Les déplacés de Carrefour-Feuilles, section communale située à l’est de Port-au-Prince sur les contreforts du Morne l’Hôpital, restent et demeurent une tragédie humaine. Comment un pays qui a combattu les dictatures sous toutes ses formes peut-il arriver à ce degré d’ensauvagement ? Un constat dévastateur désarme tout citoyen. Un fait à noter : ce sont les jeunes des bidonvilles qui attaquent ces localités vulnérables (Savane Pistache, Impasse Eddy, Saïeh, Morne Nelyo, ruelle Rigaud, Tunnel, avenue Muller). Ce sont des jeunes déshérités du sort eux-mêmes qui forment les cohortes de bandits armés qui pillent, brûlent, violent, tuent sans merci hommes, femmes et enfants de Carrefour-Feuilles.
Dans ce dossier que le Réseau haïtien des journalistes de la santé (RHJS) soumet à votre lecture, plusieurs fenêtres s’ouvrent sur cette tragédie qui empoigne le cœur. Plusieurs journalistes ont écrit sur cette question brûlante d’actualité, les articles suivants : Sensibilité des regards journalistiques sur les déplacés d’un centre d’accueil (Claude Bernard Sérant) ; Les yeux fixés sur un objectif à atteindre (Gladimy Ibraïme) ; Le prix à payer pour déféquer au camp de déplacés du lycée des Jeunes Filles (Joubert Joseph) ; Portrait de Francesca Beaujour, une femme leader (Joubert Joseph) ; Situation alarmante des déplacés au Lycée des Jeunes Filles (Gary Cyprien) ; L’intervention de la DSO sur l’hygiène dans les camps de déplacés (Jobenson ANDOU) ; Me Edwisson Dossous, un jeune leader (Esperancia Jean Noel) ; Matière à réflexion : Camp de déplacés à l’ancien local du MENF (Claude Bernard Sérant).
L’éditorial
Sensibilité des regards journalistiques sur les déplacés d’un centre d’accueil
Après dix numéro de la newsletter du Réseau haïtien des journalistes de la santé (RHJS), celui-ci est un recueil d’articles qui porte la marque de reporters soucieux de se concentrer comme un laser sur un site : celui du lycée du Cent-cinquantenaire communément appelé Lycée des Jeunes Filles. Dans ce lieu qui avait abrité les anciens bâtiments du ministère de l’éducation nationale se découpe sur fond d’abris de fortune, le lycée Marie-Jeanne également. Là aussi se dessine une autre frontière où s’agglutinent les déplacés de Carrefour-Feuilles.
Dans leur liberté de décision, les journalistes s’approvisionnant en informations, pour le premier et deuxième numéro de notre périodique de 2023, ont fait focus sur un camp. Aussi ont-ils pris une partie pour le tout en vue de signifier de manière frappante les problèmes dans d’autres centres d’accueil. À bien observer, ce raccourci est une métonymie. Ici, le lycée des Jeunes filles symbolise tous les déplacés chassés par l’insécurité.
Après le tri de la rédaction, nous avons pu constater que cette sélection de sept articles enrichit nos pages de sensibilités différentes eu égard au regard de chaque journaliste.
Chaque article porte le ton de l’auteur, livre l’expression d’un lieu de vie où les hommes, les femmes et les enfants survivent avec l’espoir de connaitre des jours heureux dans un pays où il fait bon vivre.
Chaque titre ouvre un aspect de la réalité que les gens vivent dans leur chair :
- Des conditions d’hygiène propice à la réapparition du cholera
- Le prix à payer pour déféquer au camp de déplacés du lycée des Jeunes Filles
- Portrait de Francesca Beaujour, une femme leader
- Situation alarmante des déplacés
- L’intervention de la DSO sur l’hygiène dans les camps de déplacés
- Me Edwisson Dossous, un jeune leader
Ce choix d’articles parmi d’autres, après le tri, porte la marque d’un faisceau de regards de journalistes parés de chaleur humaine. Ce côté humain dans l’ensemble des textes froids l’a emporté. Cette recherche de l’humain dans le reportage est un besoin constant pour nous toucher sur la réalité.
