Erold JOSEPH, MD
« Tu me dis, j’oublie ; tu m’enseignes, je me souviens ; tu m’impliques, j’apprends. »
Benjamin Franklin
Le Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle (GRAHN) a organisé dans le Nord-Ouest, à Mare Rouge, deuxième section communale du Môle St-Nicolas, une conférence-débats dédiée aux jeunes de 14 à 18 ans sur la grossesse précoce et les méthodes de contraception. Plus de 300 écoliers et écolières des deux sexes y ont participé. Des professionnels haïtiens de l’organisation, (médecins et infirmières) évoluant à l’extérieur d’Haïti, sont intervenus en la circonstance. Cette initiative intéressante du GRAHN nous remet en mémoire les efforts considérables réalisés par la Direction de Santé Scolaire (DSS) du Ministère de l’Education Nationale en vue d’adresser cette question de manière plus globale, ceci sous l’appellation « Santé Sexuelle et Reproductive » ou SSR. Elle évoque encore plus le document de « Politique Nationale de Santé Scolaire », élaboré par cette structure, avec le support du Ministère de la Santé Publique et d’autres partenaires locaux et internationaux, lequel document a été présenté avec brio, en mai 2022 dans ses grandes lignes à la 24ème Conférence de l’Union Internationale pour la Promotion et l’Education à la Santé (UIPES). En anglais : IUHPE. La validation de ce texte de qualité a été bloquée en 2022 par des « manigances politiciennes ». Cette série vise à approfondir la thématique SSR, ceci à la lumière d’une vision moderne de la santé adoptée par le Ministère de l’Education depuis l’année 2006, date de création de cette structure primitivement appelée alors « Unité Santé, Nutrition et Education. Elle se veut également un éclairage via un modeste partage d’expérience. (1)
Qu’est-ce que la « Santé Sexuelle et Reproductive » ?
L’expression Santé Sexuelle et Reproductive (en abrégé : SSR) se réfère au volet de la santé des jeunes et des adolescents (es), lequel présente un lien direct ou indirect avec le sexe, le genre, la procréation, l’amour et le plaisir. Il s’agit d’une thématique fondamentale de la santé scolaire qui cible les enfants et les jeunes.
Que contient le paquet « Santé Sexuelle et Reproductive » ?
- l’anatomie et la physiologie des organes sexuels. Il s’agit là d’éléments de base adaptés à l’âge
- le genre, (la théorie du genre, la violence de genre)
- l’égalité des sexes
- les Infections Sexuellement Transmissibles ( IST (VIH/SIDA inclus) : leur symptomatologie et prévention (contraception) ainsi que l’organisation de leur prise en charge médicale à l’intention des jeunes écoliers (écolières) et universitaires
- la grossesse et la maternité précoces. Leurs conséquences sur la jeunesse. Leur prévention par une sexualité responsable ,notamment le sexe protégé et autres moyens)
- l’éducation sexuelle complète
- l’amour, le plaisir, le respect du ou de la partenaire
- l’éducation à la vie familiale
- l’éducation aux questions de population, le « dividende démographique »
- La violence sexuelle, le kidnapping, leurs conséquences psychologiques, la thérapie de groupe (services spéciaux pour écoliers et jeunes)
- La lutte contre le tabac, l’alcool et les drogues, autant d’habitudes favorisant les relations sexuelles précoces ou non désirées
- L’organisation de services de santé de la reproduction spécifiquement adaptés aux écoliers et aux jeunes avec des centres spécifiques dotés d’un personnel de santé formé pour travailler avec cette tranche d’âge. On a eu en Haiti, dans le passé de beaux exemples , comme la FOSREF, la PROFAMIL, le VDH , la FOKAL, Konesans Fanmi….
Pourquoi adresser précocément, en milieu scolaire (et universitaire), les thèmes liés à la sexualité, à la procréation ?
Dix pour cent des adolescentes âgées de 15 à 19 ans ont déjà commencé leur vie procréatrice : 8 % ont déjà eu une naissance vivante et 2 % sont enceintes d’un premier enfant. Ce taux est à la baisse, étant passé de 18 % en 2000 à 14 % en 2005-2006 et 2012, et à 10 % en 2016-2017. Il est plus élevé en milieu rural (13 %) qu’en milieu urbain (7 %), et plus élevé chez les adolescentes qui n’ont aucun niveau d’instruction (27 %) que chez celles qui ont au moins un secondaire (6 %). Il est aussi plus élevé chez les adolescentes les plus défavorisées économiquement (19 %) que chez les plus favorisées (4 %). Ces chiffres sont tirés de l’EMMUS VI et repris dans le document de « Politique Nationale de Santé Scolaire » non validé. (2)
Toujours, selon la même source, la prévalence des Infections Sexuellement Transmissible ou IST chez les femmes et les hommes de 15 à 24 ans atteignait respectivement en 2012, 29,7 % et 9,8 % (Enquête EMMUS V). La prévalence du VIH pour ce même groupe d’âge était de 1,1 % chez les femmes et 0,9 % chez les hommes (EMMUS VI , 2017). (2)
Par ailleurs, 25,7 % des femmes et 21,2 % des hommes avaient expérimenté une forme quelconque d’abus sexuel avant l’âge de 18 ans, et la plupart d’entre eux ont subi plusieurs incidents. Les amis/condisciples de classe et partenaires romantiques étaient les auteurs les plus courants du premier incident d’abus sexuel. Aujourd’hui, en 2024, à l’ère du banditisme et du kidnapping, la violence sexuelle est quasi systématique, entrainant une souffrance psychologique et existentielle incommensurable. (2)
En 2014, une enquête a été menée auprès des élèves du secondaire , âgés de 11 à 25 ans. Les drogues les plus consommées en Haïti seraient la marijuana et la cocaïne. L’âge moyen d’initiation à la consommation de marijuana est aux environs de 14 ans. La prévalence d’utilisation de n’importe quelle drogue illicite est, à vie, de 25 % chez les garçons et de 22 % chez les filles. Dans la dernière année, c’est 15,5 % des garçons et 13,8 % des filles qui rapportent en avoir consommé, et 6,3 vs 6,1 durant le dernier mois. Concernant l’alcool, 55 % des élèves rapportent en avoir consommé à vie, 34,3 % durant la dernière année et 21,8 % dans le dernier mois. Quant à la cigarette, 12,1 % en auraient consommé à vie, 6,2 % durant la dernière année et 4,8 % durant le dernier mois. (Enquête CONALD, 2014) http://conaldhaiti.blogspot.com/2016/.
