Dans ce dossier santé, le Réseau haïtien des journalistes de la santé (RHJS) vous propose 8 articles consacrés au phénomène de la violence sexuelle tout en ouvrant une fenêtre sur l’hôpital général, le plus grand centre hospitalier d’Haïti. Voici les articles de nos rédacteurs de Bien-être.
- Vous avez dit violences sexuelles (Edito, Louiny Fontal)
- Chantale brise la glace, un passé tragique ressurgit (Marc-Kerley FONTAL)
- Cris désespérés des patients abandonnés de l’Hôpital général (Fabiola Fanfan)
- L’Hôpital général ne peut pas fermer ses portes (Claude Bernard Sérant)
- L’impact de l’insécurité sur les programmes de lutte contre la VBG en Haïti (Louiny Fontal)
- Violence sexuelle, un véritable problème de santé publique (Sabry Iccenat)
- Crise sécuritaire : les violences sexuelles en nette augmentation en Haïti (Roseline Daphné Décéjour)
- Conséquences de la discontinuité des services de santé liés aux violences sexuelles (Gladimy Ibraïme)
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Vous avez dit violences sexuelles
Aucun être humain n’a nul droit d’imposer à son semblable un acte sexuel qu’il ne désire pas. Comment faire entrer dans la tête des brutes, des prédateurs sexuels cette idée ? Telle est la question.
À travers tous les moyens dont il dispose, le Réseau haïtien des journalistes de la santé mène le combat contre les violences sexuelles sur le terrain du multimédia. À travers nos émissions de radio, nos capsules vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, dans les médias traditionnels et en ligne, même combat.
Dans ce dix-huitième numéro de Bien-Être, notre infolettre traite de cette question qualifiée, dans un article de ce nouveau numéro, de drame mondial qui n’épargne aucun pays.
Avec Sabry Iccenat, Vous avez vu qu’« en France, pour l’année 2023 seulement, 114 100 plaintes pour violence sexuelle ont été enregistrées avec une augmentation de 7% par rapport à l’année précédente, selon ce que rapporte le magazine Le Point.»
En Haïti, les violences sexuelles sont en nette augmentation. Roseline Daphné Décéjour cite : « Selon l’Organisation des Citoyens pour une Nouvelle Haïti (OCNH), entre juin et novembre 2023, plus de 300 cas de violences sexuelles ont été enregistrés sur le territoire national. Un rapport de Human Rights Watch, qui reprend les chiffres de Médecins Sans Frontières (MSF), informe que 1 005 victimes de violence sexuelle ont été prises en charge à Port-au-Prince (dans les hôpitaux de MSF). Presque le double du chiffre enregistré pour la même période en 2022. »
La crise qui secoue Haïti est insoutenable. Dans les aires géographiques de Port-au-Prince et de la zone métropolitaine, par exemple, où vont les survivants (tes) des violences sexuelles ?
Gladimy Ibraïme rapporte une note de l’Association des Hôpitaux Privés d’Haïti (AHPH) rendue publique le 6 mars 2024. Une réponse à notre interrogation à partir de cette information : « De nombreux hôpitaux ont été victimes d’attaques violentes et de vandalisme, dont l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, l’Hôpital Saint François de Sales et l’Hôpital DASH de Delmas 18. De plus, nous faisons face à des pénuries sévères d’intrants médicaux essentiels, de carburant et d’oxygène, ce qui compromet sérieusement notre capacité à répondre aux besoins médicaux urgents de nos patients. »
Ne pas pouvoir obtenir le service de la santé, encore une atteinte aux droits fondamentaux de la personne. Quelle double peine !
Un rappel dans l’intérêt général
Le RHJS condamne toutes les formes de violence, physiques ou psychologiques, qui se manifestent de façon sexuelle. Nous élevons haut nos voix pour dire que cet ensauvagement dégrade la personne humaine. C’est tragique, ce drame auquel on assiste impuissant.
Quand la poudre parle, quand les balles chantent, les mains nues des journalistes n’ont recours qu’à l’arme de la dialectique pour rappeler que toute société où le droit est foulé au pied creuse sa propre tombe.
Dans l’intérêt général, notre réseau de journalistes prend, en toute conscience, le parti pris de traiter des informations sur les violences sexuelles en vue de sensibiliser le citoyen sur cette problématique. La question des violences sexuelles, ce n’est pas seulement l’affaire des victimes, c’est l’affaire de tout le monde. Aussi devons-nous lutter, dans le cadre de la liberté d’expression, pour que cela cesse en Haïti.
