Le prix à payer pour déféquer au camp de déplacés du lycée des Jeunes Filles

Plusieurs déplacés internes de Carrefour-Feuilles, réfugiés au Lycée des Jeunes Filles, à l’avenue Jean-Paul II, payent 15 gourdes pour déféquer dans des sachets en plastique, faute de toilettes disponibles. Elles sont pleines depuis plus de deux semaines. Plongée dans l’univers des déplacés internes.

 

Ils vivent dans des conditions hygiéniques qui laissent à désirer, ces déplacés Des montagnes d’immondices sur la cour, des mares d’eau stagnantes envahies de mouches, des marchandes de restauration rapide, des clients trompant leur faim, le nez dans une maigre assiette, des allées et venues d’une foule de gens, des jeunes gens jouant aux dominos, des femmes accroupies devant des cuvettes faisant la lessive. Tel est le tableau à l’entrée du camp de l’ancien bâtiment du ministère de l’Éducation nationale.

 

À quelques pas plus loin, le long des baraques où s’entassent des familles de Carrefour-Feuilles, une femme entre-deux-âge tue son temps dans une salle étouffante. Enfoncée dans un fauteuil, Analouise Almonor, devise avec son mari en situation de handicap. Leur conversation se déroule autour de cette grande difficulté et de la cherté du prix pour satisfaire leur besoin physiologique.

Déféquer, un problème inquiétant

 

Curieux, on demande au couple le prix accordé pour pouvoir déféquer ? La réponse de madame Almonor ne se fait pas attendre : « Je paie 15 gourdes pour pouvoir me procurer d’un sachet en plastique et un morceau de papier-toilette pour déféquer. »

 

Satisfaire ses besoins est une chose, s’en débarrasser en est une autre. Procède-t-elle comme tout le monde ? Tout naturellement, elle dit : « Une fois terminée, je balance le sachet rempli dans le Bois-de-Chêne. »

 

Souffrant d’arthrose, mère de deux enfants, commerçante à Savane-Pistache, localité de Carrefour-Feuilles limitrophe de Grand-Ravine, madame Almonor a tout perdu quand les seigneurs de la terreur ont lancé un énième assaut contre cette agglomération périurbaine de Port-au-Prince, à la mi-août. Obligée de se replier ailleurs, elle loge avec sa famille dans une salle de classe d’environ 3 mètres carrés.

 

« Quand vient la nuit, nous sommes une soixantaine à être entassés dans cette salle. Si l’un d’entre nous a une maladie contagieuse, nous l’attraperons aussi », déplore-t-elle.

 

Consciente de la situation au camp, elle se soucie des conditions sanitaires effrayantes. « Ici, l’eau du réservoir est impropre.  Il suffit de se baigner avec, et bonjour les infections.  Ça nous donne des boutons et des démangeaisons », se désole-t-elle, à côté de son mari avare de paroles, qui ne consent à placer un mot.

 

« Quand nous n’avons pas d’argent pour nous procurer de l’eau potable, nous nous servons quand même de l’eau du réservoir », confie-t-elle, un brin de regret dans la voix qui attriste le visage d’Almonor.

 

Dans la même salle de classe de ce lycée occupé depuis deux mois environ, un autre déplacé non avare de paroles, Jean Edmond Chéry, charpentier de son métier, reprend les mêmes frustrations : « On est obligé de collecter de l’argent pour que même ceux qui sont fauchés arrivent à faire leur besoin dans un sachet et obtenir du papier toilette. » Elda Lubin, une commerçante, la cinquantaine, n’est pas du même avis que le charpentier. Son témoignage est renversant : « Des enfants ont même déféqué dans leurs frocs parce que leurs parents n’avaient pas d’argent pour payer le service ».

 

Il suffit de prêter attention aux détails des lieux pour découvrir les conditions hygiéniques déplorables qui frustrent les déplacés. L’odeur nauséabonde qui se dégage dans l’environnement, les rondes bruissant de mouches sur la cour. À quelques pas des toilettes, au pied d’un mur qui sert de frontière entre le camp et bois-de-chêne, s’ouvre, en contre-bas, un vaste empilement de sachets noirs qui transforment la ravine en un véritable dépotoir de matières fécales. Ajouter à cela, on y trouve des petits sacs d’excrément que des mains maladroites n’ont pas réussi à balancer dans la ravine. Ces sachets sont accrochés au mur pour un festin de mouches.

 

Tout concourt dans ces conditions à la résurgence du choléra si cette situation persiste dans ce camp de déplacés.

Joubert Joseph

Quitter la version mobile