Huit articles en relief au grand concours national de reportage du RHJS

4e édition du Prix Dr Odilet Lespérance 2024

Le Réseau Haïtien des Journalistes de la Santé (RHJS) vous invite à apprécier huit articles qui ont donné du fil à retordre au jury du grand concours national de reportage, 4e édition du Prix Dr Odilet Lespérance 2024.

Dans le jury, le RHJS a pu compter sur la contribution de Mme Djina Guillet Delatour, infirmière, spécialiste en santé communautaire et coordonnatrice générale du Programme nationale de cantine scolaire (PNCS) ; M. Jacques Desrosiers, maître en journalisme, professeur d’université et secrétaire général de l’Association des Journalistes Haïtiens (AJH) et M. Joel Lorquet, docteur en communication, écrivain et attaché de presse adjoint à l’Ambassade des Etats-Unis à Port-au-Prince.

 Dans la catégorie presse écrite, retenez ces noms :

Reportage d’Espérancia Jean Noël, lauréate de la 4e édition du Prix Dr Odilet Lespérance 2024

Eau, hygiène et assainissement, la grande affaire au camp des déplacés du ministère de la Communication

Des habits suspendus partout, des tentes faites de draps et de morceaux de bâches dressées sur la cour et sur le toit du bâtiment, de petits commerces étalés sur des tables. C’est le sombre tableau du ministère de la Communication qu’on peut remarquer dès qu’un visiteur pénètre l’espace. Ce bâtiment public, situé au Bois-Verna, (quartier est de Port-au-Prince), est transformé depuis deux mois en camp de familles déplacées fuyant la violence des gangs. Ce site, parmi d’autres qui ont poussé dans la capitale, héberge 1150 personnes réparties en 567 familles dont 434 femmes, 515 hommes et 261 adolescents âgés entre 12 à 17 ans. Comme décrit ci-dessus, toutes les catégories sont présentes dans ce camp, plus particulièrement les personnes à mobilité réduite. Ces gens ayant laissé leur demeure pour échapper à la violence des groupes armés dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince vivent dans des conditions inhumaines.

Assiettes en foam et marre d’eau au camp

” Ici, dans ce camp de déplacés, nous sommes dépourvus de tout. Face au traitement que l’on reçoit, je pense que c’est le camp le plus vulnérable de la capitale. On fait face à une panoplie de problèmes. On est dans l’impossibilité de répondre même à nos besoins primaires “, a révélé Henose Thurin, vice-président du camp.

L’eau et la nourriture, deux produits de luxe

Si l’eau est un élément essentiel pour la survie de l’être humain, pour les occupants du ministère de la Communication, c’est un produit rare. Ils doivent parcourir plusieurs kilomètres à la recherche de cette boisson à multiples usages. Althémany Hubertha Nathalie, responsable des femmes et des enfants au comité de ce camp, raconte leur péripétie : ” On achète de l’eau pour l’usage quotidien près de la Direction générale des impôts (DGI) à raison de 50 gourdes le sceau et le petit gallon d’eau traitée à 30 gourdes. C’est un liquide précieux. Si on n’a pas d’argent, on ne peut pas s’en procurer. Parfois les déplacés vont dans d’autres camps avec l’espoir d’en avoir gratuitement mais c’est toujours sans succès “, déclare Mme Althémany visiblement déçue.

La nourriture quant à elle est le calvaire des occupants de ce site d’hébergement. Selon les explications fournies par M. Hexoses Thurin, se procurer d’un plat chaud pour les déplacés demeure un véritable casse-tête pour le comité du site. Lorsque certains partenaires en apportent, la quantité est toujours insuffisante. Face à ce dilemme, ils choisissent les catégories les plus vulnérables comme les vieillards, les enfants, les femmes enceintes, entre autres. Tout le monde ne peut pas se nourrir. Une situation qui crée beaucoup de frustrations chez les déplacés.

Absence d’hygiène dans le camp

” Pour se rendre au bloc sanitaire, il faut avoir de quoi payer. Le prix d’une défécation varie entre 10 gourdes pour les enfants et 25 gourdes pour les adultes. À défaut de ce moyen, l’accès nous est interdit. Ne pouvant plus se retenir, certains satisfont leurs besoins physiologiques dans des sacs en plastique ou des boîtes en styrofoam et les déposent dans un coin sur la cour “, se plaint Carline Blanchard, une dame vivant dans le camp.

Cette mère de trois enfants a avoué que l’hygiène et l’assainissement n’existent que de nom dans ce site. Il n’y a aucune intimité. Une déclaration appuyée par le vice-président du camp. Monsieur Thurin déplore la passivité des autorités en place vis-à-vis des déplacés. ”

Si la nourriture est un luxe pour nous, comment va-t-on faire pour assurer le nettoyage des lieux ? « Nous n’avons aucun matériel, pas une goutte d’eau, c’est ce qui explique toute cette saleté. On est conscient que ces conditions ne sont pas sans conséquences sur notre santé. D’ailleurs, des cas de choléra et de tuberculose ont déjà été recensés ici. On a seulement alerté le MSPP pour la prise en charge de ces cas. Nous sommes des laissés-pour-compte “, se plaint M. Thurin.

La situation est très alarmante pour les déplacés du ministère de la Communication. Ils végètent dans une misère crasseuse. Leur sort s’aggrave au quotidien. Ils survivent, la peur au ventre. En dépit de toutes ces tribulations, ils nourrissent encore cet espoir qui aide à garder une posture debout dans un environnement dégradant.

