Médiation artistique avec des enfants au camp de déplacés du lycée Marie Jeanne

Fondation Sérovie

 

 

Au camp du lycée Marie Jeanne, première rue Lavaud, Bois Verna, un groupe d’enfants travaille sous la supervision de quatre psychologues et de deux travailleurs sociaux. L’ambiance est chaleureuse, le jeudi 23 mai 2024. Quand nous sommes arrivés, un groupe d’adolescents allait juste partir. L’une des psychologues, Valérie Milien, qui encadre cette activité de la Fondation Sérovie supportée par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), retient la cohorte pour mieux nous permettre d’apprécier les activités de créativité et de récréation de Sérovie, une organisation au service de la communauté depuis plus de vingt ans.

« Pour mieux travailler avec ces enfants, nous utilisons la médiation artistique. Ils n’arrivent pas à verbaliser comme les adultes pour exprimer ce qu’ils ressentent. Pour faire ressortir leurs émotions, ce qu’ils ont éprouvé au cours de ces situations qui les ont conduits à quitter leur maison, nous utilisons la médiation artistique à travers la peinture, le dessin, l’animation », déclare la jeune psychologue dans une atmosphère pleine d’entrain où les rires fusent et quelques pas de danse s’accompagnent de battements de mains.

S’exprimer à travers l’art

Avec cette approche thérapeutique, Milien croit dur comme fer que ces ados surmonteront leurs expériences traumatiques pour retrouver un peu de bien-être. « Même ceux qui se mettent à l’écart ne sont pas négligés ; ceux-là, au contraire, méritent une attention soutenue », dit-elle.

Valérie Milien nous conduit dans un espace où d’autres jouvenceaux se concentrent sur d’autres activités plaisantes : ils peignent.

Dadley Auguste, assis devant son chevalet, peint le drapeau haïtien près d’une fille concentrée dont la main va de sa palette de couleurs à la toile. Elle réalise aussi un bicolore. La sienne flotte sur le fronton d’une maison jaune.

Il y a juste quelques jours, le pays avait fêté le 18 mai. Est-ce bien pour cela que ces deux enfants du camp de déplacés se mettent dans ce mouvement patriotique qui appelle au sentiment d’unité et d’identité nationale ?

Christel Joassaint feint de ne pas entendre. Quand elle répond, elle lâche une parole lourde de frustrations pour une ado de treize ans. « Cette année, je vois que nous sommes retournés en esclavage. Nous devons lutter pour sortir de cette situation »

Christel est avare de parole. « J’aime le drapeau que j’ai fait. C’est le drapeau de mon pays. C’est le symbole de la liberté. » Et cette liberté, elle a une façon de la voir et d’en tirer partie. « Fòk nou goumen pou n al lwe kay nou », tranche-t-elle.

À d’autres questions, elle fera savoir que les bandits ont chassé ses parents de la localité de Savane Pistache (Carrefour-Feuilles) et que cet évènement l’a beaucoup secouée.

Dadley, 13 ans, lui, verbalise. On dirait bien qu’il a la pratique de l’interview. « Je fais un drapeau parce que notre peuple a oublié ce que c’est.  On l’a foulé aux pieds. Moi, j’aime mon pays et je veux y rester », dit-il. Et d’ajouter : « Dans un autre pays, je ne serai pas à l’aise ; quand on fait un pas, on vous demande une pièce d’identité. »

Inquiétude dans l’œil, il revient sur ce qui s’est passé naguère pour se rappeler qu’en Haïti, le malheur le guette à chaque pas. Il raconte : « Les bandits nous ont chassés. Ils tirent partout. L’école n’arrive pas à fonctionner », dit cet orphelin de père et de mère qui vit avec sa tante dans ce camp de déplacés. « Je ne vis pas bien ici. L’eau du bassin est remplie de microbes. Moi, je veux retourner à la maison. »

Et pourquoi Dadley se met-il à peindre notre bicolore avec un trophée d’armes souligné de sa légende ?

Il dit tout de go : « Le drapeau, c’est notre force.  C’est notre mère. Notre drapeau a une histoire. Il nous rappelle que Dessalines avait lutté pour nous retirer de l’esclavage. Avec Dessalines, notre drapeau avait flotté très haut. »

Dadley, Christelle, les derniers à quitter la salle, laissent la place à un autre groupe d’enfants, les plus petits. Ils déboulent en courant. Milien, la psychologue, s’empresse de remplacer le matériel de travail. La salle est plus bruyante. Aussitôt une autre séance d’animation commence tambour battant. Les activités sont plus plaisantes. Ils chantent et tapent des mains. Les travailleurs sociaux, tout feu, tout flamme, se glissent dans la peau des tout-petits. Ils les aident à se détendre et à articuler avec leur corps ce qu’ils ne peuvent pas dire avec des mots.

Claude Bernard Sérant

serantclaudebernard@yahoo.fr

Cliquez ici pour avoir accès à cette vidéo

Quitter la version mobile