Depuis le 2 mars 2024, le Lycée Marie Jeanne, logé à l’impasse Lavaud, au cœur de Port-au-Prince, est transformé en camp de déplacés, où vivent dans des conditions inhumaines plus de 6 000 personnes environ fuyant la terreur des hommes armés contrôlant la capitale.
Il est 11 heures 15. Nous sommes sur la cour de récréation du lycée Marie Jeanne (LMJ). Nous ne sommes pas présents pour discuter avec des élèves ou encore moins rencontrer des personnels éducatifs, mais pour parler à des déplacés internes obligés d’abandonner leurs maisons pour se réfugier dans cet établissement scolaire en construction depuis des années. Des hommes, femmes, enfants, bébés voire handicapés vivent sur place depuis environ un mois. L’ambiance est suffocante. La cour est remplie de monde. C’est un véritable marché public. Tout est en vente, de la nourriture aux habits usagés, etc. Les voix des sinistrés se mêlent, créant une cacophonie totale.
Sur la cour, à plusieurs endroits des enfants jouent, de petits attroupements sont remarqués, des vêtements suspendus par-ci et par là, et des tentes sont exposés par terre servant d’abris aux déplacés. Là, nous avons rencontré Sonia Julien, dans la trentaine.
« Je suis inconfortable ici. Quand il pleut, je ne peux pas dormir. J’ai tout perdu, ma maison, voire mon commerce », se plaint Sonia Julien, mère de quatre enfants, dont le mari est décédé depuis trois ans. Cette femme et ses enfants dorment à même le sol sous une tente construite à partir de bâches usagées venant de son premier abri au Centre sportif Gymnasium Vincent de la Rue Romain. L’ancienne résidente de Savane Pistache ne sait à quel saint se vouer. « Nous ne savons pas pour combien de temps nous sommes là. Nous sommes abandonnés. Personne ne nous demande quoi faire », s’indigne la veuve, native de la Croix-des-Bouquets vivant aux dépens des autres pour subvenir aux besoins de ses enfants.
À en croire des déplacés interrogés au Lycée Marie Jeanne, les services sociaux de base n’existent pas. L’accès à l’eau potable constitue un luxe. Et, ce n’est pas différent pour ce qui a trait à l’alimentation et aux soins de santé. N’en parlons pas pour l’électricité. Une situation qui pousse des déplacés à s’imaginer des alternatives. Pantalon noir, t-shirt rose et blanc, Lorima Moise est debout devant plusieurs gallons jaunes remplis d’eau mis à la vente. Constatant le problème d’accès à l’eau dans le camp, il est allé s’approvisionner à Tunnel, un quartier de Carrefour-Feuilles par la suite, les vendre aux déplacés au prix de 25 gourdes le gallon. « L’eau qui est dans le réservoir d’ici est impropre à la consommation ».
« On ne peut l’utiliser, uniquement pour les toilettes. Beaucoup de personnes sont allergiques à cette eau. Elles ont des boutons sur la peau après la douche », poursuit M. Lorima, un ancien chauffeur de camionnette qui assurait le transport du bas de ville, au stade de Sylvio Cator avant le début de la situation de terreur imposée par les gangs au centre-ville de Port-au-Prince. Il a même failli laisser sa peau à Carrefour Feuilles. « Pendant que j’étais au volant, une balle m’a frôlé le visage pour atteindre mon oreille droite », se souvient celui dont la maison est partie en fumée à Carrefour-Feuilles.
La vente de l’eau aux déplacés est un moyen pour lui de gagner son pain quotidien. Comme de nombreux autres déplacés de Carrefour Feuilles, Lorima Moïse a plus de sept mois dans les rues. Avant, il était sur la place Carl Bois. Depuis le 2 mars dernier, il s’est réfugié au Lycée Marie Jeanne. Pour Moïse, les conditions d’existence sont mauvaises dans ce camp. « Les gens dorment entassés comme des sardines. Aucune autorité n’est venue à notre aide », confie-t-il. L’essentiel pour lui, c’est de retourner chez lui. « Je ne suis pas habitué à ce mode de vie. Avant, j’étais autonome avec mes enfants. Grâce à Dieu je peux chercher de quoi vivre », termine-t-il.
Depuis la fin du mois de février 2024, la situation sécuritaire s’est détériorée dans la région de Port-au-Prince. Entre le 1er janvier et le 20 mars, 1 434 personnes sont décédées et 797 autres ont été blessées dans les violences liées aux gangs à travers le pays, selon le haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Plus de 360 000 sont déplacées à l’intérieur du pays, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Fabiola Fanfan
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