Esperancia Jean Noel

esperanciajeannoel@gmail

FCN – Fact Checking News

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2e prix du grand concours national du reportage, John-Becker Jean 

Les sections communales du Bas Artibonite face à une augmentation alarmante des maladies féco-orales

Vomissements, diarrhée aiguë, déshydratation, cas de dysenteries, typhoïde et choléra, sont des symptômes et maladies de plus en plus fréquents dans les centres de santé des communes et sections communales du Bas Artibonite depuis le début de l’année. Cette recrudescence inquiétante des maladies féco-orales traduit le quotidien d’une population ayant un accès très limité à l’eau potable, à l’assainissement et à des infrastructures sanitaires de base. Pendant que la propagation de ces maladies exacerbe, laissant la population exposée dans l’ignorance, les autorités de la Direction Sanitaire de l’Artibonite (DSA) demeurent silencieuses alors que les enfants, notamment les nouveau-nés, sont les plus affectés.

Le mercredi 17 juillet 2024, à Desdunes, une commune située à 150 km au nord de Port-au-Prince, Bartimé Philemond, officier de surveillance épidémiologique (OSE) de la région, a exprimé son inquiétude :

« Les patients arrivent dans les centres de santé avec des douleurs abdominales sévères, des vomissements, de la diarrhée et de fortes transpirations. La plupart d’entre eux ignorent que ces symptômes résultent d’un manque d’hygiène. Beaucoup pensent qu’il s’agit de maladies féticheuses et préfèrent recourir à des traitements non appropriés, aggravant ainsi leur état de santé. Une vaste campagne de sensibilisation est indispensable pour éviter une catastrophe. », a-t-il déclaré.

À Duclos, une localité situe à 1.83 km de Desdunes, Marie, mère de trois enfants, se prépare à se rendre au centre de santé car son dernier-né, âgé de 2 ans, souffre de diarrhée pendant une journée entière :

« Il n’a pas arrêté de pleurer depuis l’aube et cela s’est empiré au cours de la journée. Les gens m’ont dit que c’était à cause du gaz qu’il a tiré de moi durant son allaitement, mais avec la diarrhée et son visage pâle, je suis obligée de me rendre au centre de santé », a-t-elle déclaré d’une voix triste sous la galerie d’une cour poussiéreuse entourée d’une dizaine de voisinage.

À l’instar de Marie, de nombreuses familles des communes, sections communales et localités comme Grandes salines, Desdunes, Modèle, Drouin entre autres font face depuis plusieurs mois à des cas de fortes fièvres, de diarrhée, de typhoïde et de douleurs abdominales souvent non hospitalisés ou hospitalisés trop tardivement.

Les enfants de moins de 5 ans, les plus grands victimes

Depuis le début de l’année, les cas des maladies féco-orales sont en nette progression dans le bas Artibonite. Selon les données fournies par le OSE et confirmées par les autorités sanitaires, entre janvier et juillet 2024, 64 enfants âgés de 1 à 5 ans ont été testés positifs à la typhoïde, dont 29 de sexe masculin et 35 de sexe féminin garçons. Pour les 5 à 14 ans, 49 cas ont été enregistrés (20 garçons et 29 filles), tandis que pour les 15 à 49 ans, 64 personnes (15 hommes et 47 femmes) ont été recensées. Les personnes de 50 ans et plus comptent 38 cas (11 hommes et 27 femmes). Les cas de dysenterie et de diarrhée aigüe déshydratante sont également alarmants, surtout chez les enfants de moins de 5 ans.

Tous ces patients sont testés positifs à la typhoïde, l’une des maladies féco-orales les plus en vogue dans la région. Pour les cas de dysenteries, dans le tableau des enfants âgé de moins de 5 ans, il y avait 9 enfants 4 garçons et 5 filles. Pour la diarrhée aigüe qui entraine de la déshydratation sévère, il y avait chez les enfants âgés de moins de 5 ans 38 cas parmi eux 14 garçons et 24 filles. En ce qui a trait au choléra, si les chiffres exacts ne sont pas encore disponibles, les responsables parlent de plus d’une dizaine de cas recensé.

Des centres de santé insuffisamment équipés

Le centre de santé Saint-Pierre de Desdunes, qui dessert six localités avoisinantes telles que Model, Duclos, Hâte Desdunes, Grand islet, Lagon, Aux Sources, est l’un des rares capables de gérer les urgences courantes. Cependant, Wansed Deneus, administrateur du centre, indique que les ressources sont limitées :

« Nous avons un centre de traitement du choléra, mais il est insuffisant. Nous manquons de matériel et de personnel, ce qui limite notre capacité à accueillir les patients un peu plus longtemps. Nous avons l’habitude de travailler sur des cas sévères certes mais malheureusement nous sommes limités en personnels, intrants entre autres matériels appropriés ». A-t-il conclut.

Bartimé Philemond ajoute que si un patient se présente avec la typhoïde, la diarrhée entre autres symptômes plus ou moins courants, les centres de santé locaux ne peuvent fournir que des soins de base tels que les examens de laboratoire, et que les cas graves nécessitent des transferts vers des institutions mieux équipées.

Des personnalités locales et des membres d’organisations paysannes plaident pour une meilleure coordination des soins de santé et une dotation adéquate en matériel et personnel qualifié. L’insécurité due aux gangs armés entrave l’accès aux grands hôpitaux du département, exacerbant la crise sanitaire.

« Nous ne pouvons pas emprunter la route nationale pour nous rendre dans les autres centres hospitaliers du département à cause des gangs. Les centres de santé de nos sections n’ont pas de lits même pour 5 personnes. Les gens meurent de ces maladies mais leurs familles pensent que ce sont des attaques mystiques ». Se désole un paysan qui lui-même selon ses dires a failli perdre la vie à cause de la diarrhée.

L’assainissent, un problème majeur pour les sections communales

Les travaux d’assainissement sont quasi inexistants dans les communes visitées. L’absence de latrines contraint les habitants à déféquer à l’air libre, ce qui, avec le vent, contamine facilement les habitations et les cuisines. L’accès à l’eau potable demeure un défi majeur pour la population de cette région. Une intervention urgente de la direction sanitaire de l’Artibonite (DSA) et de la direction nationale d’eau potable et d’assainissement (DINEPA) s’avère plus que nécessaire.

