L’impact de l’insécurité dans les programmes de lutte contre la VBG en Haïti

Interview

En période de crise humanitaire et de troubles sociopolitiques, les groupes vulnérables, dont les femmes, les filles, les jeunes, les enfants, les minorités sexuelles, font face à la peur, à la violence et au rejet au quotidien. Conscientes de la situation, des Organisations communautaires regroupées au sein du Forum de la société civile s’activent pour venir en aide aux plus vulnérables. Leurs interventions rencontrent de grandes difficultés en raison de la dégénérescence du climat sécuritaire du pays. Le directeur exécutif de la Fondation pour la Santé Reproductrice et l’Education Familiale (FOSREF), Dr Fritz Moïse, également président du Forum de la société civile de lutte contre le VIH, la Tuberculose et le Paludisme, nous aide à mieux analyser l’impact de la crise sociopolitique, économique et sécuritaire persistante dans le pays sur les programmes de lutte contre la violence basée sur le genre dans les communautés vulnérables d’Haïti. Dr Fritz Moïse répond aux questions de Louiny FONTAL.

Le directeur exécutif de FOSERF, Dr Fritz Moïse

Louiny FONTAL : Quelle lecture faites-vous de la situation de la violence généralisée dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince et son incidence sur l’augmentation des cas de violence basée sur le genre ?

Dr Fritz Moïse : La situation de violence généralisée dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince a pratiquement désorganisé notre société. Aujourd’hui, on assiste à un départ précipité de nos citoyens vers l’extérieur. Ceux qui restent au pays ne savent à quel saint se vouer.  Ils sont délogés de leurs quartiers, chassés par les hommes armés, deviennent de véritables nomades. Nos institutions sont totalement désorganisées. Sur le visage des gens à travers les rues et dans les camps se lit une grande frustration.  Mêmes frustrations chez nos compatriotes qui assistent impuissants dans la diaspora. Quel impact en termes de VBG ? Cette situation a occasionné une augmentation significative des actes de violence multiforme :  violences verbale, sexuelle, sans oublier celles basées sur le genre. Nous sommes conscients que la crise que connait le pays rend encore plus vulnérables certaines couches de la population (les femmes, les filles, les jeunes, les populations clés, etc).  Les différents rapports publiés révèlent que, ces derniers mois, les actes de violence et de criminalité sont en nette augmentation dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

La communication, un outil pour changer les comportements

L.F. Comment une telle situation influence-t-elle le travail des acteurs dans la lutte contre la VBG ?

Dr. F. M. Voilà un point clé. Lorsqu’on parle d’acteurs dans ce domaine, on parle surtout de tous ceux et celles qui interviennent dans la prévention liée au changement social et comportemental. En somme, tout ce qui a trait aux tabous, au machisme, à la violence basée sur le genre, la stigmatisation et la discrimination vis-à-vis des minorités sexuelles. Remarquons que dans ce contexte de violence, le travail des acteurs devient de plus en plus difficile. Les normes sociétales sont tombées. C’est le laxisme. On devient sourd. Alors, nous autres, en tant qu’acteurs de terrain, nous avons changé de stratégie. Présentement, la communication est notre arme la plus puissante et la plus appropriée pour faire front aux obstacles. La technologie, la magie des réseaux sociaux nous aident à surmonter les difficultés relatives aux séances de formation, de rencontres communautaires, d’ateliers de débats, pour ne citer que ceux-là. Et c’est en nous adaptant à cette nouvelle situation qu’on arrive à donner des résultats.

L.F. Quelles sont les couches les plus vulnérables face à ce climat d’insécurité ?

Dr. F. M. Dans ce climat d’insécurité généralisée, les groupes les plus vulnérables sont les femmes, les jeunes filles, les enfants, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap et les minorités sexuelles. On a remarqué que les actes de violence sont en nette augmentation contre les minorités sexuelles, les femmes et les filles. Ces dernières sont pratiquement les plus à risque.  Pourquoi ? Parce qu’elles sont parfois utilisées comme moyen de chantage par les gangs.  Les filles deviennent ainsi arme stratégique pour faire pression, étendre leur pouvoir et conquérir de nouveaux territoires.

L.F. : FOSREF a paraphé fin 2022 un protocole d’accord tripartite dans le cadre du projet PASSREL pour lutter contre la violence sexuelle et basée sur le genre. La majorité des activités devait se cantonner à la Croix-des-Bouquets. A date, quel bilan, Dr Moise ?

Dr F.M. : En fait, il faut préciser que lors du lancement du projet dans la commune de la Croix-des-Bouquets, cela fait plus de deux ans, nous n’étions pas à ce stade de violence. Cependant, Il y avait déjà une situation très fragile qui nous avait poussé à mettre en place un plan de mitigation de risque – Plan de sécurité – Plan de contingence. Nous avions fait appel à un spécialiste en sécurité pour accompagner ce projet. Par contre, pour les activités, nous avions dû rapatrier malheureusement, beaucoup d’interventions qui devaient se faire directement dans la commune. Par exemple, toutes les sessions de formation dans les communautés de la Croix-des-Bouquets ont été déplacées dans des zones périphériques. A chaque fois qu’il y avait une accalmie, nous en avions profité pour réaliser rapidement des activités. D’une manière générale, on peut dire que les activités clés du projet pour la période difficile sont jusque-là réalisées. Cependant, nous pouvons dire que du point de vue des réseaux de service dans la commune de la Croix-des-Bouquets, c’est là où le projet a eu de plus grandes souffrances. Il faut souligner que c’est un projet qui vise à changer le comportement des gens au point de vue de santé sexuelle et reproductive mais surtout en termes de violence basée sur le genre. A côté des activités de sensibilisation et de formation pour le changement social et comportemental, les programmes communautaires, il y a aussi les services qui sont offerts au niveau des institutions de santé dans la commune. Là, il y a beaucoup d’institutions qui ont des contraintes de fonctionnement par rapport à la violence – climat d’insécurité – fermeture. C’est ce qui a un peu affecté certaines activités de mise en œuvre dans le cadre de ce projet.

L.F. Quel avenir pour ce projet ?

Dr. F. M. Pratiquement, la base du projet réside dans l’implication effective des leaders d’organisations communautaires de base, au niveau de la commune qui ont été formés sur des stratégies de riposte contre la violence basée sur le genre, dans la promotion de la santé sexuelle, des droits sexuels, des droits en matière de santé de la reproduction. C’est une masse critique que le projet a pu obtenir et qui est mise en place. Malgré la situation d’insécurité, ces leaders communautaires continuent, à travers des focus groupes, des causeries, des activités de porte-à-porte. Ils continuent de faire passer les messages. Tous les partenaires d’implémentation sont toujours à bord : la SHOG, l’Association des sage-femmes, la Fosref avec tous les autres partenaires qui accompagnent le projet. Ce projet va continuer. Nous espérons que la situation dans la commune de la Croix-des-Bouquets s’améliorera pour permettre au projet d’atteindre les résultats escomptés.

Propos recueillis par Louiny Fontal

fontallouiny1980@gmail.com

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