L’institution Sainte-Trinité est centenaire. Elle a fêté ses cent ans au milieu de l’année 2013. Aussi ai-je puisé dans mes souvenirs d’enfance pour rendre hommage à cette vénérable.
J’ai souvent revisité mes souvenirs. Sur ce territoire, se dresse une institution centenaire imposante: l’École Sainte-Trinité (EST). Le 16 juin 2013, cette institution avait commémoré ses cent ans. Ces années n’ont pas été un long fleuve tranquille. Le 12 janvier 2010, la terre a tremblé en Haïti. Des milliers de morts. Sainte-Trinité a été frappée en plein cœur.
Ce jour-là, des trésors de notre patrimoine culturel jonchaient le sol. J’ai pensé aux fresques de la cathédrale épiscopale. J’ai tremblé à l’idée que l’immense orgue du lieu de culte pût être réduit en miettes ; j’ai paniqué à l’idée que l’école de musique fût détruite comme les autres constructions tombées sous les assauts dévastateurs du monstre tellurique. Sainte-Trinité, autant que les institutions qui imprègnent ma vie citadine, est dans une page triste de l’histoire.
La cathédrale épiscopale
Les jours ont passé. Marchant dans une ville de Port-au-Prince dévastée, je suis revenu sur les lieux qui ont bercé mon enfance. Je revois Franck, mon père, en pensée, et je me souviens de ces jours où il me faisait visiter l’église comme un musée. Je prenais goût à regarder les peintures qui représentaient les scènes des Écritures saintes de façon originale. Le Christ et ses apôtres étaient campés dans des paysages qui répondaient aux échos de notre culture. Dans ma tête, Jésus avait bien vécu parmi nous, sur le sol d’Haïti, quand je regardais ce décor.
Un groupe de peintres, répondant je ne sais à quel appel intérieur, avait rapatrié le Fils de l’Homme dans un contexte haïtien. Ces héros inspirés avaient pour nom : Préfète Duffaut, Wilson Bigaud, Castera Bazile, Philomé Obin, Rigaud Benoît, Adam Léontus, Jasmin Joseph et Gabriel Lévêque. Ces prestigieux noms attachés à l’histoire de la peinture haïtienne s’harmonisent depuis lors dans mes souvenirs comme une belle gamme chromatique dans une fresque enchantée.
La musique
Dans ce petit monde à l’angle des rues Monseigneur Guilloux et Pavée, j’ai appris à aimer la musique classique. J’en écoutais. A la maison résonnaient sur le tourne-disque, les grands maîtres gravés sur le vinyle : Mozart, Beethoven, Brahms, Bach, Prokofiev, Vivaldi, Chopin, Liszt… Mais c’est dans la salle Sainte-Cécile, l’unique salle de concert du pays, que j’avoue avoir vécu toutes les grâces divines de la musique classique dans sa plénitude.
Enfant, ivre d’accords coulés dans l’or musical, je n’avais pratiquement aucune idée du schéma d’un orchestre symphonique.
Prenant place aux meilleures rangées avec mon père, je pouvais distinguer les sons de plusieurs familles d’instruments : les cordes, les bois, les cuivres et les percussions. Assis parmi d’autres enfants accompagnés de leurs parents, j’étais transporté, ébloui devant l’orchestre qui prenait son envol sous la baguette d’un chef.
À force de rêver
Ce haut lieu de bonheur où je me suis familiarisé avec la musique n’a pas été épargné par le tremblement de terre. Mais quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai appris que l’orchestre s’est remis sur pied pour offrir une prestation musicale un mois plus tard dans le quartier populeux de Bel-Air qui domine la baie de Port-au-Prince !
Du haut de ses cent ans, l’École Sainte-Trinité regarde de grands projets se dessiner pour les années à venir. J’étais vraiment flatté d’apprendre que l’école de musique Sainte-Trinité allait devenir plus grande et plus belle.
Le projet de construction d’un complexe musical moderne me faisait rêver. Et j’ai croisé les doigts pour que, dans les années à venir, le public puisse prendre place dans des auditoriums de 1 500 à 2 000 places où se produiraient de grands orchestres philarmoniques et des artistes d’opéra.
Il y avait tellement de belles promesses après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qu’on avait des étoiles dans les yeux, à force de rêver.
Sur le roc de la réalité, quatorze ans plus tard, tout rêve en Haïti tombe en miettes.
Je me souviens avoir croisé les doigts pour que se reconstruise l’école de musique avec des salles spacieuses et un conservatoire pour pétrir les étudiants dans la pâte culturelle de Sainte-Trinité.
Sainte-Trinité contemple un siècle d’histoire, un siècle au cours duquel elle a vu ses édifices détruits.
Dans une vision pleine d’espoir, se relèvera-t-il, un jour, tout ce pan de notre patrimoine culturel ?
Claude Bernard Sérant
serantclaudebernard@yahoo.fr
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