Les violences sexuelles ont un lourd impact traumatique sur notre société. Les victimes et leurs proches sont ravagés de l’intérieur.
Avons-nous pris le temps de réfléchir sur cette question essentielle : Quelle société veut-on construire ?
Louiny Fontal
Secrétaire général du RHJS
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Chantale brise la glace, un passé tragique ressurgit
Les populations clés et les groupes vulnérables dont les femmes et les filles font face depuis des lustres à une pandémie dévastatrice. Il s’agit de la violence basée sur le genre (VBG). Ce phénomène constitue l’une des violations des droits humains les plus répandues au monde, une crise sanitaire généralisée et meurtrière. Une femme sur trois, soit 736 millions, sera confrontée à des violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie. En Haïti, la situation est encore plus critique compte tenu de la prolifération des groupes armés qui veulent à tout prix occuper beaucoup plus d’espaces géographique, économique, politique et sociale. Le viol reste donc leur principale arme stratégique d’intimidation.
L’histoire de chantale (nom d’emprunt attribué à une ancienne otage), en est une triste illustration de cet enfer que connait le pays au quotidien.
Dix-sept ans plus tard, Chantale se souviendra du jour où elle a été kidnappée avec une cohorte de madan sara sur la route nationale No Un. Ce jour est resté gravé dans sa mémoire comme si c’était hier. Dix personnes environ au nombre desquels le chauffeur du camion étaient emmenés dans une maison qui servait de cachette aux kidnappeurs. Ils étaient lourdement armés et menaçaient de buter tout le monde.
Douloureuse tragédie. Ils ont passé trois jours qui ont paru une éternité dans une cellule aménagée pour leur butin. « On a été pillés, battus et les femmes violées », déclare Chantale en écrasant une larme sur ses joues.
Chantale avait besoin d’une oreille attentive pour épancher sa douleur, le micro d’un journaliste pour répandre urbi et orbi son histoire. Pour accomplir cette tâche, nous nous sommes rendus à Cité Soleil, commune de l’arrondissement de Port au Prince, au Projet Drouillard, à Varreux 1. Cette section communale où se découpent 750 logements sociaux sous le ciel de la cité heurte les yeux et le nez à cause de son insalubrité.
Madan Sara de sa profession, mère de quatre enfants, Chantale s’approvisionne en vivres alimentaires à l’Arcahaie pour écouler sa marchandise au marché de Drouillard. Depuis la mort de Luc, son mari parti dans de tragiques conditions lors des turbulences politiques de 2004, la quinquagénaire s’attèle corps et âme à l’éducation de ses enfants. Avec le temps, chacun a fait studieusement sa route. Elle a même réussi l’exploit de doter sa famille monoparentale d’un médecin.
Que reste-t-il des souvenirs ?
Le passé de Chantale a des relents lancinants. 2006. 3 heures du matin. Un camion à bord duquel se trouvent dix personnes dont le chauffeur sur la route nationale # 1 est détourné. Ce véhicule qui faisait cap sur Port au Prince est dévié manu militari de sa trajectoire.
« On nous a conduit dans une petite chambre suffocante de chaleur. Il y avait parmi nous sept mères de familles. Nous avons vécu l’enfer », se remémore-t-elle amèrement.
Comment a-t-elle vécu cette expérience ?
« Ce fut une très mauvaise expérience pour moi. J’avais 43 ans à l’époque. Mes trois aînés étaient déjà assez grands. Dans le cachot, je pensais à eux. Les kidnappeurs nous surveillaient. Ils étaient au nombre de cinq à faire des rondes. On avait cru qu’on allait pas sortir en vie dans cette situation de détresse ».
Après un court instant, elle reprend son souffle et redevient cette femme chaleureuse et accueillante. « Ils nous ont libérés trois jours plus tard, vers 5h de l’après-midi. On a marché toute la soirée. Le lendemain, nous sommes arrivés exténués, mais en vie, sur la Route neuf », dit-elle avec un ouf de soulagement thérapeutique dans sa voix.
Mais que reste-il de cette nuit ?
