Une culture de la violence est installée à Port-au-Prince comme dans plusieurs villes d’Haïti. Elle ne date pas d’hier. Partout, dans toutes les conversations : bwa kale, zam pale reviennent avec des prises de positions tranchées. Colère. Tempérance. Lassitude. Prudence. Mutisme. Chacun adopte une attitude par rapport à la violence urbaine qu’il vit dans sa chair et au sens qu’il l’attribue selon son expérience du fait et de sa conscience. Sans nous en rendre compte, les structures élaborées que crée notre esprit pour valider ce qui se passe dans notre société donnent des sueurs froides pour peu que l’on prenne ses distances avec les opinions à la mode ; pour peu que l’on remette en question les idées qui se consomment à chaud dans les médias traditionnels et en ligne.
Avec la montée de la violence, les esprits s’échauffent. Œil pour œil, dent pour dent, vengeance pour vengeance reviennent en force dans les discours. Est-ce la voie à suivre pour une société plombée par la question de l’injustice depuis le berceau ?
Les élites de ce pays continueront-elles à s’inscrire dans la même logique qui fonde une société dont toutes les structures ont volé en éclat ?
La matrice qui façonne les produits de notre milieu
Notre incapacité patente à structurer une politique commune pour sortir notre collectivité de la pauvreté a créé tant de dérives qui se traduisent par une férocité dans notre écosystème culturel, sociopolitique et économique.
La forêt où s’affrontent les prédateurs depuis Christophe Colomb a toujours existé dans l’île de tous les dangers et hautement inflammable.
La matrice, comme structure complexe qui façonne ces hommes et ces femmes, n’était pas aussi détériorée au point d’étaler dans l’actualité ce qu’ils sont devenus : des monstres pour la collectivité. Tout de même, reconnaissons, sans nous voiler la face, que ce sont les filles et les fils de la terre d’Haïti qui produisent ces spectacles aussi cruels à un rythme infernal. Ils ne sont pas tombés du ciel. Ils n’ont pas été arrachés de l’enfer. Ce sont les acteurs d’un système bien ancré dans notre société qui les produit en vrac. Sans frein, ayant grandi à grande vitesse, ils ont le grand vertige du pouvoir que donnent tous leurs jouets. Pour eux, le spectacle continue quand ils alimentent notre quotidien en faits nouveaux aussi étranges, cruels et poignants. Internet favorise ce spectacle en direct. The show must go one !
La forêt urbaine peuplée de fauves brûle à un moment où nos compétences dans divers champs de savoir quitte le pays; ce qui rend Haïti de plus en plus démunie, de plus en plus tributaire de l’étranger pour tout lui assurer.
Dans cette démocratie représentative caricaturale où l’on se demande que représentent ceux qui se font passer pour nos représentants ?
Regardez la spirale de cette violence sans fin
C’est le moment de plancher sur le phénomène de la violence et ce qui l’a engendré.
Seulement pour le mois d’avril 2023, un rapport de l’Organisation des Nations-unies a dénombré six cents (600) personnes tuées dans plusieurs quartiers de Port-au-Prince. La capitale d’Haïti, connue comme la République de Port-au-Prince, est assiégée par des bandes aguerries de gangsters. Avec une force de frappe sans précédent, les bandits ont mis k.o la société haïtienne.
Trop de sang a coulé. Trop de sang continue de couler. Haïti s’enfonce dans une spirale de violence sans fin. Regardez comment la spirale encercle une ville qui se débat pour résister aux bandes armées qui sèment délibérément la mort. Regardez les résultats de la violence : les coups, les souffrances physiques et les blessures de l’âme.
Toutes les prières se terminent par Amen ou ainsi soit-il. En Haïti, la violence se déploie à l’infini : pour tous ceux qui ont perdu un être cher dans cette guerre urbaine ; pour celui qui a été kidnappé et violenté ; pour les filles et jeunes filles violées ; pour les familles arrachées à leur maison et qui ne peuvent pas regagner leur demeure. Pour toutes ces personnes, le coût humain est dur. Il y a le coup et l’effet du coup pour le traumatisé.
Abandonné de tous, le peuple se donne justice. L’opération Bwa kale apporte son lot de morts par le feu, à l’arme blanche, à coup de pierre, à pleine main ou à coup de poing. En réponse, les gangs contre-attaquent par la formule Zam pale. Les bandits, en embuscade, font feu sur des passants, investissent des maisons privées et donnent la mort. Les transports en commun, bien qu’ils soient taxés, ne sont pas épargnés. La vengeance engendre la vengeance dans un pays où l’État, impuissant, ne cesse d’appeler à l’aide, au secours aux pays amis d’Haïti.
L’État a pour obligation de protéger la famille, base fondamentale de la société. Cette loi qui assure la protection à tous sur le territoire d’Haïti n’est qu’un vain mot lorsque l’État n’a le monopole de la violence que sur papier.
Les chiffres d’un communiqué du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme en disent long : « Au moins 846 personnes ont déjà été tuées au cours des trois premiers mois de 2023, auxquelles s’ajoutent plus de 393 personnes blessées et 395 enlevées au cours de la période, soit une augmentation de 28% de la violence par rapport au trimestre précédent. »
La violence sans fin à Port-au-Prince a fini par nous déshumaniser. On a peur. On est traqué. On se sent seul au monde. Quand les balles réduisent au silence la république, on devient fou. Dans nos intervalles de lucidité, lorsque le souffle de la vie se fait encore sentir, on se demande : à quoi bon tout ça ? À quoi bon réduire tout un peuple dans cette déchéance ?
Il y a une raison dans tout. Mais ce n’est pas avec la rage de mettre tout par terre qu’un pays finira par se remettre debout. Représailles criminelles, atrocités, deuil, douleur et pleurs seront-ils toujours le lot quotidien d’un peuple en ces temps ténébreux ?
Claude Bernard Sérant
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