Il est à rappeler que les maladies féco-orales sont transmises par des déchets, microbes ou autres objets transportés de la main à la bouche. Une fois arrivé à l’estomac au moyen de la salive, le corps commence alors à subir des malaises pouvant entraîner des complications graves et mortelles. Une intervention rapide et efficace de l’État dans les sections communales du Bas Artibonite est impérative afin de sauver des vies humaines.

John-Becker Jean 

jeanjohnbecker8@gmail.com

Journaliste basé aux Gonaïves dans l’Artibonite, travaillant pour la radio Référence FM, Gonaïbo Post et ARMA TV, correspondant de la Radio Vision 2000, Le Nouvelliste, Ticket Magazine et contributeur à Tandans 7, PAM FM pour les Gonaïves et le Bas Artibonite.

 

3e prix du grand concours national du reportage, Fabiola Fanfan

Le règne de l’insalubrité dans les camps de déplacés internes

À cause de l’insalubrité, de l’inaccessibilité à l’eau potable ou encore du manque d’hygiène et d’assainissement qui font loi dans les camps de déplacés, les enfants qui y vivent sont très exposés aux maladies féco-orales dont la diarrhée. Une maladie qui, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), représente 16 % des cas de décès chez les enfants de moins de cinq ans en Haïti.

Reportage 

Depuis le début du mois de mars 2024, environ 5 mille 500 déplacés.es se substituent aux plusieurs centaines de milliers d’écoliers.ères qui devaient fréquenter le Lycée Marie Jeanne transformé en camps de réfugié.es. Nous sommes à la première impasse Lavaud, en plein Port-au-Prince. Les salles de classe de l’établissement public logent désormais des hommes, des femmes et des enfants chassé.es de leurs maisons par des gangs armés qui contrôlent plus de 80 % de la région métropolitaine haïtienne.

Vue partielle du camp de déplacés du lycée Marie Jeanne

Sur la cour, des enfants marchent pieds nus au milieu des tentes crasseuses, étalées à même le sol. Nous nous dirigeons vers l’entrée d’une salle qui accueille des personnels de santé de Médecins du Monde (MDM). Vêtus de t-shirt blanc frappé de l’écriteau de l’ONG, ils sont présents pour assurer une clinique mobile profitable pour les 170 enfants de 0 à 59 mois qui vivent dans ce vaste camp.

Des parents avec leur bébé en main défilent devant des tables remplies de médicaments divers comme des solutions de réhydratation orale (SRO) et antibiotiques. Chaque bénéficiaire reçoit des médicaments selon les symptômes qu’ils présentent. Bébidia Milord, l’une des patientes du jour, vient de récupérer des SRO ainsi que d’autres médicaments nécessaires pour sa fille de sept mois. Sur la peau de sa progéniture, des acnés de nourrissons sont visibles.

La rescapée décide de nous conduire à la salle où elle est logée depuis plus de quatre mois. Ce sont des vêtements suspendus, des draps étalés au sol, des mouches qui font le va-et-vient et une odeur désagréable qui nous accueille là où Bébidia et ses deux enfants dorment. Un environnement ayant donné de la diarrhée à répétition à son nourrisson. « Mon bébé a très souvent la diarrhée. Parfois, cela dure toute une semaine », lâche celle dont l’enfant en question est née dans un autre camp de déplacé.es.

Pour arrêter la diarrhée à chaque fois, elle utilise la solution de réhydratation orale. Quand cela persiste, la victime des hommes armés de Carrefour-Feuilles achète le pedialyte pour son enfant. Elle précise que son bébé souffre aussi de malnutrition, selon ce que les personnels de santé lui ont rapporté. « Peut-être cela est causé par un manque d’hygiène et de mauvaises conditions dans lesquelles nous vivons. Ici, nous dormons entasser comme des sardines. Environ 54 personnes dorment dans la même salle », révèle celle qui a perdu son conjoint suite aux violences des gangs alors qu’elle avait trois mois de grossesse.

Cette condition de vie, Bébidia la partage avec tous les autres occupants du camp de Lycée Marie Jeanne où même l’accès à l’eau potable demeure un luxe. Et pour rendre les choses encore plus difficiles, depuis plus d’un mois, tous les dons d’eau ont cessé, à en croire les victimes. Désormais, les déplacés doivent dépenser entre 40 à 50 gourdes pour se procurer de cinq gallons d’eau non potable pour pouvoir répondre aux tâches quotidiennes.

À ce problème s’ajoutent celui des douches et des toilettes en mauvais état et l’omniprésence des déchets. Un terrain propice pour l’expansion des maladies féco-orales dans ce camp. Selon le médecin généraliste, Johnny Gaspard, la clinique mobile a permis de détecter 35 cas de diarrhée chez des enfants de trois à 42 mois au Lycée Marie Jeanne. « Nous travaillons sur huit sites d’hébergement, dont sept à Port-au-Prince et un à Route de Frères. Le constat est le même partout. Parfois nous recensons 40, 50 jusqu’à 100 cas d’enfants qui ont de la diarrhée. Ce, surtout dans les camps surpeuplés », dévoile le responsable de terrain convaincu que tout ceci est dû à la consommation de la mauvaise qualité d’eau et d’aliments.

Selon le médecin, les maladies féco-orales, dont les cas augmentent très souvent après des dons de nourriture dans les camps, peuvent causer la mort de la personne infectée. Or, parmi les cas recensés, on retrouve très souvent des diarrhées aiguës, aqueuses et persistantes. « Une diarrhée persistante peut causer beaucoup de dégâts et même la mort », informe M. Gaspard.

