Anatomie de la chute d’une fllle-mère à Jérémie

Reportage

 

Au cours de la mission du Réseau haïtien des journalistes de la santé (RHJS) dans le grand Sud, nous avons rencontré une fille-mère à l’hôpital Saint-Antoine de Jérémie. Après sa rencontre, nous nous sommes rendus à Nan Fò, le quartier vulnérable où elle survit, pour décrire l’anatomie de la chute d’une adolescente qui devrait se retrouver sur les bancs de l’école.

Hôpital Saint Antoine de Jérémie

Loudiana Joseph, 17 ans, est mère depuis presque deux ans. Son accouchement précoce, combiné aux conditions socio-économiques déplorables dans le département de la Grand’Anse, explique pourquoi elle peine à nourrir sa fillette de 18 mois. Celle-ci présente une apparence inquiétante. Avec ses jambes frêles et mal formées, avec son ventre anormalement distendu et ses cheveux décolorés, l’enfant montre tous les signes de malnutrition. En l’absence de soutien adéquat et de ressources, la situation de Loudiana et de son nourrisson illustre les énormes défis auxquels sont confrontées de nombreuses familles dans cette région du pays.

Comme d’autres parents de la région, Loudiana se tournent vers l’hôpital Saint- Antoine, le plus grand service public de santé du chef lieu de la Grand’Anse. Accompagnée de sa fille, blottie dans ses bras, enveloppée dans un vieux morceau de drap, elle prend place aux côtés d’autres familles au service de Vaccination et de Nutrition. En urgence, la petite est prise en charge par trois infirmières. Les signes vitaux révèlent une détérioration de son état de santé. Loudiana s’inquiète. ” Miss, j’ai tout fait pour ma fille. Je lui ai donné tout ce que vous m’avez prescrit. Elle boit beaucoup d’eau. Pourquoi son état de santé continue-t-il à se détériorer ? ”

Adolescente, fille-mère, elle n’était pas préparée pour affronter une telle réalité. Loudiana est originaire de Chambellan, commune du département de la Grand’Anse, située dans la presqu’île du Sud-ouest d’Haïti. C’est là qu’elle a vécu dans la précarité entre les sections communales de Déjean et de Boucan, entre les cultures du cacao, de l’igname et du café.

La chute de Loudiana

Qu’est donc devenue l’adolescente après cette catastrophe ?

La voix triste, le regard terne, elle dit : «Devant tous ces tourments, Nous étions abandonnés à notre misère. Un beau jour, mes parents qui n’en pouvaient plus ont décidé de me confier à quelqu’un de la famille qui vivait à Port-au- Prince. Au début, les choses me semblaient plus ou moins normales. Je vivais à Solino.»

On est en 2018. Dans ce quartier surplombant le Champ de Mars où s’installent les locaux du palais national, les bandits font jouer la poudre. La peur s’installe, les gens fuient la zone. Elle n’avait que quatorze ans quand elle vivait dans sa chair cette réalité intenable.

Recueillie chez les proches de ses parents, elle va à l’école pour dessiner un lendemain meilleur. À cet âge, on vit, on s’aime. On se risque pour le plaisir d’aller vers l’autre.

Sur le chemin de l’école, elle rencontre régulièrement un chauffeur de taxi qui lui raconte qu’il a un petit faible pour elle. Loudiana tombe dans ses bras. Bonjour l’amour.

Du haut de ses vingt cinq ans, son amoureux le domine. Déjà, il l’invite à sortir. ” Il y avait une petite fête à mon école, c’était au mois de décembre. Ma tante m’avait interdit d’y aller. Je l’ai suppliée tellement qu’elle a fini par céder “, explique Loudiana. Elle est stratège, l’adolescente. Que ne ferait-elle pas pour rencontrer son bien-aimé

À la fête on rit, on boit. Elle est belle, la vie. Sur le chemin du retour, un peu grisé, que va-t-il se passer ?