Le viol de ces nuits abominables a laissé des traces indélébiles dans sa chair. Chantal raconte : « Je suis allée voir, un peu plus tard les médecins. Ils n’ont dit que j’étais enceinte. J’étais enceinte et veuve à 43 ans ! »
Le grand drame, bien des années plus tard, cette femme n’arrive toujours pas à dire à son benjamin qui est son père. Alors elle avait besoin d’une oreille empathique, d’un micro sensible pour raconter et se soulager et aussi pour dire à la face du monde Ô combien c’est douloureux le viol.
Par sa foi chrétienne, elle a essayé de surmonter ces épreuves : « Même si j’ai conçu mon enfant dans un contexte difficile, la haine n’a pas pris le dessus. Je l’aime et le chérie comme mes autres enfants. C’est mon porte-bonheur. C’est le chouchou de la famille. »
En dépit des efforts de sensibilisation, la violence basée sur le genre reste un véritable problème de santé publique. Beaucoup de personnes en sont victimes et les séquelles sont souvent difficiles à réparer.
Marc-Kerley FONTAL
marckerleyfontal@gmail.com
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Cris désespérés des patients abandonnés de l’Hôpital général
Depuis le 29 février 2024, « Vivre Ensemble », une coalition armée a pris le contrôle de la région métropolitaine de Port-au-Prince semant la terreur jour et nuit. Ainsi, les institutions privées et publiques se trouvant au cœur du centre-ville de Port-au-Prince en sortent grandement affectées. Dans ce climat de violence, l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) n’est pas épargné. Comme conséquence, des patients et des prestataires de soins ont vidé les lieux. Il n’y reste que des désœuvrés qui n’ont nulle part où aller.
Vendredi 15 mars. 11 heures du matin. Nous sommes à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) communément appelé l’Hôpital général. Là, nous avons rencontré Dessalines Cayo hospitalisé depuis au moins cinq mois. Il se promène sur la cour du plus grand centre hospitalier du pays avec son cathéter urinaire comme s’il était chez lui. Cayo, natif de Port-au-Prince, souffre de lithiase rénale et de problème de prostate depuis tantôt huit ans. Faute de moyens adéquats, il est incapable de répondre aux exigences médicales.
« Je devrais subir une opération chirurgicale. On me demande 25 000 gourdes alors que je suis au chômage. Où est-ce que je vais trouver cette somme d’argent ? », se demande le septuagénaire, désespéré. Depuis plus de quinze jours, Cayo est privé de soins de santé. Le personnel médical de l’HUEH a été obligé d’évacuer l’espace face à la terreur instaurée par les bandes armées. Aux alentours de ce centre hospitalier très fréquenté par les plus vulnérables, la menace plane au quotidien. Des patients ont aussi abandonné cet espace où seuls quelques sans-abris s’y trouvent et y résistent encore.
Aucun espoir à l’horizon
Il est presque midi. Cayo n’a pas encore pris son premier repas de la journée. Aucun espoir ne profile à l’horizon. Sur son visage chiffonné se lit la misère. Son ventre ne fait qu’un avec son dos. À en croire ce patient, sa famille l’a abandonné. Bien avant la crise, il pouvait compter sur les religieux de la paroisse Notre-Dame de l’Immaculée Conception pour subvenir à ses besoins. «Sans le soutien du père Frantzy Petit Homme, je serais déjà mort. À présent, je suis là par la grâce de Dieu », lâche-t-il.
Après Cayo, direction droit vers les salles de la médecine interne de l’hôpital situé au fond de l’ancien bâtiment près du service des urgences. Les lits, vidés de leurs occupants. Aucun responsable sur place. À l’entrée, deux patients sont assis face à face. Pas un mot. Pas d’échange entre eux. Ils ont l’air d’être plongés dans une profonde réflexion.
Nous nous approchons auprès de Franckel Exil. Chemise bleue, pantalon bleu marine, ce sexagénaire souffre d’une hernie inguinale. Hospitalisé depuis mai 2023, il avait subi une opération chirurgicale pour cette pathologie. Bien qu’il ait déjà reçu son exeat, il ne peut pas rentrer chez lui. Que s’est-il donc passé ? Il explique : « Je suis retourné chez moi. Et qu’est-ce que je constate ? Ma maison est devenue un abri provisoire. Voyez-vous, je suis obligé de retourner à l’hôpital général. Mon médecin m’a suggéré de rester sur place. Et voilà, les choses se sont empirées »
Angoissé, privé de ses médicaments depuis plusieurs jours, Exil ne sait pas quand il reverra son médecin. L’originaire des Cayes ne sait à quel saint se vouer. À cause des hommes armés qui contrôlent le sud de la capitale, il craint de prendre la route pour retourner au bercail. Tout comme Cayo, Exil vit aux dépens de bons samaritains.