Le RHJS n’aurait pas pu mobiliser autant de bras sans l’encadrement du ministère de la Santé publique et de la Population. Le RHS n’aurait pas pu aller aussi loin sans le support financier indéfectible de l’UNICEF, l’une des institutions qui a porté le Réseau sur les fonts baptismaux.
Avec le MSPP et l’UNICEF à nos côtés, nous cheminons dans le projet, les yeux fixés sur l’objectif général : « Contribuer à faciliter une plus grande sensibilisation de la population sur l’importance de la vaccination de routine et anti-covid 19 et sur le choléra, par la communication pour le changement de comportement. »
Claude Bernard Sérant
Point de vue
Les yeux fixés sur un objectif à atteindre
Le Fonds des Nations-Unies pour l’Enfance (UNICEF) tient toujours ses promesses. Depuis nos premiers pas, voire depuis la cérémonie officielle de présentation du Réseau haïtien des journalistes de la santé (RHJS), en septembre 2013, il avait dit par la voix de son représentant Edouard Beigbeder qu’il allait accompagner le Réseau. Cette parole cristallisée a pris acte dans les faits.
Poursuivant sa mission à travers ses objectifs prioritaires, cet organe permanent du système des Nations-Unies continue d’encadrer le réseau de journalistes. Cet appui se renforce avec ce projet tiré : « Campagne de communication sur la vaccination de routine, anti-covid-19 et sur le choléra ».
Pour l’histoire, on rappellera que le premier août 2023, le RHJS a paraphé un protocole de partenariat avec l’UNICEF. Ce projet, circonscrit dans l’intervalle d’une année, se porte sur une campagne de communication sur la vaccination de routine, anti-covid-19 et sur le choléra (CCVRCAC-19. Elle a commencé en septembre 2023 pour prendre fin en août 2024.
Nos reporters, qui sont, par définition, des journalistes de terrain, comme toujours, sont à pied d’œuvre pour contribuer « à faciliter une plus grande sensibilisation de la population sur l’importance de la vaccination de routine et anti-covid 19 et sur le cholera, par la communication pour le changement de comportement ».
Au bureau du RHJS, une stratégie est mise en place et devient flexible avec les aléas de l’actualité. Il faut devenir stratège pour couvrir tous les départements géographiques d’Haïti. Il faut devenir stratège pour réussir à produire et diffuser 16 émissions thématiques de santé à raison de deux (2) émissions par semaine.
Dans le protocole paraphé par les deux parties, le contrat est défini : « Au cours de cette période, diverses activités de communication seront mises en œuvre. Il s’agira entr’autres, de la production et de la diffusion des émissions de sensibilisation autour des thématiques centrales de la campagne, la production et la publication des newsletters, la production et la diffusion des spots radiophoniques et des capsules audiovisuelles, l’organisation d’un concours de reportage sur la santé et la production d’un guide de production d’émissions thématiques de santé. Ce nouveau plan donnera une prévision des activités à réaliser au cours du premier trimestre d’exécution de la campagne. »
Toutes ces activités s’articulent autour d’un but : le renforcement des actions de communication pour le changement de comportement.
Avec nos journalistes de terrain, le RHJS monte au front. Nos journalistes séniors, en véritable leadeurs, conduisent la barque du réseau en bon capitaine, tout en sachant que les jours d’Haïti ne coulent pas comme un fleuve tranquille. Soutenu moralement et financièrement par le MSPP et l’Unicef, nous voguerons, les yeux fixés sur l’objectif à atteindre, en bon capitaine.
Gladimy Ibraïme
Secrétaire général du RHJS
Le prix à payer pour déféquer au camp de déplacés du lycée des Jeunes Filles
Plusieurs déplacés internes de Carrefour-Feuilles, réfugiés au Lycée des Jeunes Filles, à l’avenue Jean-Paul II, payent 15 gourdes pour déféquer dans des sachets en plastique, faute de toilettes disponibles. Elles sont pleines depuis plus de deux semaines. Plongée dans l’univers des déplacés internes.