Mettre dans la bouche les doigts, de la nourriture, des boissons ou tout objet ayant été en contact d’une manière ou d’une autre avec des matières fécales peut être synonyme de maladies féco-orales comme la typhoïde, la diarrhée, l’hépatite A et E et le choléra. « Ce sont les enfants de 0 à 59 mois qui sont les plus vulnérables », souligne le médecin généraliste, Johnny Gaspard qui conseille aux parents d’être plus attentifs et soigneux et de faire consulter régulièrement leurs enfants afin d’éviter la malnutrition. « Les cas de malnutrition sont aussi enregistrés en raison d’une diarrhée persistante », fait-il savoir.

Selon une étude de l’OMS et du fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), la diarrhée est la deuxième cause de décès chez les enfants de moins de cinq ans dans le monde. En ce qui a trait à Haïti, le manque d’assainissement et d’accès à l’eau potable sont les principales causes de diarrhée chez cette catégorie.

Fabiola Fanfan

Enquête action

 

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L’absence d’hygiène au camp de Fontamara, une souffrance pour Camille Joseph

Quel paradoxe ! Un camp de déplacés au cœur d’un marché de poissons. Devinez l’odeur pour les familles chassées par des bandits et obligées de vivre dans un lieu puant des produits halieutiques. Depuis trois ans environ, au marché de Fontamara, à quelques jets de pierres de Martissant, situé au sud de Port-au-Prince, de nombreuses familles comme celle de Camille Joseph végètent dans un espace où les interactions calamiteuses entre les êtres et les choses frappent le visiteur à première vue. 

Le pêcheur dans sa barque

Des groupes épars d’enfants vont et viennent au camp du marché de poissons de Fontamara. Ils font un beau raffut dans cet environnement dominé par le relent des produits de la mer.

« Ces enfants me terrifient avec leurs bruits », lance Camille Joseph, un vieux marin à la peau tannée par le soleil. Depuis trois ans, ce père de famille qui a bourlingué avec son embarcation légère, manœuvrée à la rame dans le golfe de la Gonâve et les mers environnantes, a pris ancrage au marché de Fontamara.

Assis sur une petite chaise basse, à l’ombre d’une tente soustraite aux rayons du soleil, Camille se souvient de ce soir tumultueux où il est arrivé dans ce camp de fortune. Il n’y avait pas d’averse, pas d’orage, mais c’était un sale temps pour les familles qui fuyaient la violence des gangs armés.

« La soirée du 1er juin 2021 sera toujours pour moi un cauchemar. Des bandits armés ont semé la terreur à Martissant. Deux groupes rivaux se sont affrontés sans merci. On a fui avec nos familles sans laisser nos restes », dit amèrement ce père de cinq enfants qui continue à vivre de la pêche.

Un environnement malsain

Ce qui fait de la peine à ce marin-pêcheur, c’est l’endroit où il vit dans un abri provisoire parmi des ilôts de tentes. Tout le clair de son temps se passe dans un environnent où dominent des détritus, les émanations de matières fécales et les eaux grises tourmentées par des vents mauvais.

« Moun yo salòp bò isit la. Gade! Gade fatra ! Quand j’étais dans ma petite maison avec ma famille, on vivait tant bien que mal. Mais ici, c’est l’enfer. Ma famille s’est dispersée : ma femme est allée chez sa sœur avec ses trois filles en Plaine et mes deux garçons, à Gressier. Moi, j’ai choisi de me serrer les dents. Granmoun pa rete kay granmoun », dit-il en désignant du doigt une mare d’eau stagnante où prolifèrent des moustiques.

« Le soir, si tu ne brûles pas un peu de marc de café pour chasser des bêtes nuisibles, tu n’arriveras pas à dormir. Ma femme a beaucoup souffert de ces moustiques. Le lendemain matin, elle avait toujours la peau couverte de petites boules. Pour mes filles, n’en parlons pas. Ces moustiques ne jouent pas », se désole ce déplacé qui dit compter sur les intuitions publiques et des organisations humanitaires pour réaliser des opérations de fumigation.

L’hygiène, une absence qui pèse sur l’existence

Il y a quelques mois, un groupe d’agents de santé est passé dans ce camp et a sensibilisé les déplacés sur les principaux dangers que représentent les eaux stagnantes. Camille raconte, l’œil inquiet : « Dans notre camp, les gens tombent souvent malades. Une question de fièvre, diarrhées. Mes garçons, à un moment, ne voulaient pas rester avec moi. L’eau ici est suspecte. Il y a des gens qui souffrent de grattelle. Mes fils sont partis rejoindre un proche à Gressier qui est devenu un autre enfer. »

Camille témoigne de la question de l’hygiène comme une absence qui pèse sur son existence. « Cette vie que nous menons ici nous rabaisse. Les gens balancent même des sachets de matière fécale sur des piles de fatras », se plaint-il.

Camille Joseph souligne avec dégoût les problèmes auxquels font face les déplacés. « Ici, nous n’avons pas de latrine », informe-t-il sans ambages.

La mer qui devrait servir de toile de fond au marché de Fontamara devient un endroit où un bon millier de déplacés se soulagent, selon Jean Wilson Charles, un membre du comité du site. Toutes les défécations se balancent sur les flux et reflux nauséabonds qui éloigneraient toute colonie de vacanciers en quête de plaisirs balnéaires.

L’âme en peine, l’enfant de Camperrin porte un regard perdu sur la mer et s’interroge : « Je me suis toujours fait l’idée que mon prénom, Joseph, me lie à l’histoire du fils de Jacob. Joseph a été vendu par ses frères. Nous autres, nous avons été chassés par nos frères, des Haïtiens comme vous et moi. Joseph a connu beaucoup de souffrances, mais il a été élevé en dignité par Dieu. Je suis Joseph, un enfant de Dieu. Un jour viendra, je sortirai de ce lieu de souffrances pour un être humain. »

Autour de Camille Joseph, la souffrance est palpable. Assis sur une petite chaise basse, les odeurs que lui apportent le vent le poussent à prendre le large. En ces instants pénibles, il pense au grand bleu qui est pour lui un refuge et sa mère nourricière.

