La nuit de toutes les transes pour une trans-formation : Bois Caïman, 14-15 août 1791

Par Marnatha Irère Ternier

PREMIÈRES OBSERVATIONS

1-    Un leader charismatique, Boukman Dutty, en Transe

2-    Un animal, un porc (une Truie) en Transe

3-    Une vieille femme, la Mambo Marinette, en Transe

4-   La météo, la nature en Transe

5) Une foule d’esclaves, une bande de marrons,  en transe

ANTÉCÉDENTS HISTORIQUES DE LA CÉRÉMONIE DU  BOIS CAÏMAN

La cérémonie dans la nuit

Pour comprendre ce qui s’est passé lors de la cérémonie du bois Caïman, il faut remonter à plusieurs années marquées dans la colonie de Saint Domingue (actuellement Haïti) par un ensemble de pratiques et/ou par des notions comme :

– Colonisation

– Traite des nègres

– Esclavage

– Marronage

En effet, au cours de la seconde moitié du 17e siècle, il existe entre la Métropole et la Colonie,  un pacte avec tout un système terrible, extrêmement rigide,  presque comme une sorte de plan de sangsue, indiquant que la colonie n’a d’autre vocation que ” d’enrichir ” (toujours cette métaphore de la sangsue) la Métropole.

Toute ces richesses étaient appelées en fait à se reposer sur les épaules rares de l’esclavage alimenté essentiellement par la traite négrière, la Traite des Noirs.

En même temps que cette pratique douloureuse (la traite des nègres) et affreuse pour nos ancêtres venus d’Afrique, allait par la suite, bouleverser la sociologie, l’anthropologie,  la culture haïtienne, etc…elle a eu du même  coup de sérieuses incidences sur trois (3) continents à la fois

1)

L’Afrique, déracinée, déchirée et appauvrie

2)

L’Amérique, nouveau lieu d’atterrissage de ce nouveau trafic d’êtres humains (traite des nègres), puis devenu aussi, territoire de nouvelles souffrances et de toutes les révoltes.

3)

Boukman, le grand prêtre du vodou officie la cérémonie du Bois-Caïman

L’Europe féodale, colonialiste et trafiquant de négriers ou de bois d’ébène.

Pour ainsi dire,

Esclavage et marronage désormais sont liés.

L’un (l’esclavage) étant une manière de vivre infra humaine,  révoltante.

L’autre (le marronage) arrivant par la suite, avec le temps, comme une porte de salut, une porte de sortie, une voie de recours, la seule alternative qui conduira bientôt à la grande indépendance  de 1804.

Pour l’instant, avant d’y arriver, le code noir de 1685 renforce tout comme un instrument de codification (organisation, régulation) de toutes les horreurs déterminant les conditions de l’esclavage (nourriture, logement, vêtements hygiène …) et la cruauté barbare des maitres.

Traite des nègres et marronage sont étroitement liés aussi .

Dès 1503 , sous le gouvernement de Nicolas Ovando, arrivent dans la colonie de Saint Domingue,  les premières cargaisons de nègres Esclaves.

C’est aussi, dès leur arrivée,  vers 1503 que la colonie commence  à enregistrer ses premiers cas de marronage. Padre Jean tué aux environs de Port de Paix, lors de son activité de guérilla, par les premiers Boucaniers français en 1679 reste et demeure un bel exemple dans notre histoire.

Ainsi, le marron n’est pas seulement quelqu’un qui veut fuir les conditions de l’esclavage,  c’est d’abord et avant tout, quelqu’un qui a soif de liberté et qui dit

NON aux maîtres blancs, aux maîtres colons, cruels, et qui l’empêchent de vivre comme un être humain,  comme une “personne ” à part entière.