Haïti continue de faire face à une escalade de violences entrainant de graves conséquences sur les centres hospitaliers et la santé de la population.
Fabiola Fanfan
Fanfanfabiola10@gmail.com
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L’Hôpital général ne peut pas fermer ses portes
L’Hôpital général de Port-au-Prince traverse un sale temps. Ses portes sont fermées depuis le 29 février 2024. Cet hôpital centenaire, créé sous le gouvernement de Sudre Dartiguenave, durant l’occupation américaine au début des années 1920, est au service de la population depuis le siècle dernier.
La direction exécutive de l’Hôpital général a appelé au sens patriotique de ses employés. Elle en a profité pour fixer la reprise des activités au lundi 1er avril 2024. Des activités toujours au point mort jusqu’à présent compte tenu de l’occupation de l’espace par des hommes armés.
L’hôpital général était toujours debout. Bon gré mal gré, en dépit de toutes les convulsions politiques ayant secoué le pays, un minimum de sécurité avait toujours été mis en place pour protéger patients et prestataires de soins.
Avant le tremblement de terre de janvier 2010 l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) disposait de 700 lits et recevait plus de 10 000 nouveaux patients par mois?
On ne tire pas sur une ambulance
Désormais, Haïti a atteint un tel niveau d’ensauvagement que les bandits attaquent les hôpitaux, saccagent, pillent des pharmacies et des laboratoires à un moment où la population est aux abois et l’État effondré. Dans ce contexte d’insécurité généralisée, même les ambulances ne sont pas épargnées.
Mais comment accabler des gens ravagés, vivant dans une situation désespérée? Les bandits brûlent leurs maisons, les chassent et les tuent. Mais on ne tire pas sur une ambulance. Laissons-nous imprégner par cette image : Haïti est un malade dans une ambulance.
Pendant deux siècles, à force de s’acharner sur nos institutions, à force de les dépecer, l’État est moribond. L’État crie au secours.
Dans le système sanitaire haïtien, l’Hôpital général se situe au niveau tertiaire, autrement dit, au sommet de la pyramide. Hôpital universitaire spécialisé, il fournit tout un paquet de services de soins à la population et permet aux étudiants de faire leur internat sous l’œil des professionnels ayant des kilomètres d’expériences en milieu hospitalier. De plus, l’HUEH offre également la résidence hospitalière qui donne lieu à la spécialisation.
Encore une fois, la population haïtienne souffre le martyre. En 2010, l’HUEH avait subi de grands dommages. En dépit des difficultés, les patients continuaient à se rendre dans les services de l’HUEH sous des tentes, des abris provisoires et même dans la cour.
Qu’est-ce qui nous arrive ? Quand donc a commencé notre dégénérescence ? L’heure est grave. Cette crise ouvre la plaie béante d’une société qui continue à fabriquer des hommes et des femmes qui n’ont aucune sensibilité pour leur propre peuple.
Claude Bernard Sérant
serantclaudebernard@yahoo.fr
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L’impact de l’insécurité dans les programmes de lutte contre la VBG en Haïti
En période de crise humanitaire et de troubles sociopolitiques, les groupes vulnérables, dont les femmes, les filles, les jeunes, les enfants, les minorités sexuelles, font face à la peur, à la violence et au rejet au quotidien. Conscientes de la situation, des Organisations communautaires regroupées au sein du Forum de la société civile s’activent pour venir en aide aux plus vulnérables. Leurs interventions rencontrent de grandes difficultés en raison de la dégénérescence du climat sécuritaire du pays. Le directeur exécutif de la Fondation pour la Santé Reproductrice et l’Education Familiale (FOSREF), Dr Fritz Moïse, également président du Forum de la société civile de lutte contre le VIH, la Tuberculose et le Paludisme, nous aide à mieux analyser l’impact de la crise sociopolitique, économique et sécuritaire persistante dans le pays sur les programmes de lutte contre la violence basée sur le genre dans les communautés vulnérables d’Haïti. Dr Fritz Moïse répond aux questions de Louiny FONTAL.