Ils vivent dans des conditions hygiéniques qui laissent à désirer, ces déplacés. Des montagnes d’immondices sur la cour, des mares d’eau stagnantes envahies de mouches, des marchandes de restauration rapide, des clients trompant leur faim, le nez dans une maigre assiette, des allées et venues d’une foule de gens, des jeunes gens jouant aux dominos, des femmes accroupies devant des cuvettes faisant la lessive. Tel est le tableau à l’entrée du camp de l’ancien bâtiment du ministère de l’Éducation nationale.
À quelques pas plus loin, le long des baraques où s’entassent des familles de Carrefour-Feuilles, une femme entre-deux-âge tue son temps dans une salle étouffante. Enfoncée dans un fauteuil, Analouise Almonor, devise avec son mari en situation de handicap. Leur conversation se déroule autour de cette grande difficulté et de la cherté du prix pour satisfaire leur besoin physiologique.
Déféquer, un problème inquiétant
Curieux, on demande au couple le prix accordé pour pouvoir déféquer ? La réponse de madame Almonor ne se fait pas attendre : « Je paie 15 gourdes pour pouvoir me procurer d’un sachet en plastique et un morceau de papier-toilette pour déféquer. »
Satisfaire ses besoins est une chose, s’en débarrasser en est une autre. Procède-t-elle comme tout le monde ? Tout naturellement, elle dit : « Une fois terminée, je balance le sachet rempli dans le Bois-de-Chêne. »
Souffrant d’arthrose, mère de deux enfants, commerçante à Savane-Pistache, localité de Carrefour-Feuilles limitrophe de Grand-Ravine, madame Almonor a tout perdu quand les seigneurs de la terreur ont lancé un énième assaut contre cette agglomération périurbaine de Port-au-Prince, à la mi-août. Obligée de se replier ailleurs, elle loge avec sa famille dans une salle de classe d’environ 3 mètres carrés.
« Quand vient la nuit, nous sommes une soixantaine à être entassés dans cette salle. Si l’un d’entre nous a une maladie contagieuse, nous l’attraperons aussi », déplore-t-elle.
Consciente de la situation au camp, elle se soucie des conditions sanitaires effrayantes. « Ici, l’eau du réservoir est impropre. Il suffit de se baigner avec, et bonjour les infections. Ça nous donne des boutons et des démangeaisons », se désole-t-elle, à côté de son mari avare de paroles, qui ne consent à placer un mot.
« Quand nous n’avons pas d’argent pour nous procurer de l’eau potable, nous nous servons quand même de l’eau du réservoir », confie-t-elle, un brin de regret dans la voix qui attriste le visage d’Almonor.
Dans la même salle de classe de ce lycée occupé depuis deux mois environ, un autre déplacé non avare de paroles, Jean Edmond Chéry, charpentier de son métier, reprend les mêmes frustrations : « On est obligé de collecter de l’argent pour que même ceux qui sont fauchés arrivent à faire leur besoin dans un sachet et obtenir du papier toilette. » Elda Lubin, une commerçante, la cinquantaine, n’est pas du même avis que le charpentier. Son témoignage est renversant : « Des enfants ont même déféqué dans leurs frocs parce que leurs parents n’avaient pas d’argent pour payer le service ».
Il suffit de prêter attention aux détails des lieux pour découvrir les conditions hygiéniques déplorables qui frustrent les déplacés. L’odeur nauséabonde qui se dégage dans l’environnement, les rondes bruissant de mouches sur la cour. À quelques pas des toilettes, au pied d’un mur qui sert de frontière entre le camp et bois-de-chêne, s’ouvre, en contre-bas, un vaste empilement de sachets noirs qui transforment la ravine en un véritable dépotoir de matières fécales. Ajouter à cela, on y trouve des petits sacs d’excrément que des mains maladroites n’ont pas réussi à balancer dans la ravine. Ces sachets sont accrochés au mur pour un festin de mouches.