Malheureusement, toutes ces enquêtes ont cessé, en raison du terrorisme actuel, cyniquement baptisé « vivre ensemble » et qui détruit progressivement les fondements de l’Etat haïtien depuis plus de deux décennies et qui semble atteindre aujourd’hui son apogée.
La SSR inclut donc de nombreuses thématiques transversales. Il s’agit d’un volet fondamental de la santé à l’école impliquant en profondeur le secteur éducatif et qui ne saurait se résumer à de simples activités cliniques.
Comprendre autrement pour agir autrement et, avec efficacité
Quand, dans les débuts, on a voulu adresser au Ministère de l’Éducation Nationale, la question de la Santé Sexuelle et Reproductive, beaucoup de partenaires étatiques et privés, ainsi que le grand public, croyaient qu’il suffisait de recruter un certain nombre d’obstétriciens/gynécologues. Ces derniers devraient selon cette vision, accueillir, à leur clinique privée, moyennant certaines modalités de paiement, les jeunes filles présentant une grossesse précoce, ou qui voudraient se faire tester ou soigner pour une Infection Sexuellement Transmissible, notamment le VIH, prévalent à l’époque. Les garçons seraient alors vus par des urologues. Obnubilés par les soins, donc, par une vision biomédicale dépassée de la santé, ils ne réalisaient pas combien il était difficile pour une jeune écolière (et même une universitaire0 de se présenter ouvertement au cabinet d’un gynéco. Ce dernier devrait par ailleurs être à même de dialoguer avec sa patiente et de la mettre en confiance.
Notre santé, tout comme la vie en général, comporte un volet objectif et un volet subjectif. Le volet objectif se réfère au bon fonctionnement des organes, lequel résulte d’un équilibre entre le milieu intérieur (les organes) et le milieu extérieur ou environnemental. Le déséquilibre ou maladie peut être mis en évidence par l’examen médical et les examens paracliniques (labo). Il existe également un volet subjectif lequel dépend du mental, qui perçoit et interprète adéquatement ou non, engendrant le bien-être ou le mal-être. Notre santé dépend en fait, d’une pluralité de facteurs appelés « déterminants de la santé », lesquels s’influencent réciproquement. C’est ce que nous apprend la « promotion de la santé » qui s’identifie aujourd’hui à la santé publique moderne. Si l’on veut garder un individu ou une population en santé, il convient donc d’agir sur ces différents déterminants. Or, un grand nombre d’entre eux dépend de secteurs autres que celui de la santé. D’où la nécessité d’agir conjointement avec ces derniers. C’est l’interdisciplinarité ou intersectorialité laquelle constitue le principe sacro-saint de la promotion de la santé et de la santé publique moderne. (3)
Les quatre grands groupes de « déterminants de la santé » sont les suivants (voir schéma ci-dessous) :
- La biologie (laquelle inclut entre autres, la génétique), en haut et en jaune
- L’organisation des services de santé ou « système de soin », à droite et en vert
- L’environnement, à gauche et en bleu
- Les comportements et habitudes de vie ,en mauve et en bas
Figure : les déterminants de la santé (Tiré de Dever G. E. A. Epidemiogical model for health policy analysis. 1976)
Docteur en médecine, pneumologue, ex Directeur de la Santé scolaire, expert en santé publique, promotion de la santé, et de l’interrelation santé/éducation
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (Direction Santé Scolaire) et Ministère de la Santé Publique et de la Population, Politique Nationale de Santé Scolaire 2020-2030 DRAFT final, 2021
- Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP), Haïti, Enquête Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services, EMMUS VI, 2017-2018
- Erold Joseph, Comprendre la santé autrement. Du choléra à la santé globale : une approche interdisciplinaire, Amazon, aout 2023.
- Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle, Direction Santé Scolaire, Rapport atelier intégration sur la Santé Sexuelle et Reproductive dans le milieu scolaire (15 au 17 mai 2014)