La liberté a toujours été sacrée pour nos ancêtres . Pour y arriver, Le marronage et toutes les autres formes de bravoure, de courage et de résistance à l’esclavage,  sont bienvenus comme pratiques :

– Le suicide individuel

– Le suicide collectif

– Les avortements

– Le poison / l’empoisonnement

– L’incendie

– Et les sabotages …

Tout cela a constitué très tot un vrai fléau contre lequel le côlon cruel n’avait pas de remède, ni de solution, il en alors était constamment désarmé.

Avec le temps, ce sont ces bandes aguerries de marrons, cette fois, entraînées à la lutte et à la guérilla, dont les chefs vont se réunir finalement au Bois Caïman pour un ” pacte de sang “, absolument contraire à ce ” pacte  criminel” dont on a parlé plus haut et qui était bel et bien destiné à torpiller la colonie au profit tant des colons que de la Métropole.

Esclavage à Saint-Domingue

POINT DE VUE HISTORIQUE

Après avoir essayé ici d’appréhender les différents concepts (colonisation, Traite des Nègres, esclavage,  marronage) qui entrent d’emblée dans cette démarche conduisant à la cérémonie du Bois Caïman , il faut noter que le panorama des Antécédents historiques est bien dessiné pour nous permettre d’accéder à de nouvelles périodes, à une nouvelle tranche d’histoire,  à de nouvelles figures et à la réalisation de la cérémonie elle-même.

La révolution française de 1789 n’est pas le point de départ des idées révolutionnaires à Saint Domingue (Haïti), puisqu’on vient de le voir, beaucoup de mouvements avait déjà eu lieu pour combattre l’esclavage bien avant 1789 en France.

Toutefois, en apprenant la nouvelle de la tenue de cette révolution de 1789, les Nègres, dans la colonie de Saint Domingue, vont avoir un ” plus” d’inspirations pour la poursuite de leurs mouvements

Ils vont justement se mettre à parler de plus en plus , de liberté….

A l’Arcahaie, dans la plaine du cul de sac, à Léôgane, à Jacmel , dans l’Artibonite etc, des bandes de marrons sont  signalées. Le marronage gagne du terrain.

C’est ainsi qu’avec la grande révolution tenue en France, en 1789, donc, il y a tout un malaise qui s’est créé dans la colonie comme incidences de ce qui vient de se passer ailleurs sur Saint Domingue.

Les Esclaves vont profiter des tensions internes, des désunions, des divisions dans le camp des Grecs (ici, colons, affranchis…) comme on dit , pour se mobiliser grâce aux troubles qui existent de plus en plus parmi les blancs notamment .

Par ailleurs, depuis 1786, les croyances au vaudou sont exploitées et ne cessent de renforcer la conviction des marrons. Le vaudou donc est devenu un allié sûr pour paniquer les colons cette fois et pour mieux rêver de liberté.

Dans cette mouvance, il faut d’abord noter l’émergence d’un certain Mackandal, esclave marron, originaire de Guinée, redoutable pour son talent et sa méthode d’empoisement. Il va au-delà des pratiques en vogue à l’époque, des pratiques de pillages des plantations,  de sacs des habitations  , de vols de troupeaux,  il organise la résistance avec cette nouvelle terreur du poison qui  fit trembler les colons et toute la colonie.

A cette phase des réflexions, il y a d’autres pratiques , d’autres concepts,  et de nouvelles figures aussi à appréhender pour se sentir dans le bain de la cérémonie du Bois Caïman.

Les trois caravelles en route

Ainsi, on a donc des termes comme :

Le Vaudou

Pacte de sang

Boukman

Bois Caïman

Révolte générale

Liberté

Selon plusieurs historiens, le vaudou au début, n’avait pas vraiment une accointance immédiate avec la politique ou avec cette quête de liberté des Esclaves marrons. C’était d’abord un besoin spontané, naturel, de pratiques culturelles et religieuses illustrées par les danses qu’ils ont amenés d’Afrique et de leurs tributs respectives. Ces moments de danses,  ces rassemblements vodou vont donc désormais,  au lendemain de la cérémonie du Bois Caïman,  dans la nuit du 14 au 15 août 1791, prendre une tournure carrément politique. Le vodou va être lié alors à tous les mouvements de résistance des Esclaves et à toutes les luttes pour la liberté. N’est-ce pas pour cela d’ailleurs,  les autorités de la colonie vont adopter le décret du 28 janvier 1797 afin d’interdire les rassemblements vodou, de prévoir des formes de sanctions contre les citoyennes et les citoyens surpris en train de pratiquer le vodou et ses danses, de punir tous complices ayant permis que des rassemblements vodou se tiennent chez eux.