Tout concourt dans ces conditions à la résurgence du choléra si cette situation persiste dans ce camp de déplacés.
Joubert Joseph
Portrait de Francesca Beaujour, une femme leader
Francesca Beaujour dirige le camp des déplacés de Carrefour-Feuilles qui ont trouvé refuge au Lycée des Jeunes Filles. Depuis le 25 août dernier, elle est sur ses pied de garde avec plusieurs familles qui mènent un combat pour leur survie au quotidien.
Assise devant un bol de bouillon, Francesca Beaujour prend son petit déjeuner. Elle a vite reconnu Claude Bernard Sérant et moi, Joubert Joseph du Réseau haïtien des journalistes de la santé.
Nous l’avions déjà abordée sur les questions liées à l’hygiène dans les camps. On revient une nouvelle fois auprès d’elle après avoir fait le tour du camp du lycée des Jeunes Filles et recueilli les doléances des déplacés.
Y a-t-il un comité dans ce camp ?
Elle recouvre son bol de bouillon et se dresse pour être attentive à nos questions. On relance l’interrogation, ses yeux s’écarquillent. « Je suis Francesca Beaujour, la responsable de ce site. Je suis aussi la responsable de communication », se définit d’emblée la jeune femme, le buste droit, les mains posées à plat sur le pupitre d’un banc du lycée. Elle se lance d’un trait dans les informations essentielles. « Ce site a été ouvert le 25 août. En ce moment, il a 3380 personnes. Je vous ferai remarquer qu’il y a de temps en temps des gens qui s’en vont et d’autres qui viennent. Les chiffres montent et descendent », précise-t-elle.
Mais qu’est-ce qui a valu cette position de leader à cette jeune femme ?
« Avant le 25 août, je gérais un camp de déplacés internes dans La Salle du Royaume des Témoins de Jéhovah à l’Impasse Eddy. Les derniers événements m’ont obligé à laisser Carrefour-Feuilles pour me rendre au Lycée des Jeunes Filles avec quelques-uns de ces déplacés », raconte-t-elle tout en précisant que ce sont les premiers arrivés qui lui ont porté avec d’autres élus, Dossous et Féthière, à la tête d’un comité lié à une autre structure de base.
Cette mère de famille de quatre enfants qui vit dans ce camp avec son mari, fait partie des victimes de l’insécurité qui règne à Port-au-Prince. Sa maison à Saïeh a été incendiée par des hommes armés qui ont fait de certains quartiers vulnérables de la périphérie de Port-au-Prince, leur terrain de jeu. Cette couturière, commerçante et enseignante a ouvert ce camp de déplacés le 25 août avec une centaine d’habitants de Carrefour-Feuilles. Cette population a culminé pour atteindre à présent environ 3380 personnes. Elle fait partie des victimes de la violence armée de ce quartier.
Que se passe-t-il ici pour que les gens se plaignent autant aux micros du Réseau haïtien des journalistes de la santé (RHJS) ? La question des toilettes est une obsession.
Madame Beaujour ne va pas par quatre chemins pour répondre : « Les toilettes du lycée n’ont pas été conçues pour accueillir cette population. À présent, les fosses sont pleines. La canalisation a pété. J’ai la vidéo, je peux vous la montrer. J’ai moi-même demandé aux gens de ne pas utiliser les toilettes. »
Nos yeux s’arrondissent d’étonnement.
Responsable de communication, elle corrige avec empressement. « Je sais que ce n’est pas bien. » Et alors ? « Comme nous avons la ravine, nous l’utilisons comme moyen de bord parce que depuis trois semaines le problème est là », se désole-t-elle tout en annonçant qu’elle est en train de multiplier des contacts avec des institutions afin de trouver une solution aux problèmes des toilettes.
En attendant que se passe-t-il ?