Elien   Pierre

pierreellien77@gmail.com

Le Nouvelliste

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Conditions sanitaires alarmantes pour les déplacés internes logés au local du MENFP

Les 3 000 déplacés internes qui sont logés au local du Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle à l’avenue Jean Paul II (qui accueillait le lycée Marie-Jeanne) vivent dans des conditions sanitaires difficiles. Fuyant les violences des gangs dans plusieurs quartiers de la capitale, ils se retrouvent sur ce site où il y a dix toilettes qui sont toutes défectueuses et des douches en piteux état. Les occupants craignent pour leur santé.

Enveloppée dans une serviette bleue brodée de fleurs bleu marine, Bertude, 22 ans, s’apprête à prendre un bain. Il est midi. Elle quitte timidement son casier, autrefois une salle de classe du lycée Marie-Jeanne, maintenant un logement précaire pour vingt personnes. Elle se rend dans l’une des douches communes. Munie d’une brosse à dents enduite de dentifrice et d’un morceau de savon, la jeune fille avance à pas feutrés. Bertude hésite à mettre ses pieds dans une flaque d’eau boueuse avec des écumes blanches témoignant du passage d’autres utilisateurs. C’est un moment de la journée qu’elle redoute, car les installations sanitaires de ce site de déplacés sont délabrées. « Parfois, il y a des personnes qui, après avoir pris leur bain, ne prennent pas la peine de nettoyer la douche ou bien y vont à la selle. Je ne me sens pas bien dans cet espace parce que j’attrape facilement des infections vaginales et quand j’utilise des douches sales, j’ai des picotements », témoigne la jeune fille, avouant avoir une démangeaison qu’elle essaie de soigner elle-même.

Deux châteaux d’eau géants se trouvent dans la cour du site. « Parfois, une organisation vient livrer de l’eau. Sinon, je me sers de l’eau des réservoirs, mais cette eau nécessite des précautions spéciales », explique Bertude, reconnaissante envers ses parents qui se débrouillent pour acheter du chlore afin de traiter l’eau du camp. Outre les conditions d’hygiène, la jeune fille s’inquiète du fait que les toilettes ne sont pas séparées par sexe. « Je ne suis pas trop à l’aise parce que parfois, quand je viens me baigner et que je suis toute nue, il y a des garçons qui me regardent », confie-t-elle.

Conditions d’hygiène désastreuses au local du MENFP qui accueille des déplacés internes

Les dix toilettes qu’utilisent les déplacés dans le camp en question ne sont pas fonctionnelles. Elles ne sont pas séparées par sexe et sont entreposées dans de petites pièces qui servent également de douches. Les personnes déplacées font leurs besoins dans des sachets noirs puis les jettent dans la ravine « Bois-de-chêne » à travers un trou creusé dans un mur situé dans le couloir de l’espace sanitaire. Pour y avoir accès, il faut payer 25 gourdes : 15 gourdes pour la douche et 10 gourdes pour les toilettes. Un jeune homme, à l’aide d’un balai en bois pousse l’eau laissée par les usagers en aspergeant le sol d’eau chlorée, un nettoyage précaire et insuffisant. Un père de famille qui vient récupérer son fils aux toilettes n’a pas caché sa frustration face aux mauvaises conditions d’hygiène dans l’espace. Il pense que les plus vulnérables sont les personnes handicapées, les vieillards et les enfants. « Il y a peu de temps, mon fils de trois ans a attrapé une maladie, des petits boutons sont apparus sur son organe génital. J’ai dû me rendre d’urgence à l’hôpital, mais les conditions restent les mêmes, la peur me paralyse. » Cet homme a même avoué que sa femme attrape des infections à répétition depuis son arrivée dans le camp il y a plus d’un an.

« Les toilettes ne sont pas confortables. Les gens s’en servent mal. Parfois, ils y laissent des sachets noirs contenant des matières fécales », se plaint sa femme, Farah.

Un agent de santé communautaire polyvalent affecté dans la commune de Port-au-Prince, qui a parlé sous le couvert de l’anonymat, dit avoir constaté qu’au niveau du MENFP, communément appelé ancien Marie-Jeanne, pour avoir accueilli les élèves de cet établissement scolaire au même titre que les autres camps, les habitants ont un problème d’accès à l’eau potable.

Risque de maladies et absence de l’État

En ce qui concerne l’eau potable, l’assainissement et l’hygiène (EPAH), la situation en Haïti est préoccupante. Selon l’UNICEF, un peu plus d’un quart (26%) des Haïtiens n’a pas accès à des sources d’eau améliorées, avec des disparités importantes entre les zones rurales où 41% de la population est concernée et les zones urbaines où ce chiffre descend à 5%. Seulement 25% des ménages dispose d’installations adéquates pour se laver les mains avec du savon, et une proportion similaire pratique la défécation à l’air libre, affectant particulièrement les zones rurales où ce taux atteint 36%, comparé à 10% en milieu urbain.

Les chiffres EPAH en Haïti sont encore loin de la cible ODD de l’accès universel à des services d’assainissement. Avec de nombreux déplacements internes dans le pays liés à l’insécurité le problème risque de s’aggraver.