Loudiana revient à cette soirée qui l’a marqué au fer rouge. ” Après la fête, sur le chemin du retour, mon ami m’a demandé de coucher avec lui. Je lui ai dit non. Catégoriquement. À plusieurs reprises, il me demande du sexe. Devant tant d’insistance, j’ai fini par céder. Ce soir-là, j’ai perdu ma virginité. Le mois suivant, je n’ai pas eu mes règles. Lorsque je lui ai parlé de ma situation, il a carrément déclaré qu’il ne comprenait pas ce que je lui disais et que je devais chercher le père de mon enfant. Depuis, je ne l’ai jamais revu “, témoigne-t- elle, le cœur lourd.

Après son accouchement, pas une âme autour d’elle. Lorsque l’enfant paraît pas un cercle de famille pour le bercer de chaudes attentions et d’amour. Blessée, elle prend son courage à deux mains pour retrouver le chemin de son pays natal. À Chambellan, ses parents l’entourent mais ne l’encadrent pas matériellement. Ils n’étaient pas préparés. Ils étaient désemparés. De son côté, elle ne savait où se donner la tête ?

Ancrage à Nan Fò

Dans la salle de vaccination et de nutrition où elle patiente, elle revit ses peines, ses regrets et ses tourments. Elle profite du micro du Réseau haïtien des journalistes de la santé qui s’est promené dans cette mission dans le grand Sud pour se décharger. ” Je n’arrivais pas à nourrir mon bébé. Un jour, j’ai décidé d’aller à Jérémie. J’ai trouvé refuge à Nan Fò chez une cousine “, dit-elle.

Nan Fò, au bas de la ville, affiche toutes les caractéristiques d’un quartier vulnérable. Il se dresse sur un monticule rocheux face à la mer. La bicoque de la cousine est dans un état avancé de délabrement comme des centaines d’autres cabanes penchées les unes sur les autres. C’est dans cette paillote dépourvue de toutes commodités (eau, électricité, toilettes) que cette fille-mère survit avec son nourrisson.

Dans ce taudis situé près d’une rigole soulignée par l’immobilité de l’eau, Loudiana passe tout le clair de son temps. Elle se couche péniblement et doit gagner les rues pour subvenir à ses besoins. Toutes les deux semaines, elle se rend à l’hôpital Saint- Antoine pour suivre l’évolution de l’état de santé de sa fille et y trouver de quoi la nourrir.

À l’hôpital, miss Paulémon Lundi Marie Elsa, responsable du centre de vaccination et de nutrition, pose son diagnostique après son évaluation clinique. Que disent ces signes physiques ? Aspect squelettique, bras et mains ; visage et peau luisante ont parlé au regard de l’infirmière. Elle explique : ” La situation de la mère n’est pas favorable, elle aggrave l’état de santé de l’enfant. Au lieu du programme de surveillance nutritionnelle qui implique des consultations tous les quinze jours, elle va être transférée au programme thérapeutique ambulatoire destiné aux enfants au stade 3 de la malnutrition. ”

Que recevra le nourrisson de Loudiana ? ” Dans ce programme, l’enfant reçoit des Plumpy Nut, un aliment thérapeutique prêt à l’emploi utilisé pour traiter la malnutrition aiguë sévère “, informe l’infirmière tout en ajoutant qu’il y a des mères qui vendent les Plumpy Nut.

Triste condition. Dur constat. Attitude de mère moralement révoltant. Mais Loudiana a conscience que lorsque l’hôpital apporte ce supplément en énergie pour palier les insuffisances de kilocalories, de graisse, de protéines et/ou autres nutriments (vitamines et minéraux, etc.) c’est bel et bien pour couvrir les besoins de son bébé qu’elle aime et qui doit vivreendépitdetout.

Aujourd’hui encore, le sexe demeure un sujet tabou dans notre société. Le secrétaire général du Réseau haïtien des journalistes de la santé, Louiny Fontal, visiblement secoué après de telles révélations à l’hôpital, formule ces questions : le cas Loudiana ne nous invite-t- il pas à réaliser sur tous les terrains beaucoup plus de sensibilisation et d’éducation sexuelle de nos jeunes ? Loudiana comme tant d’autres jeunes de son âge n’est-elle pas aussi une victime de cette société qui refuse de regarder les faits en face ?

Hernaëlle Louis Jeune Jean

Claude Bernard Sérant

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