« Là où c’est pété, on l’a recouvert à l’aide d’une tôle et des pierres. Et on l’arrose de chlore. »
On revient à la question des quinze gourdes pour se soulager dans les WC ?
Elle déclare : « Nous avions formé un comité qui avait besoin d’équipements pour entretenir les toilettes. Alors nous avions exigé quinze gourdes par personne pour faire leur besoin. C’était un moyen pour collecter de l’argent. Pour acheter du papier toilette, des désinfectants, des serpillières. Et aussi pour engager quelqu’un afin de garder l’environnement des WC propre. Ça avait porté fruits. »
Les fruits n’ont pas tenu leur promesse. Haussant les épaules, elle résume en quelques mots une situation intenable dans des cabinets pas du tout près pour accueillir plus de trois mille fesses. « Les gens maltraitaient les toilettes. C’était devenu compliqué », dit-elle, dépitée.
Quel regard ce comité porte-t-il sur ce camp ?
« Nous portons une surveillance particulière sur les déplacés. Ils nous communiquent leurs besoins et nous étudions la possibilité de les satisfaire. Si quelqu’un tombe malade, nous faisons appel au Ministère de la Santé publique qui dispose d’une clinique mobile sur le site quotidiennement. Parfois, je ne dors pas. Il y a des femmes enceintes dans le camp. Quand elles sont sur le point d’accoucher, je suis sollicitée pour faire le suivi. »
Ce poste de responsabilité met cette femme en position pour rencontrer les représentants de plusieurs institutions qui font un va et vient régulier dans ce camp. Elle a tout un carnet d’adresses et cite : MSPP, Protection civile, UNICEF, Médecin du monde, Médecins sans frontières, PAM, IDEGEN. Fouillant encore dans sa mémoire, elle souligne, le RHJS, ce réseau de journalistes actifs sur les sujets liés à la santé.
Joubert Joseph
Situation alarmante des déplacés au Lycée des Jeunes Filles
Vendredi 25 août 2023 vers le milieu de la journée, les barrières protégeant l’espace abritant, depuis tantôt deux ans, le lycée du Cent-Cinquantenaire, ci-devant Lycée des Jeunes Filles, ont été forcées par des centaines de résidents de la communauté de Carrefour-Feuilles. Ces derniers, chassés de leur logis ont élu domicile dans cet établissement scolaire, à l’avenue Jean-Paul II.
Depuis cette matinée d’août, cet établissement compte parmi les 17 abris provisoires accueillant les déplacés de Carrefour-Feuilles dénombrés à plus de 3 000 âmes. Cet abri est un vrai furoncle en plein visage de cet artère de Port-au-Prince. Avant l’arrivée de ces déplacés, c’était l’une des voies publiques de l’aire métropolitaine à s’affranchir de l’enfer de l’insalubrité caractérisant la capitale.
Aujourd’hui, le décor est tout autre. L’invité qui arpente cet espace doit d’abord lié connaissance avec un monticule de déchets. Il s’étire sur une bonne partie de l’extérieur du lycée à quelques pas de la barrière donnant accès à l’abri.
D’où viennent ces déchets ?
Pas besoin de scruter trop loin. Ils proviennent des nouveaux locataires de cet espace surpeuplé.
Cet espace servant d’abri compte au total 3 380 personnes de tout âge, de tout sexe, selon les chiffres avancés par l’une des responsables de ce centre : Mme Francesca Beaujour. Native de Jacmel, mère de quatre enfants, cette enseignante n’est pas de tout repos dans cette promiscuité. La vingtaine de hangars, qui servaient de salles de classe, se sont convertis en dortoirs. Chacun de ces espaces doit accommoder entre 55 à 60 personnes la nuit. Le reste des occupants se contente des allées en terre battue de l’établissement, de l’habitacle des véhicules déglingués ou de la plateforme du grand réservoir de la cour pour se reposer à la belle étoile.
Une bombe à retardement
Quant aux toilettes mises à la disposition des déplacés, elles accusent un trop plein. L’afflux des utilisateurs a fini par avoir raison des installations sanitaires. Les sachets noirs ont permis à tout un chacun de se vider et de les balancer comme des ballons de basketball dans la ravine Bois-de-Chêne toute proche.
