La question des toilettes est un sujet pressant au camp du lycée Marie Jeanne, à la 1ere rue Lavaud, au Bois Verna. Les besoins ne se font pas attendre dans cet espace. Six mille déplacés environ, huit toilettes. La demande explose par rapport à l’offre dans ce camp surpeuplé de déplacés. Le lycée Marie Jeanne est semblable à d’autres lieux d’hébergement qui poussent à Port-au-Prince au gré des attaques des bandes armées.
Assise sur une petite chaise basse, tout près des matelas étendus sur le parquet d’une salle de classe du lycée Marie Jeanne, Lovely Dieujuste, une jeune mère, coiffe une fillette sage comme une image. Elle se plaint du prix des toilettes. « Pour déféquer dans le camp du lycée Marie Jeanne, on ne fait pas de cadeau. On doit payer quinze gourdes », s’offusque-t-elle.
À ce prix, comment Lovely, une esthéticienne plongée dans le chômage, qui se plaint d’être sans le sou, peut-elle aborder les cabinets d’aisance pour satisfaire ses besoins physiologiques à un rythme régulier ?
Loucia Érilis, sa voisine de chambre, vivant à la merci de bons samaritains, saisit l’occasion pour une remarque : « On nous fait grâce pour soulager nos besoins. Le portier des toilettes accepte dix gourdes en nous donnant du papier. Mais il ne manque pas de nous dire : ne revient plus si vous n’avez pas d’argent. »
L’esthéticienne, dont la maison a été pillée et incendiée à Carrefour-Feuilles, est considérée comme une grenn pwomennen, autrement dit, une nomade. Elle a arpenté plusieurs camps de déplacés avant d’échouer au lycée Marie Jeanne. Elle dit comprendre le comité qui gère les toilettes, car, trop souvent, les utilisateurs bloquent les sanitaires.
Où se soulager ?
Charles, quinze ans, le don Juan du camp que ses pairs surnomment « ti jènjan », se vante de se plier aux règles imposées par le comité de gestion du camp. Et comment ? « Dès que je sens le besoin de me vider, je cours demander de l’argent à ma maman. Elle me donne quinze gourdes pour aller aux toilettes. J’ai toujours mes quinze gourdes. »
Un concert de rires couvre la voix de notre don Juan. Les adultes et les enfants n’en finissent pas de se tordre de rire. Où est la blague ? Emmanuel, l’un de ses camarades, lui demande pourquoi il veut faire comprendre que ses parents ont de l’argent pour satisfaire ses besoins pressants ?
Emmanuel, le regard franc, lui dit : « Tu aurais quinze gourdes et tu l’aurais filé pour ça ? ». Charles répartit d’un grand rire et se livre : « On va se soulager tout près, dans la ravine bwadchèn. C’est là qu’on y va. Et du côté des pompiers aussi. »
Et pour t’essuyer ? ose son compagnon de bwadchèn. « Une pierre fait l’affaire », avoue-t-il.
Tout en suivant ces échanges avec les enfants, Lovely revient à la charge. « Parce que le prix est élevé pour déféquer, les gens font des choses répugnantes dans ce camp. Si vous étiez venu un peu plus tôt, vous auriez vu l’état de nos escaliers. Ils font exprès de chier dans ces assiettes ou ces boîtes en carton. Depi w pile bwat sa yo ou bwete», dit-elle en fixant les deux garçons.
« Se pa mwen menm non! » s’empresse de dire Charles relayé par Emmanuel qui prend ce regard appuyé pour une accusation.
À l’heure où le cholera n’a pas encore dit son dernier mot en Haïti, les matières fécales traînent dans les camps de déplacés où l’offre des toilettes ne répond pas à l’explosion de la demande. Huit toilettes pour six mille fesses environ. Vous imaginez !
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