Germina Pierre

germinapierrelouis7@gmail.com

Le Nouvelliste

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Quand les maladies féco-orales menacent l’existence des enfants en Haïti

En Haïti, nombreux sont les enfants qui risquent d’attraper des virus pouvant déboucher sur des maladies féco-orales. Environnement malsain, des latrines en mauvais état, le manque d’accès à l’eau potable et la mauvaise hygiène, sont entre autres, les différents facteurs qui les rendent de plus en plus vulnérables. Parmi les maladies féco-orales très fréquentes chez les enfants, on trouve la typhoïde, la poliomyélite, les maladies diarrhéiques aiguës comme le choléra et autres.

Hôpital universitaire La Paix

Dave, 8 mois, est hospitalisé depuis cinq jours à l’Hôpital Universitaire la Paix (HUP). Chétif, le visage délavé, un pansement au pied gauche, l’enfant dépérit. Dayana Mondésir, sa mère, fait ses toilettes, disant ignorer les causes exactes de la maladie de son nourrisson. « Il est devenu ainsi d’un coup. Quelques jours de cela, on avait remarqué qu’il avait de la diarrhée et de la fièvre. Comme c’est ma tante qui le gardait, elle m’a appelée pour venir la rejoindre ici. Depuis lors, je suis là avec lui », raconte la mère de Dave, 17 ans, précisant que l’enfant avait déjà été hospitalisé pour les mêmes causes.

À quelques pas de Dayana, on retrouve Genicia, t-shirt bleu frappé de l’écriteau « Pitit manman Mari pa janm pèdi batay (les enfants de la vierge Marie ne perdent jamais dans les combats) » et visage désespéré. Assise au pied de son fils de cinq mois, elle explique qu’avec son conjoint ils se sont empressés d’amener Junior à l’UHP jugeant son état anormal. « Il avait des vomissements de couleur jaune et des selles contenant du sang », affirme-t-elle. On se retrouve dans la salle 1 d’admission de la pédiatrie de l’Hôpital Universitaire la Paix (UHP), à Delmas 33 comportant entre autres pas moins de cinq lits pour enfants.

Dayana, qui a l’habitude de se retrouver à l’hôpital avec son fils, n’avait aucune gêne pour décrire sa situation. Genicia de son côté exprime ses doutes, et ne comprend toujours pas comment son petit protégé est passé d’une excellente journée à un interné. Pour mieux comprendre la réalité des maladies féco-orales dans ce centre hospitalier, nous sommes partis voir les responsables.

La docteure Angemaëlle Desca, responsable du service pédiatrique de l’UHP, raconte qu’il y a des enfants qui arrivent avec des déshydratations sévères, altération de conscience, excavation, et en état de mort apparente. D’autres viennent avec déshydratation légère, c’est le cas des parents qui ont déjà commencé le processus d’hydratation. « Parfois, on reçoit des enfants dans un état très grave comme mort apparente. Pourtant, quand on questionne les parents, ils s’abstiennent de dire de quoi il s’agit vraiment. Avec le choléra, certains parents se sentent stigmatisés, ce qui fait qu’ils donnent de fausses informations par peur d’entendre que les siens souffrent de cette maladie », avance la pédiatre affirmant que des parents pensent même que ce n’est guère une maladie naturelle.

Quasi même son de cloche pour le Dr Jean Philippe Lerbourg, responsable médical de centre hospitalier rencontré dans ses bureaux. Avec une pile de dossiers à traiter, il explique qu’en général les maladies féco-orales sont des maladies manuportées. C’est-à-dire que la contamination se fait par les mains en les mettant dans la bouche, mais les parasites se trouvent dans les selles, précise-t-il. Typhoïde, diarrhée, poliomyélite en font partie. Cependant, pour le moment la plus présente en Haïti n’est autre que le choléra. « Le choléra est toujours là parce qu’il y a eu assez de cas au niveau de notre pédiatrie. Des enfants viennent avec de la diarrhée, et des vomissements ».

Véritable défi pour Haïti ?

Haïti se retrouve au petit coin de l’assainissement. Les statistiques font état d’une situation catastrophique. Près de 25 % de ménages haïtiens ne possèdent aucune toilette. Dans les camps de réfugiés dans la zone métropolitaine, la situation n’est pas trop différente. Pas moins de 34 % des sites ne disposent pas de toilettes, d’après Global Protection Cluster (GPC). Dans celles qui en disposent, les toilettes sont en mauvais état. D’autre part, il y a l’accès en eau potable constituant un véritable luxe. « La majorité de la population n’en ont pas accès », rappelle Dr Jean Philippe Lerbourg, responsable médical de l’HUP, précisant que ces facteurs constituent une menace pour la vie de certains enfants.

Ces maladies sont tellement dangereuses que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) montre que la diarrhée est la deuxième cause de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans et qu’ elle est à l’origine de 525 mille décès d’enfants par an. Dans cette même optique, la pédiatre Angemaëlle Desca souligne qu’en cas de déshydratation l’enfant peut mourir. Et ce n’est pas tout. « Pour les cas de diarrhées chroniques, elles peuvent déboucher sur la malnutrition », ajoute-t-elle.

Et les statistiques communiquées par l’Hôpital Universitaire la Paix (HUP) prouvent la gravité de la situation dans les centres hospitaliers du pays. Au moins un enfant arrive à l’hôpital chaque jour avec les signes des maladies féco-orales. Pour le mois de février sur 66 enfants, 32 ont souffert de troubles digestifs. Tandis que, parmi 62 cas d’admission, 32 % d’entre eux étaient des mineurs contaminés. Pour le mois de janvier, sur 62 cas reçus, 24 avaient la diarrhée et des troubles digestifs, ce qui représente un pourcentage de 39 %. En plus de ces cas, 10 enfants sur 67 autres ayant la diarrhée ont été hospitalisés.

