Il n’y a pas que les tumultes du quotidien pour alimenter l’actualité. Ce qui a de nouveau et de réjouissant pour l’intérêt général, c’est le Dr Rodolphe Malebranche qui l’apporte au Réseau haïtien des journalistes de la santé. La nouvelle a un visage : Dre Thaimye Joseph. Le temps d’un entretien rythmé par des questions et des réparties percutantes, Dr Malebranche, professeur d’université, spécialiste en médecine interne, met en pleine lumière la performance extraordinaire de Dre Joseph au concours de l’Hôpital Universitaire de Mirebalais (HUM) pour le recrutement des résidents pour l’exercice 2024-2025.
Dr Rodolphe Malebranche : Bonsoir Dre Thaimye Joseph. D’abord, je voudrais te remercier pour avoir répondu positivement à cette invitation que je t’avais faite de participer à une entrevue avec moi. Je me présente pour tes lecteurs et tes auditeurs éventuels. Je suis le Dr Rodolphe Malebranche, directeur de la résidence hospitalière et de la recherche à l’HUEH, chef de département de médecine interne à la FMP. J’ai particulièrement été impressionné par les résultats que tu as obtenus au concours pour l’entrée en résidence à l’Hôpital Universitaire de Mirebalais (HUM). C’est ceci qui m’a poussé à solliciter de toi une entrevue parce que je crois qu’il est important que nous puissions développer chez nous la culture du mérite, la culture de l’effort, du talent. On arrivera à le faire notamment en mettant en valeur, en évidence des jeunes qui répondent à ces caractéristiques. Parle-nous un peu de toi, de ton parcours, de ce que tu veux nous révéler de toi.
Dre Thaimye JOSEPH : Bonsoir Dr Malebranche. Merci pour votre invitation. Je suis ravie de partager mon parcours. Je m’appelle Thaimye Joseph, j’ai 27 ans, et ma passion pour la médecine vient de mon père, le Dr Cassis Joseph, anesthésiste. Son engagement envers ses patients m’a inspirée. Après mes études classiques, j’ai commencé mes études médicales à la FMP en octobre 2013, que j’ai terminées en décembre 2022. Cette expérience, malgré des obstacles comme la fermeture due à la Covid-19, a été enrichissante et formatrice. J’ai été major durant la plupart de mes années d’études, ce qui m’a permis de développer mon leadership et mes relations avec mes collègues.
Dr Rodolphe Malebranche : J’apprécie ta façon de te présenter. Permets-moi, car je sens une certaine modestie chez toi, de rappeler le contexte qui a amené cette entrevue. Tu as participé au concours de l’HUM pour le recrutement des résidents pour l’exercice 2024-2025. Il y a d’abord eu l’examen écrit pour lequel tu as obtenu la note de 75,33/100 qui a fait de toi la première lauréate de cette épreuve. Tu as été ensuite première lauréate aux deux entrevues auxquelles tu avais été admise à participer en fonction de cette note, à savoir la chirurgie d’abord et en deuxième position la médecine d’urgence. Ces résultats ont fait de toi une double première lauréate : pour le concours de recrutement des résidents en chirurgie avec une note globale de 81/100 et pour celui concernant la médecine d’urgence. Vraiment une performance extraordinaire que je ne crois pas, dans ma carrière plutôt longue d’enseignant, avoir vu à la FMP. Félicitations. Dre Joseph, je voudrais te poser quelques questions. Qu’est-ce qui t’a motivée à participer au concours de l’HUM ? Tu aurais pu faire celui de la FMP pour un autre centre hospitalier public. A quel moment cette décision a-t-elle été arrêtée ?