Madame Beaujour rapporte qu’en contrebas du mur du lycée, certains individus longeant la ravine ont reçu sur la tête ce coli très déplacé. Les nouveaux locataires venus de Carrefour-Feuilles ont essuyé, de la part de ces derniers, des jets de pierre à plusieurs reprises.
À l’heure où le ministère de la Santé publique et ses partenaires mènent un combat dans la lutte contre le choléra, une telle pratique malsaine est condamnable, juge le journaliste sénior du Réseau haïtien des journalistes de la santé, Louiny Fontal, qui a arpenté plusieurs campagnes de l’UNICEF autour de la promotion de l’assainissement et de l’hygiène, à travers le pays. Fontal fait valoir que « Le vibrio cholerae ne pardonne pas. Il peut provoquer une diarrhée sévère et même entraîner la mort. Voilà pourquoi ce dépôt de matière fécale dans la ravine du Bois de chêne est une vraie bombe à retardement que les autorités concernées doivent résoudre avec célérité quand on connaît la vitesse de propagation du choléra. »
« Un cas de choléra a été constaté chez un enfant du centre. Heureusement qu’on l’a détecté à temps. L’enfant a été emmené à Médecins sans Frontière qui l’a soigné », a signalé madame Beaujour tout en espérant qu’une solution sera apportée rapidement à cette situation alarmante dans ce camp de déplacés où couvent des problèmes de santé publique.
Gary Cyprien
L’intervention de la DSO sur l’hygiène dans les camps de déplacés
« Nous savons que les conditions d’hygiène ne sont pas réunies dans les camps de déplacés. Pour éviter que des maladies graves comme la tuberculose et le choléra se multiplient dans ces lieux, la Direction Sanitaire de l’Ouest (DSO) s’efforce de bien jouer sa partition », a déclaré fermement l’officier de surveillance épidémiologique de la DSO, madame Madaline Noël, à son bureau à l’avenue Jean-Paul II.
Chassées de leur foyer depuis environ deux mois, près de 175 000 à 200 000 personnes, une estimation de la Direction de la Protection Civile (DPC), trouvent refuge dans des abris provisoires et évoluent dans des conditions d’hygiène déplorables.
Les services de la DSO dans les camps
Comment faire front à l’insalubrité qui rythme le quotidien de ces déplacés entassés dans des abris de fortune ?
À cette interrogation, elle répond sans ambages : « Nous apportons plusieurs services aux déplacés dans les camps. De l’eau traitée, du matériel pour le lavage des mains dans les points fixes comme devant les toilettes, là où les marchandes vendent à manger etc. Nos agents de services d’hygiène font la gestion des déchets pour la propreté de l’environnement. »
Sur la même lancée, la représentante du ministère de la Santé met l’accent sur le support fourni par la DSO : « Notre institution de santé n’a pas failli à sa mission malgré les difficultés dressées sur sa route. Nous continuons à accompagner cette population. Nous savons également que ces personnes ont été contraintes de se déplacer. C’est pourquoi le ministère de la Santé a mis à leur portée des infirmières qui leur fournissent les services dont ils ont besoin. Il faut dire aussi que nous avons du personnel qui visitent les salles ou les hangars. Dans ces espaces où ils dorment, on prélève des données sur leur état de santé. »
Les principes de base face à la menace du choléra
Le choléra est à l’état endémique en Haïti. En juillet de l’année dernière, elle avait ressurgi. Puisque le vibrio cholerae n’a pas encore dit son dernier mot, quelle stratégie la DSO emploie-t-elle pour faire face à cette menace ?