Marie Mika Achile

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Haïti : des camps de déplacés insalubres, véritables usines de fabrication de maladies

Haïti est plongée dans une crise multidimensionnelle depuis trop longtemps. Dans les centres d’hébergement, les personnes déplacées à cause de la violence armée font face à de graves problèmes de santé. L’insalubrité et l’inaccessibilité à l’eau potable les exposent aux maladies infectieuses, aux épidémies et aux maladies hydriques.

–  À 10 heures ce matin, nous arrivons au lycée Anténor Firmin, situé à avenue Charles Summer à Port-au-Prince. À première vue, des taudis construits avec des draps insalubres et des morceaux de tapis protègent les occupants des rayons ultraviolets.

La froide réalité dans les sites

La situation est lamentable. Dans une partie de la cour du lycée, un tas d’immondices côtoie des eaux stagnantes et puantes, dégageant une odeur nauséabonde. Entre les conditions infrahumaines, la promiscuité et l’absence d’eau potable, la réalité est difficile. Des latrines de fortune insuffisantes ou inappropriées compromettent l’hygiène et l’intimité des occupants, surtout des femmes et des filles, augmentant le risque d’infection et d’autres maladies.

« Nous vivons mal au milieu des déchets. Il n’y a pas d’endroits pour jeter les détritus. La nuit, les moustiques nous apportent leur lot de calvaires », raconte un sinistré.

Dans les nombreux camps de la capitale, l’absence de vaccination préalable, la mauvaise hygiène de vie due à l’insalubrité et la contamination de l’eau risquent de conduire à la propagation de maladies hydriques comme le choléra, des lésions cutanées ou d’autres maladies extrêmement contagieuses et dangereuses comme la rougeole, notamment chez les enfants de moins de 5 ans, selon un médecin consulté.

« L’inadéquation des services eau, hygiène et assainissement (WASH) augmente non seulement les risques pour la santé des femmes et des filles, mais elles sont aussi vulnérables au harcèlement, à la violence et aux blessures, avec les conséquences néfastes qui s’ensuivent pour leur santé », explique le Dr Willy Starco.

« Les sites de déplacés sont généralement surpeuplés et débordés, ce qui favorise la transmission des maladies. Les familles vivant dans ces conditions sont confrontées à des risques sanitaires comme le choléra, le paludisme, la malnutrition et le manque d’accès aux soins et à la vaccination  », poursuit-il.

Risques énormes d’infection pour les filles et les femmes

Nous avons rencontré Marie (nom d’emprunt), une des premières déplacées. Elle avoue se sentir gênée de devoir s’adapter à cette situation. « Le quotidien est misérable. Les latrines sont inexistantes ou en mauvais état, il manque d’eau traitée, et la précarité des femmes est une menace pour notre santé et celle de centaines d’autres réfugiées dans ces espaces crasseux », confie-t-elle.

« Les toilettes sont défectueuses. Pour se soulager, on doit se rendre aux toilettes publiques qui coûtent 50 gourdes malgré leur piteux état. Nous, les femmes et les filles, n’avons presque plus d’intimité pour nous doucher et nous changer. Nous utilisons n’importe quelle eau », se lamente-t-elle.

Marthe Marie Hyacinthe (nom d’emprunt), infirmière à Médecins Sans Frontières (MSF), confirme que les femmes et les filles encourent le risque de contracter des maladies infectieuses liées aux installations WASH, telles que la diarrhée et les infections cutanées. Elle précise que plusieurs femmes et jeunes filles ont attrapé des infections vaginales non sexuellement transmissibles à cause de l’hygiène insuffisante.

Les maladies d’origine hydrique, l’autre galère

Selon le Dr. Willy Starco, les conséquences du manque d’eau sont bien connues : déshydratations, maladies à transmission féco-orale dites « maladies des mains sales » comme les diarrhées infectieuses, mais aussi maladies dermatologiques (gale) et maladies transmises par les poux et les tiques. Il mentionne également les maladies du péril fécal (eaux souillées, aliments souillés, mains sales) : diarrhées infectieuses, choléra, shigelloses, fièvre typhoïde, hépatites virales A et E, ainsi que la leptospirose.

« Le manque d’accès à l’eau potable et à des installations d’assainissement est étroitement lié à un risque accru de transmission du choléra. Les personnes vivant dans ces bidonvilles urbains et camps sont particulièrement exposées, faute de respect des exigences minimales en matière d’eau potable et d’assainissement  », explique-t-il.

La gestion des déchets est inexistante dans les camps de déplacés. Les détritus et les eaux usées jonchent les espaces, créant un environnement propice à la prolifération des moustiques, augmentant ainsi le risque de maladies telles que la filariose, le paludisme, le Zika et d’autres. Bien que l’épidémie de choléra semble sous contrôle, les conditions restent propices à la propagation de la maladie et d’autres maladies telles que la dengue, la tuberculose, la rougeole et la polio.

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) dénombre environ 600 000 déplacés, dont 80% sont hébergés chez des familles. Ce n’est pas le cas dans la capitale, où le nombre de sites improvisés, notamment des écoles, a augmenté, mettant la santé des déplacés en danger.

Dans un pays où les ressources médicales sont limitées, les déplacés font face à des défis insurmontables. Il est urgent que des mesures soient prises pour améliorer l’accès aux soins de santé et aux médicaments pour les personnes déplacées, soutiennent les professionnels de santé interrogés. Sans cela, de nombreuses vies continueront d’être affectées, voire fauchées, par des maladies pourtant évitables.

Mederson ALCINDOR

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L’hygiène dans les camps de déplacés à Port-au-Prince, une réalité poignante

Plus de 500 000 personnes fuyant la violence des gangs armés dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, depuis plus de dix mois dans divers quartiers, se retrouvent aujourd’hui dans des camps de déplacés, selon l’Organisation Internationale de Migration (OIM). Si à la surface, la vie a fait semblant de reprendre sur le visage des enfants jouant dans ces écoles, ces sites improvisés servant d’abri provisoire, ou sur celui de leurs parents qui font tout pour redonner un sens à leur nouvelle vie,  les conditions hygiéniques dans ces camps de déplacés témoignent d’une crise sanitaire persistante aggravée dans les périodes critiques comme celles-ci, menaçant à chaque seconde la vie et la santé des réfugiés, violant aussi leurs droits fondamentaux.