Louiny FONTAL : Quelle lecture faites-vous de la situation de la violence généralisée dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince et son incidence sur l’augmentation des cas de violence basée sur le genre ?
Dr Fritz Moïse : La situation de violence généralisée dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince a pratiquement désorganisé notre société. Aujourd’hui, on assiste à un départ précipité de nos citoyens vers l’extérieur. Ceux qui restent au pays ne savent à quel saint se vouer. Ils sont délogés de leurs quartiers, chassés par les hommes armés, deviennent de véritables nomades. Nos institutions sont totalement désorganisées. Sur le visage des gens à travers les rues et dans les camps se lit une grande frustration. Mêmes frustrations chez nos compatriotes qui assistent impuissants dans la diaspora. Quel impact en termes de VBG ? Cette situation a occasionné une augmentation significative des actes de violence multiforme : violences verbale, sexuelle, sans oublier celles basées sur le genre. Nous sommes conscients que la crise que connait le pays rend encore plus vulnérables certaines couches de la population (les femmes, les filles, les jeunes, les populations clés, etc). Les différents rapports publiés révèlent que, ces derniers mois, les actes de violence et de criminalité sont en nette augmentation dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.
La communication, un outil pour changer les comportements
L.F. Comment une telle situation influence-t-elle le travail des acteurs dans la lutte contre la VBG ?
Dr. F. M. Voilà un point clé. Lorsqu’on parle d’acteurs dans ce domaine, on parle surtout de tous ceux et celles qui interviennent dans la prévention liée au changement social et comportemental. En somme, tout ce qui a trait aux tabous, au machisme, à la violence basée sur le genre, la stigmatisation et la discrimination vis-à-vis des minorités sexuelles. Remarquons que dans ce contexte de violence, le travail des acteurs devient de plus en plus difficile. Les normes sociétales sont tombées. C’est le laxisme. On devient sourd. Alors, nous autres, en tant qu’acteurs de terrain, nous avons changé de stratégie. Présentement, la communication est notre arme la plus puissante et la plus appropriée pour faire front aux obstacles. La technologie, la magie des réseaux sociaux nous aident à surmonter les difficultés relatives aux séances de formation, de rencontres communautaires, d’ateliers de débats, pour ne citer que ceux-là. Et c’est en nous adaptant à cette nouvelle situation qu’on arrive à donner des résultats.
L.F. Quelles sont les couches les plus vulnérables face à ce climat d’insécurité ?
Dr. F. M. Dans ce climat d’insécurité généralisée, les groupes les plus vulnérables sont les femmes, les jeunes filles, les enfants, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap et les minorités sexuelles. On a remarqué que les actes de violence sont en nette augmentation contre les minorités sexuelles, les femmes et les filles. Ces dernières sont pratiquement les plus à risque. Pourquoi ? Parce qu’elles sont parfois utilisées comme moyen de chantage par les gangs. Les filles deviennent ainsi arme stratégique pour faire pression, étendre leur pouvoir et conquérir de nouveaux territoires.
L.F. : FOSREF a paraphé fin 2022 un protocole d’accord tripartite dans le cadre du projet PASSREL pour lutter contre la violence sexuelle et basée sur le genre. La majorité des activités devait se cantonner à la Croix-des-Bouquets. A date, quel bilan, Dr Moise ?
Dr F.M. : En fait, il faut préciser que lors du lancement du projet dans la commune de la Croix-des-Bouquets, cela fait plus de deux ans, nous n’étions pas à ce stade de violence. Cependant, Il y avait déjà une situation très fragile qui nous avait poussé à mettre en place un plan de mitigation de risque – Plan de sécurité – Plan de contingence. Nous avions fait appel à un spécialiste en sécurité pour accompagner ce projet. Par contre, pour les activités, nous avions dû rapatrier malheureusement, beaucoup d’interventions qui devaient se faire directement dans la commune. Par exemple, toutes les sessions de formation dans les communautés de la Croix-des-Bouquets ont été déplacées dans des zones périphériques. A chaque fois qu’il y avait une accalmie, nous en avions profité pour réaliser rapidement des activités. D’une manière générale, on peut dire que les activités clés du projet pour la période difficile sont jusque-là réalisées. Cependant, nous pouvons dire que du point de vue des réseaux de service dans la commune de la Croix-des-Bouquets, c’est là où le projet a eu de plus grandes souffrances. Il faut souligner que c’est un projet qui vise à changer le comportement des gens au point de vue de santé sexuelle et reproductive mais surtout en termes de violence basée sur le genre. A côté des activités de sensibilisation et de formation pour le changement social et comportemental, les programmes communautaires, il y a aussi les services qui sont offerts au niveau des institutions de santé dans la commune. Là, il y a beaucoup d’institutions qui ont des contraintes de fonctionnement par rapport à la violence – climat d’insécurité – fermeture. C’est ce qui a un peu affecté certaines activités de mise en œuvre dans le cadre de ce projet.