Une expérience marquante
Dre Thaimye JOSEPH : Pour tout vous dire, je n’ai jamais été à l’HUM, mais j’ai eu un contact avec l’organisation Zanmi Lasante lors d’un stage en médecine communautaire en décembre 2022. Dr Ramilus, qui était responsable à l’époque, nous a présenté l’histoire de ZL et de sa création par Paul Farmer. Cette expérience m’a profondément marquée et m’a incitée à approfondir mes recherches, me permettant de découvrir l’HUM dans son ensemble et son évolution. J’apprécie particulièrement l’aspect académique et l’importance accordée à la formation spécialisée, qui vise à préparer des résidents non seulement pour Haïti, mais à un niveau international. HUM est le premier centre hospitalier à avoir instauré une formation en chirurgie de 5 ans, à l’instar des hôpitaux étrangers, tout en étant engagé socialement pour offrir des soins de qualité, même à ceux qui n’ont pas les moyens. Ce sont ces valeurs qui m’ont attirée vers ZL et m’ont conduite à choisir l’HUM quelques mois avant le concours, après mon service social.
Un CV impressionnant
Dr Rodolphe Malebranche : Ce qui m’a impressionné également c’est ton CV. Je vois que tu as déjà obtenu des certificats en techniques de ressuscitation et tu as déjà, ce qui est très rare, participé comme auteure ou coauteure à un certain nombre de publications. Une autre question : Pourquoi la chirurgie ? Est-ce un stage qui t’a particulièrement marqué ?
Dre Thaimye JOSEPH : En fait, j’ai toujours aimé la chirurgie depuis mon entrée à la faculté. J’ai toujours été attirée par cette spécialité, car je l’associe à un aspect pragmatique et décisif. Bien qu’il y ait un raisonnement clinique en chirurgie, ce qui me plaît avant tout, c’est le côté technique et décisif de cette discipline. Cependant, c’est mon internat rotatoire à l’HUEH qui a définitivement cristallisé mon choix. J’ai vécu un épanouissement professionnel dans ce service, bien que ce mois de stage n’ait pas été facile en raison du stress et de la fatigue. Malgré cela, j’ai apprécié le fait de me consacrer aux patients et de m’impliquer activement dans leurs soins. C’est à ce moment-là que j’ai décidé que je voulais devenir chirurgienne.
Une très belle expérience
Dr Rodolphe Malebranche : Parlons de ton service social au Centre médico-social de Petite-Place Cazeau. Y avait-il un accompagnement médical approprié ou bien devais-tu souvent te débrouiller seule avec les malades et leurs problèmes ? T’es-tu sentie parfois un peu perdue ?
Dre Thaimye JOSEPH : Mon service social a été une très belle expérience. J’ai réalisé qu’au début de notre carrière de médecin, il est essentiel d’avoir le soutien de collègues expérimentés, car il existe un décalage entre la théorie et la pratique clinique. Mon expérience à l’HUEH m’a permis de rencontrer de nombreux cas, que j’ai pu reconnaître et diagnostiquer, même s’ils étaient atypiques. J’ai également apprécié de pouvoir développer de manière indépendante ma relation avec les patients, en cultivant des qualités essentielles comme la patience, l’écoute et la compassion. C’était gratifiant de voir que les patients se souvenaient de moi et de l’impact de mon écoute sur leurs soins. C’était vraiment une belle expérience.
L’examen de l’HUM : 150 questions à choix multiple
Dr Rodolphe Malebranche : Oui effectivement l’écoute est un élément fondamental, malheureusement trop souvent négligé, dans la relation malade-médecin. C’est bien d’avoir mis l’accent dessus. Maintenant, on va parler un peu du concours. Je voudrais avoir ton impression générale, sur son organisation, sur sa valeur évaluative, sur le nombre de questions à l’épreuve écrite. Est-ce que tu avais l’impression que cette épreuve écrite testait les connaissances d’un jeune médecin susceptible de s’installer, puisque tu étais en fin de résidence sociale ?
