Le combat d’une mère pour faire vacciner son nourrisson

 

Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance ( Unicef ), les vaccins sont le moyen le plus sûr au monde pour protéger les enfants contre les maladies mortelles. Les avantages de la vaccination sont immenses. Pourtant, selon le rapport de l’Enquête sur la Mortalité, la Morbidité et l’Utilisation des Services (EMMUS VI), publié en 2018, seulement 41% des enfants âgés de 0 à 23 mois ont reçu toutes les doses de vaccin de routine autorisées par le ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP). A Port-au-Prince, les violences des gangs compliquent davantage le processus normal de vaccination. En dépit de la situation de turbulences, Manoucheca Saël, 34 ans, a parcouru des centaines de mètres pour faire vacciner son nourrisson en vue de le protéger contre les maladies et infections.

Manoucheca Saël et son nourrisson à l’arrière plan

Lundi 3 avril 2023. 11h du matin. Portail Léogâne. Les activités sont au ralenti. Les affrontements entre les bandits armés et la police, au cours du week-end avant, continuent d’inquiéter riverains et passants. La couleur blanchâtre de la poussière que laisse la boue sur la façade du centre de santé de Portail Léogâne s’offre aux passants. À l’intérieur de ce centre qui fournit des soins pédiatriques et prénataux, l’électricité se fait rare. Le noir s’installe dans cet important centre hospitalier disposant également de services de clinique dentaire, consultation générale, de laboratoire et de pharmacie, de prise en charge des personnes vivant avec le VIH/ SIDA et de vaccination. 

La grande salle accueillant les visiteurs n’est pas bondée de gens comme d’habitude. La situation de peur régnant dans cette zone et ses environs en est peut-être la cause. À l’entrée, quelques patients assis sur des bancs à gauche attendent. En face d’eux, une infirmière frisant la cinquantaine accueille et enregistre. Tournant à droite, on se retrouve dans une allée. Une dizaine de parents et leurs enfants sont assis, les yeux rivés sur les infirmières qui font le va-et-vient. Elles bavardent pour tuer le temps. Elles prêtent attention à l’appel nominal.Sur un banc, au fond de l’allée, en face de la petite salle de vaccination, Manoucheca Saël, 34 ans, porte fièrement son nourrisson de quatre mois dans ses bras. Vêtue d’un corsage blanc, jeans bleu, baskets noires, l’originaire de Chantal, commune du département du Sud d’Haïti, prête l’oreille à l’appel nominal. Manoucheca est mère de deux enfants, dont l’aîné, 13 ans, vit avec ses parents à Chantal. Manoucheca est arrivée en secondaire (NS I). Elle apprend la cuisine et la pâtisserie. Elle cherche en vain un emploi.

Secouant son bébé dans ses bras, Manoucheca se confie. « Après mon accouchement à Chantal, je reviens à Thomassin où j’habite depuis 2010, avec des proches familiaux. Hélas, j’ai dû fuir la folie des bandits armés qui y sèment la terreur. Pour l’instant, je m’installe chez ma sœur, à Fort-Mercredi. Mais il n’y a pas de centre de santé à proximité pour faire vacciner mon bébé; je suis obligé de venir ici à pied malgré la situation d’insécurité pour le faire vacciner », explique cette femme, tenant dans ses mains le carnet de vaccination de son nourrisson.

Manoucheca Saël fait partie des mères dévouées qui se démènent pour que leurs enfants soient vaccinés à temps. De chantal à Fort-Mercredi, en passant par Thomassin, elle se bat du bec et des ongles pour que son bébé reçoive à temps chaque dose de vaccin recommandée. Parcourant plusieurs kilomètres pour atteindre le centre, elle se dit prête à aller même plus loin pour le bien de son bébé. « Je serai encore ici ou quelque part ailleurs, pour la prochaine dose. Quelle que soit la situation, je veux que mon bébé soit toujours en bonne santé et qu’elle reçoive à temps les différentes doses recommandées contre les maladies et infections », soutient-elle.

Tous les enfants ont le droit d’avoir accès en temps opportun aux services de santé appropriés. Le droit à la santé passe également par la prévention qui joue un rôle essentiel dans la préservation de la santé publique, notamment infantile. L’éducation à la santé et les vaccinations de routine permettent de prévenir la propagation des maladies infectieuses.

Selon l’obstétricien-gynécologue, Pierre Eliode, l’accès des enfants aux soins de santé en Haïti doit nous interpeller et nous porter à agir en ce sens. « Quand on parle de l’accès aux soins de santé, cela implique l’existence des établissements de santé, la proximité des établissements de santé, la présence de personnel de santé, y compris le personnel spécialisé (pédiatre), la dotation d’équipements nécessaires et d’intrants pour la bonne marche des établissements de santé, une meilleure prise en charge des ressources humaines, la stabilité socio-économique et politique, la formation du personnel et sensibilisation des parents », a fait savoir le médecin.

Le professeur de la reproduction et démographie à l’Université d’Etat d’Haïti a aussi évoqué l’importance de la vaccination pour garder les enfants en bonne santé. À en croire l’obstétricien, les vaccins de routine servent de « prévention de certaines maladies graves ou incurables telles que la rougeole, la coqueluche, le polio, la diphtérie, la tuberculose, le tétanos, les oreillons, la rubéole, les hépatites… ».

Pour le spécialiste, les différentes doses recommandées sont nécessaires pour la protection de la santé de l’enfant contre toutes les maladies. « L’immunité offerte par une dose ne dure pas toute la vie, les rappels servent à renforcer et prolonger l’immunité », ajoute-t-il, plaidant pour la stabilité socio-économique, nécessaire pour le processus de vaccination de routine et pour la santé en général. « C’est un cercle vicieux. La stabilité socio-économique et politique est indispensable pour résoudre les problèmes de santé », soutient le professeur.

” Le MSPP doit travailler au niveau de l’accès aux vaccins et leur disponibilité, ce qui sous-entend fournir de vaccins aux institutions de santé, faciliter l’accès, former le personnel et sensibiliser la population, encourager les acteurs politiques dans le sens de la stabilité politique essentielle à la bonne marche des institutions de santé “, croit dur comme fer le gynécologue.

Elien Pierre

Source : www.lenouvelliste.com

Quitter la version mobile