Tout compte fait,  le vodou en tant qu’il est lié aux pratiques de nos ancêtres, va rester dans les traditions et va continuer à servir les luttes contre la cruauté des colons .

L’année 1791 est une année importante pour être dans le bain de cette quête de liberté envisagée par nos ancêtres . Ces derniers en effet ont pris toutes sortes de risques dans la colonie de Saint Domingue face aux colons Blancs suceurs de sang et extrêmement cruels.

Après l’exécution de Mackandal au cours de l’année 1758, tout en se rappelant que Mackandal avait une vision très large en tant que chef de bande et marron, et qu’il entendait faire du marronage, un véritable centre de résistance organisée permettant aux noirs de mieux combattre les blancs et d’en arriver ainsi à la liberté.

Dans la nuit du 14 août au 15 août 1791, Boukman, en véritable leader de service,  eut donc l’idée de réunir sur le site même du Bois Caïman actuel, près du Morne Rouge, dans le Nord du pays,   une foule d’Esclaves .

Cette nuit, la nature en Transe, la forêt, le décor, le cadre, la foudre, les éclairs, la pluie, les orages, se mêlent avec un  objectif central qui allait former un égrégore vu comme une force invisible qui influence les événements, les interactions et les états d’esprit des esclaves présents. L’ égrégore est souvent associé à des organisations, des communautés religieuses, ou des mouvements spirituels, où la concentration collective de pensées et d’énergie crée une sorte d’âme, une sorte d’esprit collectif.

Tandis que la science pourrait interpréter l’égrégore comme un phénomène de psychologie collective, le domaine mystique y voit plutôt une entité énergétique ou spirituelle autonome, capable d’influencer les individus et les événements au sein d’un groupe.

Boukman en Transe voulait avoir toute l’adhésion, pleine et entière, des Esclaves , dans un élan presque de dévotion, de dévouement absolu. Il voulait faire tomber le masque des hésitations.

L’arrivée de la vieille négresse en Transe et l’introduction dans la cérémonie du cochon noir dont le sang vif sera recueilli, distribué à l’assistance constituée d’Esclaves,  consommé ou bu, comme pour jurer d’exécuter désormais les ordres de Boukman, ceci allait basculer la donne.

Il y a là d’étranges mystères.

Sans oublier que le discours d’un Boukman, tout en transe , lui aussi, lui surtout, interpellant le Bon Dieu, le Dieu des bienfaits,  le Dieu de la vengeance certes , mais surtout le Dieu de la liberté qui parle à notre cœur. Tout cela met tout le monde d’accord sur ses nouvelles responsabilités d’œuvrer à la liberté. Une question donc s’impose, qui est l’élément Dieu interpelé par Boukman ?

Est ce le Dieu du bien ou celui du mal?

Tout compte fait, Boukman resre et demeure  un leader charismatique et un prêtre vodou qui a joué un rôle crucial dans l’organisation et la mobilisation des esclaves pour la révolte.

Boukman a utilisé les rituels et les croyances vodou pour galvaniser les esclaves et pour les unir dans leur lutte contre les colons.

Sa révolte a jeté les bases pour le mouvement qui a abouti à la déclaration d’indépendance d’Haïti en 1804.

Cette cérémonie du 14 et du 15 août aura l’effet d’une bombe, par la suite,  en particulier, dans le Nord du pays,  puisque dès le 16 août, un certain nombre d’habitations se met à flamber.