Dre Thaimye JOSEPH : Concernant le concours de l’HUM, je ne connaissais pas bien le processus de sélection avant cette année. L’année dernière, j’ai consulté les résultats par curiosité, mais je n’avais pas une vue d’ensemble. Cette année, j’ai été guidée et j’ai mieux compris le concours. Il est important que ZL clarifie le processus de sélection pour les futurs candidats, car la transparence est essentielle. L’examen écrit comportait 150 questions à choix multiple, principalement des cas cliniques, peu de questions théoriques, ressemblant à celles de l’USMLE. Cela évalue selon moi effectivement le raisonnement clinique, ce qui est crucial pour le recrutement de résidence. Toutefois, je pense q’un seul examen ne peut pas évaluer totalement la compétence d’un candidat, car de nombreux facteurs peuvent influencer les résultats. Néanmoins, j’ai beaucoup apprécié le contenu des questions.
Deux entrevues
Dr Rodolphe Malebranche : Je crois que c’est effectivement important de pouvoir apprécier le raisonnement clinique parce c’est ce qui détermine en grande partie la compétence professionnelle. Ce n’est pas obligatoirement le volume du savoir. La plus belle définition que j’ai entendue de la compétence est celle-ci : « La compétence ce n’est pas ce que l’on sait, mais c’est ce que l’on fait avec ce que l’on sait ». Donc, définitivement, il faut mettre l’accent sur la compétence, pas obligatoirement sur le volume du savoir ; évidemment le savoir est important aussi, d’ailleurs on peut y accéder facilement avec les moyens modernes, mais la compétence est quelque chose qui s’acquiert au fil de l’apprentissage, en compagnie d’un maître expérimenté. Alors toujours dans le cadre du concours, juste un petit mot sur les entrevues pour nous dire comment les deux entrevues se sont passées en gros.
Dre Thaimye JOSEPH : Les deux entrevues se sont bien déroulées. Les membres du jury étaient courtois. Je ne connaissais pas les différents membres, à l’exception de la Dre Gousse, qui faisait partie du jury de médecine d’urgence. Je l’avais rencontrée lors de l’examen oral à la faculté, mais je ne connaissais pas les autres membres. À la fin de mes deux entrevues, j’ai eu l’impression que cela s’était bien passé. J’attendais les résultats et, étant donné qu’il s’agit d’un concours, je voulais voir comment j’avais performé par rapport aux autres. Ils avaient respecté la grille d’évaluation prévue pour l’entrevue, donc les questions étaient orientées dans ce sens. S’il y avait d’autres questions, c’était pour approfondir une réponse que j’avais donnée. En gros, mes deux entrevues se sont bien passées.
L’approfondissement des notions
Dr Rodolphe Malebranche : Manifestement, tu as beaucoup travaillé. Cela ne vient pas spontanément. Quel a été le temps que tu as consacré à la préparation de ce concours ; est ce que tu avais un programme à suivre ? Comment cela s’est-il passé ?
Dre Thaimye JOSEPH : Lorsque j’ai su que les inscriptions étaient lancées, j’ai réuni les examens passés et avec une amie et chaque soir, nous répondions à certaines questions et nous approfondissions les notions qu’on retrouvait au travers des questions et en parallèle je lisais les questions qu’il y avait dans le First aid Step 2 pour chaque matière, médecine interne, chirurgie, OBGN, pédiatrique, statistique et épidémiologie. J’avais commencé bien avant le lancement du concours ; j’étais habitué au format parce que j’ai déjà passé le test 1 du USMLE. Ce n’était pas vraiment tout à fait nouveau ; il fallait seulement perfectionner mes connaissances.
Les recommandations
Dr Rodolphe Malebranche : Comme rien n’est parfait en ce bas-monde, as-tu des critiques à formuler à l’égard du concours ? Tu as déjà mentionné une, à savoir qu’il n’y avait peut-être pas assez d’informations pour les postulants sur la façon dont les choses allaient se passer. As-tu d’autres critiques ?
