Les populations clés et les groupes vulnérables dont les femmes et les filles font face depuis des lustres à une pandémie dévastatrice. Il s’agit de la violence basée sur le genre (VBG). Ce phénomène constitue l’une des violations des droits humains les plus répandues au monde, une crise sanitaire généralisée et meurtrière. Une femme sur trois, soit 736 millions, sera confrontée à des violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie. En Haïti, la situation est encore plus critique compte tenu de la prolifération des groupes armés qui veulent à tout prix occuper beaucoup plus d’espaces géographique, économique, politique et sociale. Le viol reste donc leur principale arme stratégique d’intimidation.
L’histoire de chantale (nom d’emprunt attribué à une ancienne otage), en est une triste illustration de cet enfer que connait le pays au quotidien.
Dix-sept ans plus tard, Chantale se souviendra du jour où elle a été kidnappée avec une cohorte de madan sara sur la route nationale No Un. Ce jour est resté gravé dans sa mémoire comme si c’était hier. Dix personnes environ au nombre desquels le chauffeur du camion étaient emmenés dans une maison qui servait de cachette aux kidnappeurs. Ils étaient lourdement armés et menaçaient de buter tout le monde.
Douloureuse tragédie. Ils ont passé trois jours qui ont paru une éternité dans une cellule aménagée pour leur butin. « On a été pillés, battus et les femmes violées », déclare Chantale en écrasant une larme sur ses joues.
Chantale avait besoin d’une oreille attentive pour épancher sa douleur, le micro d’un journaliste pour répandre urbi et orbi son histoire. Pour accomplir cette tâche, nous nous sommes rendus à Cité Soleil, commune de l’arrondissement de Port au Prince, au Projet Drouillard, à Varreux 1. Cette section communale où se découpent 750 logements sociaux sous le ciel de la cité heurte les yeux et le nez à cause de son insalubrité.
Madan Sara de sa profession, mère de quatre enfants, Chantale s’approvisionne en vivres alimentaires à l’Arcahaie pour écouler sa marchandise au marché de Drouillard. Depuis la mort de Luc, son mari parti dans de tragiques conditions lors des turbulences politiques de 2004, la quinquagénaire s’attèle corps et âme à l’éducation de ses enfants. Avec le temps, chacun a fait studieusement sa route. Elle a même réussi l’exploit de doter sa famille monoparentale d’un médecin.
Que reste-t-il des souvenirs ?
Le passé de Chantale a des relents lancinants. 2006. 3 heures du matin. Un camion à bord duquel se trouvent dix personnes dont le chauffeur sur la route nationale # 1 est détourné. Ce véhicule qui faisait cap sur Port au Prince est dévié manu militari de sa trajectoire.
« On nous a conduit dans une petite chambre suffocante de chaleur. Il y avait parmi nous sept mères de familles. Nous avons vécu l’enfer », se remémore-t-elle amèrement.
Comment a-t-elle vécu cette expérience ?
« Ce fut une très mauvaise expérience pour moi. J’avais 43 ans à l’époque. Mes trois aînés étaient déjà assez grands. Dans le cachot, je pensais à eux. Les kidnappeurs nous surveillaient. Ils étaient au nombre de cinq à faire des rondes. On avait cru qu’on allait pas sortir en vie dans cette situation de détresse ».
Après un court instant, elle reprend son souffle et redevient cette femme chaleureuse et accueillante. « Ils nous ont libérés trois jours plus tard, vers 5h de l’après-midi. On a marché toute la soirée. Le lendemain, nous sommes arrivés exténués, mais en vie, sur la Route neuf », dit-elle avec un ouf de soulagement thérapeutique dans sa voix.
Mais que reste-il de cette nuit ?
Le viol de ces nuits abominables a laissé des traces indélébiles dans sa chair. Chantal raconte : « Je suis allée voir, un peu plus tard les médecins. Ils n’ont dit que j’étais enceinte. J’étais enceinte et veuve à 43 ans ! »
Le grand drame, bien des années plus tard, cette femme n’arrive toujours pas à dire à son benjamin qui est son père. Alors elle avait besoin d’une oreille empathique, d’un micro sensible pour raconter et se soulager et aussi pour dire à la face du monde Ô combien c’est douloureux le viol.
Par sa foi chrétienne, elle a essayé de surmonter ces épreuves : « Même si j’ai conçu mon enfant dans un contexte difficile, la haine n’a pas pris le dessus. Je l’aime et le chérie comme mes autres enfants. C’est mon porte-bonheur. C’est le chouchou de la famille. »
En dépit des efforts de sensibilisation, la violence basée sur le genre reste un véritable problème de santé publique. Beaucoup de personnes en sont victimes et les séquelles sont souvent difficiles à réparer.
Marc-Kerley FONTAL
marckerleyfontal@gmail.com
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