Miss Madaline Noël, en bonne infirmière, revient aux principes de base pour asseoir sa réponse : « Nous faisons des séances de sensibilisation pour inviter tout un chacun à ne pas reculer sa main de la charrue pour barrer la route à de nouveaux cas d’infection. Nous mettons l’accent sur le lavage des mains, la propreté dans les aliments et au sein de l’espace occupé. En ce qui a trait aux personnes déjà contaminées, nous dressons des cordons sanitaires. Nous les transférons dans des centres de traitement du choléra (CTC). Nous faisons aussi des prélèvements pour eux. »
Veiller à la santé de cet afflux de personnes, – à différentes tranches d’âge et dans de pareilles conditions – s’avère une tâche difficile. Ce n’est pas miss Noël qui dira le contraire. « Nous sommes la Direction Sanitaire de l’Ouest, se vante l’officier de surveillance épidémiologique de l’institution. Notre responsabilité est d’assurer la santé dans le département. Heureusement la DSO ne travaille pas seule. »
Que deviennent donc les données récoltées par la Direction sanitaire de l’Ouest ?
Au micro du Réseau haïtien des journalistes de la santé, – appuyé par l’UNICEF dans le cadre de la sensibilisation liée à des sujets sur la vaccination, la covid-19 et le choléra – l’officier de surveillance épidémiologique de la DSO ne se fait pas prier pour répondre : « Les données que nous recueillons sur le terrain ne sont pas rangées dans un rapport que nous gardons ici. Nous les acheminons vers nos bailleurs pour qu’ils prennent en charge les besoins des gens dans les camps plus précisément et dans tout le département dans un cadre plus large. »
Jobenson ANDOU,
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Me Edwisson Dossous, un jeune leadeur face aux défis au centre des déplacés
Me Edwisson Dossous, 36 ans, est l’aîné d’une famille chrétienne de quatre enfants. Natif de Carrefour-feuilles, il a vécu dans sa chair le phénomène de l’insécurité. Réfugié au lycée des Jeunes Filles logé dans l’ancien local du ministère de l’Éducation nationale, il se met d’emblée aux services des déplacés intérieurs.
Défenseur des droits humains, enseignant, ce riverain de l’avenue Muller a été choisi pour intégrer le comité central gérant les dix-sept centres d’accueil.
Au camp, le cahier de doléances des victimes de Carrefour-Feuilles explose : pas assez d’abris pour loger les familles, pas assez de toilettes pour plus de trois mille fesses, le prix exiger pour soulager ses besoins, les flaques d’eau stagnantes vectrices de moustiques, le manque de nourriture pour apaiser la faim, les monticules de matières fécales en contrebas de la ravine longeant la muraille du lycée, l’odeur nauséabonde dans l’environnement, la question de l’eau et son impact sur la santé.
Pour faire face à toutes ces problèmes, Me Dossous et les membres du comité se réunissent pour trouver des solutions.
Commençons par les fondamentaux. À propos de l’hygiène, qu’en est-il de ce qui est basique : le lavage des mains ?
Me Dossous déclare : « Dès l’ouverture de ce centre de déplacés, le 25 août dernier, on a placé plusieurs sceaux pour le lavage des mains. Ils n’ont pas duré. Lorsque les enfants jouent, ils frappent les tables, cassent les récipients au grand dam de tout un chacun. On a contacté des institutions pour nous venir en aide. Gold, par exemple, est une instance qui a répondu positivement à notre requête. Elle a dépêché rapidement une équipe pour remettre tout en ordre. On a reçu des récipients et savons. »
Gérer un camp de plus de 850 familles, n’est pas de la tarte. Conflits et bagarres ne sont jamais loin. Avec leur carnet d’adresse, la structure à la tête de laquelle il est placé aux côtés de madame Francesca Beaujour, s’active pour capter l’attention sur les questions préoccupantes.
« Pour faire face à des difficultés, nous entreprenons des démarches auprès de plusieurs institutions. Nous citerons le ministère de la Santé publique qui a mis sur pieds des cliniques mobiles pour répondre aux problèmes de santé qui affectent les gens dans ce camp. Il y a aussi IDEGEN, GOLD et autres qui effectuent des séances de formation avec nous. Certaines séances se portent sur le choléra, la malaria, la vaccination. Ces formations ont pour objectif de pousser les familles à adopter un autre mode de comportement. Plus les gens sont sensibilisés, mieux ils sauront comment se comporter face à cette situation », déclare ce jeune leader.