L.F. Quel avenir pour ce projet ?
Dr. F. M. Pratiquement, la base du projet réside dans l’implication effective des leaders d’organisations communautaires de base, au niveau de la commune qui ont été formés sur des stratégies de riposte contre la violence basée sur le genre, dans la promotion de la santé sexuelle, des droits sexuels, des droits en matière de santé de la reproduction. C’est une masse critique que le projet a pu obtenir et qui est mise en place. Malgré la situation d’insécurité, ces leaders communautaires continuent, à travers des focus groupes, des causeries, des activités de porte-à-porte. Ils continuent de faire passer les messages. Tous les partenaires d’implémentation sont toujours à bord : la SHOG, l’Association des sage-femmes, la Fosref avec tous les autres partenaires qui accompagnent le projet. Ce projet va continuer. Nous espérons que la situation dans la commune de la Croix-des-Bouquets s’améliorera pour permettre au projet d’atteindre les résultats escomptés.
Propos recueillis par Louiny Fontal
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Violence sexuelle, un véritable problème de santé publique
La violence sexuelle touche toutes les classes sociales, toutes les cultures. Dans tous les pays du monde. Ici, Sabry Iccenat, puise des données ici et ailleurs pour nous donner une vue sur l’ampleur physique ou psychologique de ce drame mondial qui n’épargne aucun pays.
Selon un rapport conjoint publié en octobre 2022 par le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), les gangs armés utilisent la violence sexuelle pour répandre la peur, punir, soumettre et faire souffrir la population haïtienne. En France, seulement pour l’année 2023, 114 100 plaintes pour violence sexuelle ont été enregistrées avec une augmentation de 7% par rapport à l’année précédente, selon ce que rapporte le magazine Le Point.
Que penser de cette forme de violence qui a un tel impact sur les populations mondiales ? Ces actes qui portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne constituent le thème du dix-huitième numéro de Bien-être, notre infolettre.
Un grave problème de santé publique
D’après l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la violence sexuelle est un problème de santé publique grave. Elle recouvre l’ensemble des situations dans lesquelles une personne impose à autrui un ou des comportements, un ou des propos (oral ou écrit) à caractère sexuel. Assez souvent, ces propos et comportements sont subis et non désirés par le survivant. Pour illustrer : cas des enfants, des handicapés, de personnes inconscientes, de personne sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue, pour ne citer que ces exemples. Un élément essentiel fait défaut dans l’acte sexuel traité ici : l’accord de volonté. La victime ne peut pas donner son accord. Dans un autre cas de figure, elle n’a pas pleinement la capacité pour donner son consentement.
Physique ou psychologique, directe ou par le truchement d’un moyen de communication, la violence sexuelle peut prendre plusieurs formes : exploitation sexuelle, viol, harcèlement, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée, avortement forcée, esclavage sexuel, ou toute forme d’agression sexuelle (attouchement, frotteurisme, exhibitionnisme, voyeurisme etc.).
Contrairement à ce qu’on a tendance à penser, la violence sexuelle ne concerne pas seulement les femmes et les enfants, elle touche aussi les hommes.
Le rapport BINUH/HCDH 2022 sur Haïti, illustre largement cette situation :« Des femmes, des filles et des garçons de tous âges, ainsi que, dans une moindre mesure, des hommes, ont été victimes de crimes sexuels d’une extrême violence ». Aussi est-il important de préciser que la violence sexuelle peut avoir lieu même à l’intérieur des relations amoureuses et conjugales s’il n’y a pas de consentement.
