avoue-t-il, mais c’est cette audace et cette humilité qui vont forger sa carrière. Très vite, on parle de lui comme d’un des grands, et il reçoit des commandes dans tout le quartier. De fil en aiguille, il devient un artiste professionnel en 2000, et ne cesse depuis de surprendre.
Son parcours d’autodidacte est marqué par des rencontres significatives. « Mon premier contact marquant fut avec Wagner, fils du père Kayou, puis avec l’excellent artiste Carlos Valtrain. » Mais malgré ces rencontres, Eddy choisit une voie solitaire. Il fréquente l’école de Favrange Valssaint, qu’il quitte rapidement, insatisfait. « Je cherchais quelque chose que personne ne pouvait m’apprendre », se remémore-t-il. Ce cheminement personnel, nourri par une quête constante d’originalité, l’a conduit à expérimenter divers styles et techniques – du collage à la gravure, de la récupération au cubisme abstrait moderne. « J’ai créé mon propre style, souvent influencé par les grands maîtres, mais je puise aussi dans la nature qui donne des leçons chaque jour. »
L’un des événements marquants de sa carrière est sans doute son exposition collective à Paris en 2016, au Musée du Tout-Monde, organisée par l’Institut du Tout-Monde, aux côtés de figures emblématiques comme Frankétienne et Tiga. « Cette exposition, autour des esthétiques caribéennes, était pour moi une reconnaissance et une fierté », dit-il. La présence de ces géants de l’art haïtien renforça sa détermination à continuer, malgré les difficultés rencontrées dans un pays où l’art a perdu une partie de son éclat.
Un appel à la renaissance
En Haïti, l’effondrement du secteur touristique a frappé de plein fouet les artistes. « Aujourd’hui, l’art en Haïti a perdu toute son essence, toute sa valeur. Les artistes sont délaissés, méprisés. Sans touristes, il est impossible de vivre de ses œuvres. C’est vraiment désespérant », déplore-t-il, évoquant avec une grande tristesse l’abandon de toute une génération de créateurs.
Pourtant, malgré l’adversité, Eddy Gaëtan ne renonce pas. Son rêve est de continuer à exposer, tant en Haïti qu’à l’étranger, de contribuer à faire revivre la culture haïtienne. « Je travaille en collaboration avec des partenaires qui partagent cet objectif, pour que la jeune génération s’inspire de ce que nous faisons », explique-t-il. Son dernier projet ? Une nouvelle collection, un nouveau style de dessin, qu’il espère dévoiler très prochainement.
Dans chaque coup de pinceau, chaque teinte mélangée, on peut sentir la profondeur de son engagement. « J’ai un grand professeur, c’est le Créateur, qui a peint un tableau – l’humanité – que l’homme n’aura jamais fini d’explorer », ajoute-t-il avec humilité et reconnaissance.
Eddy Gaëtan incarne cette génération d’artistes engagés, pour qui l’art n’est pas seulement une expression, mais aussi un devoir. À travers ses œuvres, il raconte l’histoire d’un pays, d’un peuple, et continue de défendre la culture haïtienne avec ferveur. « Aimez notre culture, soutenez-la, faites-la rayonner », conclut-il. Pour Gaëtan, l’art est une révolution silencieuse, un combat pour l’avenir d’une nation, un appel à la renaissance.
Wooselande Isnardin
woosebelfort@gmail.com
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