Dre Thaimye JOSEPH : L’un des aspects qui m’a surprise concerne la répartition des points entre l’examen écrit et l’entretien, les deux étant notés sur 50. À mon avis, il serait préférable d’attribuer un poids beaucoup plus élevé à l’examen écrit par rapport à l’entretien. L’entretien reste une évaluation subjective et peut influencer l’évaluation du candidat, et je pense qu’une répartition égale des points entre les deux n’est pas justifiée. Bien que l’entretien permette d’évaluer certains critères que l’institution recherche chez le postulant, je crois fermement que la composante objective devrait avoir une plus grande pondération. De plus, il serait judicieux que, dès l’annonce du concours, les candidats aient accès à un calendrier indiquant les dates des entretiens ainsi que celle la publication des résultats. Cela fournirait des informations cruciales pour moi et d’autres candidats.
Dr Rodolphe Malebranche : Je crois que tu as raison et j’aurais proposé 70 et 30 ou 80 et 20. Je crois que cette année et même l’année dernière vous n’avez pas eu d’examen clinique pratique sur le modèle ECOS (examen clinique objectif et structuré), alors qu’antérieurement il y avait d’une part l’entrevue sur la base de la grille et d’autre part un examen clinique.
Dre Thaimye JOSEPH : En effet on n’a eu que deux parties, l’entrevue et l’examen écrit.
Dr Rodolphe Malebranche : As-tu des conseils à donner à tes camarades de promotion ou aux postulants d’autres universités au cas où ils voudraient participer aussi à ce concours, notamment en ce qui concerne l’entrevue ? Tu as dit d’ailleurs beaucoup de choses que je pourrais déjà noter, mais as-tu des choses en particulier que tu voudrais ajouter et souligner ?
Dre Thaimye JOSEPH : Les conseils que je pourrais leur donner sont de sortir du cadre de ce qu’on nous donne à la faculté tout en l’utilisant comme boussole pour orienter leurs connaissances. Il est essentiel qu’ils comprennent que leur formation ne s’arrête jamais ; ils doivent constamment chercher à se perfectionner, non seulement pour réussir des concours ou des examens, mais surtout pour le bien des patients. En tant que médecins, notre vocation est de dédier notre savoir aux patients et d’améliorer les soins. La formation continue est donc cruciale, même après l’obtention du diplôme. Cultiver un sens de l’excellence nous pousse à nous investir chaque jour davantage, à faire preuve de patience et de compassion, et à offrir une prise en charge personnalisée aux patients.
S’investir auprès de la communauté à Mirebalais
Dr Rodolphe Malebranche : Une dernière question : Tes rêves pour ton avenir seraient quoi ?
Dre Thaimye JOSEPH : Pour les cinq prochaines années, je pense me spécialiser en tant que chirurgienne et j’aimerais également continuellement m’investir auprès de la communauté à Mirebalais et continuer à approfondir l’aspect recherche clinique, car c’est quelque chose qui m’a passionnée dès le début. J’ai bénéficié de plusieurs formations et je puis dire que c’est quelque chose de vraiment important pour moi en tant que médecin. Cela me permet de répondre à certaines questions et j’espère continuer à m’améliorer, me perfectionner à ce sujet et continuer à publier des articles qui peuvent être utiles à la communauté. En dernier lieu, après mes cinq ans, j’aimerais me spécialiser en chirurgie traumatique et en soins critiques. J’aimerais continuer à mettre mes compétences au service de la communauté parce que j’ai beaucoup reçu que ce soit à la FMP, à l’HUEH, donc j’aimerais pouvoir donner de ce que j’ai reçu aux autres.
Dr Rodolphe Malebranche : Je te remercie beaucoup, d’abord en mon nom personnel mais également en celui du Dr Télémaque d’INFOCHIR/RHCA, qui m’a permis de mettre en évidence une telle performance, un tel brio, même à cette époque où nous vivons des moments difficiles., Comme dit au début de l’entrevue, il nous faut développer la culture de valorisation de nos éléments les plus performants.
Propos recueillis par Dr Rodolphe Malebranche
malebranche@yahoo.fr