Dans un article sur le sujet, Vera Cruz (2020) estime que la « violence sexuelle est un grave problème de santé publique et de droits humains qui a des conséquences, à court et à long terme, sur la santé physique, mentale, sexuelle et reproductive des victimes » et affecte négativement le bien-être et la santé de millions d’individus dans le monde. Comme tout abus, la violence sexuelle peut entrainer des souffrances voire des troubles physiques, sexuels ou mentaux, d’où des raisons, en plus de l’aspect pénal, d’éviter et de prévenir la violence sexuelle qui, sous certains aspects, peut nous paraitre négligeable.
Sabry Iccenat
sabryiccenat@gmail.com
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Crise sécuritaire: les violences sexuelles en nette augmentation en Haïti
De nombreux cas de violence sexuelle ont été rapportés en Haïti. Un bulletin de l’Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA) publié le 19 février 2024 rapporte ces faits. Entre janvier et mars, plusieurs autres bulletins, rapports ou articles de presse ont rapporté de nombreux crimes sexuels commis par les gangs. En effet, ces trois dernières années, les violences sexuelles s’intensifient un peu partout à travers le pays, particulièrement dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.
Selon l’Organisation des Citoyens pour une Nouvelle Haïti (OCNH), entre juin et novembre 2023, plus de 300 cas de violences sexuelles ont été enregistrés sur le territoire national. Un rapport de Human Rights Watch, qui reprend les chiffres de Médecins Sans Frontières (MSF), informe que 1 005 victimes de violence sexuelle ont été prises en charge à Port-au-Prince (dans les hôpitaux de MSF). Presque le double du chiffre enregistré pour la même période en 2022.
Sarah Chateau, responsable des programmes à MSF, a confié que 4 000 cas de victimes de violences sexuelles sont arrivés dans leurs services en 2023. Alors qu’entre janvier et mars 2022, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) avait enregistré une moyenne de 98 cas par mois pour Port-au-Prince et les zones avoisinantes. Des crimes directement imputables aux gangs, souligne l’organisation.
En 2022, l’ONU a enregistré, au total, près de 1 500 cas de ces violences sur tout le territoire. L’agence onusienne estime que beaucoup de ces violences étaient délibérément utilisées par les gangs pour insinuer la peur, punir et assujettir la population victime.
Les violences sexuelles comme arme
A en croire les organisations onusiennes, les groupes criminels utilisent les violences sexuelles, notamment le viol collectif comme une arme à part entière (dans les conflits, comme moyens de pressions pour les demandes de rançons, etc.). Globalement, les cas de violences sexuelles sont présents dans les exactions des gangs.
Selon les données du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme (HCDH), sur environ 537 personnes enlevées en 2022, les femmes et les filles représentent presque 20%. « Il n’existe pas de données concernant le pourcentage de violences sexuelles parmi les femmes et les filles enlevées car la plupart d’entre elles ne le signalent pas par crainte de représailles ou de honte, soulignent les deux organisations. Cependant, les témoignages recueillis auprès de certaines victimes et témoins indiquent que les éléments des gangs armés utilisent très fréquemment la violence sexuelle lors des enlèvements ».
Le BINUH a indiqué que lors de ces attaques, les victimes sont souvent violées collectivement, en plein jour, devant les membres de leurs familles ou d’autres témoins. Certaines sont forcées d’avoir des relations sexuelles dans un contexte d’exploitation avec des membres des bandes et risquent une mort brutale si elles refusent. Dans le rapport publié conjointement par le BINUH et le HCDH, on peut lire : « Dans ces zones pauvres et marginalisées, les femmes et les filles peuvent également être encouragées par leur propre famille à avoir des rapports non consensuels avec des éléments de gang en échange d’avantages en espèce, tels que de la nourriture, de l’eau potable et d’autres gains matériels, ainsi que d’une ‘’protection’’ contre les abus commis par d’autres hommes armés ».
Constat partagé
Une étude de Plan International publiée en mars 2024, révèle quasiment le même constat : la crise des gangs en Haïti expose les filles à des risques de faim, de violence sexiste, de recrutement par des groupes du crime organisé et de mariage d’enfants. Toujours d’après cette étude, cette situation entraîne des cas de grossesse précoce, d’abandon scolaire et davantage de violence. Sans compter la crise alimentaire qui augmente le risque de violence sexiste.
Même si les données sont alarmantes, les violences sexuelles restent très peu signalées. Les victimes sont contraintes au silence, en raison du climat de terreur installé par les criminels. De plus, elles sont stigmatisées, car aujourd’hui encore les violences sexuelles demeurent taboues.