Le camp de déplacés du lycée Marie Jeanne

Au lycée Marie Jeanne à l’impasse Lavaud, presque tout a repris, sauf la vie en réalité. Des personnes, dépouillées de tout, essayent tant bien que mal de résister. Au milieu de la cour, à côté de la citerne servant de réservoir d’eau pour le site, une pile d’immondices fait office de spectacle. A moins de 100 mètres de celle-ci, Guirlène s’affaire à terminer ses marinades et acras, sans se soucier des mouches qui font le va et vient entre sa barque à friture et la montagne d’immondices. «Fòk nou bay timoun yo manje, nenpòt jan, donk fòk ou demele w pou w fè yon bagay pou w ka okipe yo, se sa yo rele manman.» Un climat bruyant et impropre, avec des parents aux visages marquant tout le désespoir et la résilience d’un peuple qui ne jure que par la paix et la liberté.

Assis près de son “laye” d’épices, Dieunel raconte la vie dans le camp: « Gen yon sèl twalèt pou tout moun,  ou sipoze peye 10 goud pou w gen aksè ak li, lèfini fòk ou mache ak dlo w. Moun ki pa peye yo, swa paske yo pa gen kòb oubyen paske yo pa edike pou sa, yo fè bezwen yo nan sachè nwa epi yo vòltije l devan baryè a; vòl dirèk ! » En effet, c’est une autre montagne de détritus qui te reçoit devant le lycée, comme c’est le cas de plusieurs autres sites de déplacés tel le local de l’ancien lycée Marie Jeanne à l’avenue John Brown, tout près du Rex Théâtre et non loin du Ministère de la Communication. La situation au lycée Marie Jeanne se répète dans beaucoup de camps ici à Port-au-Prince;  si les réfugiés ne défèquent pas à l’air libre parce qu’ils n’ont pas de toilettes dans leur camp,  ils le font parce qu’ils ne peuvent pas toujours payer les frais allant de 10 à 25 gourdes selon le site. Le bureau de coordination des actions humanitaires en Haïti, OCHA, précise à ce jour que plus de la moitié des sites de déplacés présentent des signes de défécation à l’air libre, une situation sanitaire inquiétante.

Dans certains camps de fortune, comme au Ministère de la Communication, l’accès à l’eau est un véritable casse-tête pour les réfugiés. Jeannette, une cinquantenaire, originaire de Carrefour-Feuilles qui vend du bouillon tous les jours au site du ministère explique son calvaire: « Mwen oblije peye chak galon dlo 40 goud, e fòk mwen peye yon moun pote l rive jis la. »

Plus loin, elle fait comprendre que les citernes du site sont disponibles, mais l’irrégularité des fournisseurs complique l’accès, et depuis plusieurs mois ils doivent acheter de l’eau potable et de l’eau courante. Une réalité qui traverse plusieurs camps de déplacés au centre-ville alors que d’autres en reçoivent régulièrement. Un responsable du site, Touré Maiémé, secrétaire en fonction fait état de sa frustration en raison de la situation précaire dans son camp: « Dlo a se yon bezwen primè, li pa ta dwe chè konsa e se pa nan tèt chaje sa pou nou ta jwenn kèk bokit. Pifò moun ki la pèdi travay yo, yo jis ap chèche yon mwayen pou yo viv, yo pa toujou gen lajan pou achte dlo byen chè e fòk yo manje, bwè, benyen epi netwaye kote yo ye a, tout sa se ak dlo pou l fèt ». Ferme au poste, assise dans son bureau, Madame Touré ne veut pas baisser la garde, elle reconnaît toutefois que beaucoup d’efforts sont consentis pour accompagner les refugiés dans cet état de crise: «Fòk nou di tou, gen anpil efò ki fèt men kondisyon ijyenik nan kan yo toujou deplorab; nou souvan jwenn ka dyare, sitou lakay timoun yo, pwobableman se mank pwòpte ki fè sa.»

Le Dr Charlorin Bead Charlemagne, masterant en Santé Publique à l’Université Libre de Belgique, qui a accepté de participer à cette enquête, fait état d’une situation préexistante qui s’est aggravée en raison de la crise : « En réalité, l’accès à l’eau potable, l’assainissement et l’hygiène en Haïti, quoiqu’indispensable, a toujours été un problème majeur de santé publique. Longtemps avant cette crise humanitaire, l’UNICEF, dans un rapport intitulé: Eau, Assainissement et Hygiène (EAH) fait mention que près d’un quart de la population pratique la défécation à l’air libre et vit sans accès aux sources d’eau améliorées et aux installations adéquates pour le respect des règles d’hygiène; une situation qui ne fait que se reproduire, voire s’envenimer dans les camps de déplacés, augmentant la vulnérabilité des réfugiés pour les maladies féco-orales. » Le spécialiste, de son côté, dresse un bilan fatal de la réalité: «Manque d’accès à l’eau, aux toilettes, à l’assainissement, mauvaises gestions des déchets, promiscuité, manque d’hygiène dans les ménages, les défis sanitaires sont énormes et l’enjeu est vital», rappelle-t-il, tout en ayant soin de féliciter les efforts consentis par les acteurs humanitaires et les autorités étatiques pour accompagner les réfugiés. « Toujours et encore, même en situation de crise, il faut penser santé » martèle le docteur, exhortant les autorités à prendre leurs responsabilités.

Pouchenie Blanc

blancpouchenie@gmail.com

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