La gestion des toilettes est le plus grand défi pour Me Dossous. Il en veut pour preuve cette grogne qui monte au camp à cause des odeurs qui montent de Bois de chêne, cette ravine qui jouxte le lycée. Il souhaite qu’une solution sera apportée avec empressement pour ne pas créer des conditions propices au choléra.
Esperancia Jean Noel
Matière à réflexion
Camp de déplacés à l’ancien local du MENFP
Des conditions d’hygiène propice à la réapparition du choléra
Une visite du Réseau haïtien des journalistes de la santé (RHJS) à l’ancien local du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP), ave Jean-Paul II, a plongé notre équipe de journalistes au cœur du monde des déplacés de Carrefour-Feuilles. Ils sont plus de trois milles personnes (hommes, femmes et enfants) entassées dans des salles de classe, des autobus, sur la cour de l’ancien bâtiment du ministère, depuis que l’insécurité les a chassées de leur foyer.
Dans une promiscuité crasse, un afflux de gens vit dans un camp sans eau potable, sans toilettes suffisantes, au milieu d’une cour ponctuée de mares d’eau infestées de moustiques. Sur le torse des jeunes hommes et sur le corps des enfants qui vont et viennent dans cet espace en terre battue, des traces de lésions dermatologiques sont bien visibles. Des plaques, des taches éruptives sont enrobés de crème pour palier à cette atteinte cutanée.
La véritable difficulté dans ce camp
Les déplacés avec qui nous avons eu de longs échanges nous étonnent quand ils nous apprennent que ce n’est pas l’insuffisance et la qualité de la nourriture qui causent problèmes en ces lieux. La véritable difficulté se pose dans la question des toilettes. Navrant. Elles sont bouchées, personne pour en prendre soin. Voilà tout le drame.
Comment satisfaire un besoin physiologique comme déféquer ? La réponse coule de source : les enfants vont à même le sol, les adultes se libèrent dans des sachets en plastique qu’ils balancent dans un ravin tout proche.
Piqué de curiosité, j’ai arpenté la cour avec un chauffeur de taxi-moto qui a posé ses valises au camp depuis un mois et demi avec sa famille. Tout content de s’improviser guide, il saute avec moi à cloche pied sur des galets au milieu de nappes d’eau verte. Les yeux fixés sur l’objectif de la visite du réseau, en alerte, je deviens sensible à chaque détail. Avant de me conduire vers les lieux d’aisance malaisés, mon guide m’indique du doigt quelques sachets puants trainant encore dans la cour. Il me fait grimper sur une échelle pour voir un monticule de sachets de matières fécales au fond d’une ravine. Ces particularités, ces détails relevés dans cet ensemble, traduisent, à mes yeux, une réalité propice au choléra.
Ces conditions d’hygiène, – pour le journaliste du RHJS qui a suivi nombre de séminaires avec le ministère de la Santé publique et de la Population, l’UNICEF, l’OPS/OMS, Panos, ODELPA, et bien d’autres institutions – sont des indices. Ils permettent de détecter une menace : le cholera. Ces lieux sont propices à sa réapparition.
Le vibrion cholérique est encore là en Haïti. Face à ce défi, retournons aux fondamentaux : l’hygiène dans les camps. Nous savons bien que le vibrion trouve refuge dans les eaux, les aliments, les mains sales. Il ne pardonne pas quand il entraine des vomissements, des diarrhées sévères et des épidémies. Manifestement, le choléra est mortel.
Pour casser cette chaîne meurtrière que le choléra forme lors d’une épidémie, prônons l’hygiène dans les camps des déplacés.
Nous autres du RHJS, notre devoir est de rapporter les faits qui pourront sensibiliser tout un chacun aux mesures d’hygiène pour la population.
Claude Bernard Sérant
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