Roseline Daphné Décéjour
daphnedecejour@gmail.com
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Conséquences de la discontinuité des services de santé liés aux VBG
La crise sécuritaire qui secoue le pays entrave fortement le fonctionnement des structures de prise en charge des survivants (tes) de la violence basée sur le genre (VBG). Selon un répertoire de la Direction sanitaire de l’Ouest (DSO), au moins 18 institutions sanitaires ne sont pas fonctionnelles au niveau de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Parmi ces structures de soins figurent, entre autres : l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), l’Hôpital DASH de Delmas 18, le Centre de santé Aurore du Bel-Air, le Centre de santé Saint-Martin 1, le Centre de santé Saint-Martin 2, la Maternité Isaïe Jeanty de Chancerelles, l’Hôpital Saint-François de Sales, le Sanatorium, l’Hôpital communautaire de Bon-Repos, l’Hôpital communautaire de Beudet, le Centre de santé de la Croix-des-Bouquets, l’Hôpital Sainte-Catherine Labouré et le Centre de santé de Pernier.
« De nombreux hôpitaux ont été victimes d’attaques violentes et de vandalisme, dont l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, l’Hôpital Saint François de Sales et l’Hôpital DASH de Delmas 18. De plus, nous faisons face à des pénuries sévères d’intrants médicaux essentiels, de carburant et d’oxygène, ce qui compromet sérieusement notre capacité à répondre aux besoins médicaux urgents de nos patients », lit-on dans une note de l’Association des Hôpitaux Privés d’Haïti (AHPH) rendue publique le 6 mars 2024. En effet, avec le pourrissement de la situation sécuritaire, plusieurs Hôpitaux ont dû soit réduire leurs services soit fermer leurs portes provisoirement. Et le nombre va en grandissant au jour le jour.
Ces arrêts de travail sont synonymes de discontinuité des services de santé liés aux violences sexuelles au niveau des institutions en question. Pourtant l’insécurité rime généralement avec l’augmentation des violences sexuelles. Se trouvant à proximité des zones minées par les derniers épisodes de violences (éclatées dans l’aire métropolitaine depuis le 29 février 2024), les hôpitaux et centres de santé qualifiés « non fonctionnel » par la DSO devraient être les premiers choix des victimes de violence sexuelle.
« Vu que la majorité des hôpitaux et centres de santé de la zone métropolitaine ne fonctionne pas, les services de prophylaxie post-exposition (PEP) ne sont pas disponible », déclare, inquiète, Soeurette Policar Montjoie de l’Organisation pour le développement et de lutte contre la pauvreté (ODELPA), un organisme qui travaille, entre autres, sur les violences basées sur le genre (VBG).
Pour Nytale Pierre, coordonnatrice générale de la Maison d’Aide aux Victimes de Violences et d’Abus Sexuels (MHVVAS), cette situation donne froid dans le dos. « Je ne peux même pas imaginer le sort d’une personne victime d’un viol par exemple et qui n’arrive pas à trouver un hôpital ou un centre de santé pour sa prise en charge médicale », s’inquiète la journaliste. « C’est carrément catastrophique », dit-elle en rappelant que toute personne victime d’un viol doit bénéficier d’une prise en charge dans les 72 heures suivant l’agression en vue de la prévention des IST/VIH/sida et d’une grossesse non désirée.
Un défi pour la riposte au VIH
Mme Policar voit dans cette situation un enjeu de taille pour les acquis de la riposte contre le VIH/sida au cours des trente dernières années. « Nous avons fait beaucoup d’efforts pour faire basculer la prévalence du VIH de 6% à 2%, » rappelle-t-elle. Ce qui se passe actuellement dans le pays risque de saper tous ces efforts, regrette-t-elle. « Une personne qui a été violée et qui n’a pas accès à une prophylaxie post-exposition dans les 72 heures risque d’être infectée par le VIH, craint-elle. Sans oublier les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) qui ne peuvent aller récupérer leur médicaments (ARV) à cause des violences », ajoute-elle.
Mme Policar réalise qu’il est grand temps que les acteurs (politique, économique et société civile) priorisent l’intérêt du pays. Même son de cloche pour la coordonnatrice de MHVVAS.
Représentantes de la société civile, ces deux femmes ont élevé leur voix pour une réelle prise de conscience.
Gladimy Ibraïme
gibraime@gmail.com
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