L’habitation Chabaud

L’habitation Desgrieux

L’habitation Flaville

L’habitation Blin

Les habitations Noé

Clément

Galliffet

Turpin

Etc…

Puis,

Limbé est en flammes

L’Acul du Nord aussi.

Vint le tour enfin de :

La Plaine du Nord

La Petite Anse

Quartier Morin

Limonade

Grande Rivière

Sainte Suzanne

Dondon

Marmelade

Plaisance

Port-Margot

Pour ne citer que ces nouvelles localités

Durant les deux mois qui allaient suivre la cérémonie du bois Caïman tenue dans la nuit du  14 août au 15 août 1791, les Esclaves regroupés vont systématiquement se mobiliser dans les montagnes, et toujours en alerte, ils vont le rester dans l’unique but de décimer les forces coloniales.

C’est au cours de cette année (novembre) 1791 que Boukman est tué d’un coup de pistolet par les forces coloniales francaises. Boukman Dutty devrait être reconnu non seulement pour son rôle en tant que leader révolutionnaire, mais aussi pour sa capacité à combiner la spiritualité et la politique afin d’inciter ce changement pour le moins radical.

En guise de ” récompense “,  sa tête fût exposée sur une place publique, au Cap Haitien.

“Tête de Boukman

Chef des révoltés …”

Un témoin rapporte que même le cadavre de Boukman effraya les autorités ….

” Jamais une tête de mort ne conserva autant d’expressions.

Ses yeux ouverts et encore étincelants semblaient donner à ses troupes le signal du massacre “.

(Fin de citation)

A sa mort, Le Cap Haitien, le Nord en général devient comme un grand brasier, qui brûle partout.

Même la Grande Anse (notre sud-ouest actuel) et le Sud allaient aussi prendre part à la révolte.

A ce moment là,  entre en scène le grand Toussaint Louverture qui agissait jusque-là dans l’ombre.

Avec de nouveaux chefs de bandes, Toussaint va pouvoir organiser la direction générale de cette révolte  considérée comme le point de départ de la grande révolution de Saint Domingue.

La rencontre des trois mondes de Frantz Zéphirin

Quelles  perspectives pratiques pour tout cela ?

Il est tout à fait crucial d’inscrire le Bois Caïman dans une politique de tourisme culturel et de le déclarer la date, jour de commémoration pour la cause de la liberté.

Aujourd’hui, Haïti fait face à de nombreux défis pour rivaliser dans le tourisme de masse, basé sur les plages, le soleil et le sable.

Le pays devrait développer un tourisme culturel et historique mettant en valeur ses atouts uniques. Bois Caïman peut être l’une des diverses attractions culturelles et historiques.

Haïti possède à n’en pas douter un patrimoine culturel riche et diversifié. Les inventaires recensent 790 unités patrimoniales, incluant fortifications (114), monuments historiques (149), grottes (75), plages (111), sites archéologiques (86), paysages naturels (49), hauts lieux sacrés (18) et fêtes patronales (188).

Bois Caïman doit pouvoir attirer un grand nombre de visiteurs, de chercheurs et de religieux du monde entier, désireux de comprendre par exemple les différents mouvements d’émancipation dans le monde, en particulier, ceux de la race noire.

En 2019, le Ghana , par exemple,  a lancé “l’année du retour” pour inviter les gens à découvrir ses richesses culturelles. Cette initiative a attiré environ 1 million de touristes, dont de nombreux Afro-Américains qui n’avaient jamais visité l’Afrique auparavant.

Il est donc possible de nous inspirer de cette initiative si nous voulons mettre en valeur notre propre héritage culturel et attirer ainsi un nombre croissant de visiteurs dans notre pays .

Marnatha Irère Ternier

L’ouvrage de l’auteure, «La transe des masques», est disponible à la 30e édition de Livres en folie.

Pour faire suite à cet article, accédez en un clic à la vidéo de la Rencontre des trois mondes

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