À cent un ans, Maurice Léonce est encore bien portant. Plein d’énergie, lucide et actif, le doyen d’âge de la Cité des poètes, auteur de «Poèmes de la Grand’Anse », anime encore son émission « Compilation pour l’histoire » sur les ondes de radio Lambi. À l’invitation du Réseau Haïtien des Journalistes de la Santé (RHJS), ce centenaire qui avait fait une entrée remarquable à Livres en Folie, l’année dernière, a prononcé un discours empreint de lyrisme à l’Alliance française de Jérémie. Il s’est adressé à la jeunesse jérémienne lors d’une formation pour des journalistes dans cet espace culturel très prisé par les jeunes portés sur les choses de l’esprit. Voici le discours prononcé, debout, à haute et intelligible voix, sans ses lunettes, par Maurice Léonce, un digne héritier de la Cité des poètes.
L’appel du centenaire de Jérémie
« Jeunesse jérémienne, jeunesse de la « Cité des poètes », tu dois t’instruire davantage. C’est une obligation formelle et solennelle. Car tu es l’avenir, la source vive du pays, l’aurore qui embellit la naissance du jour. Que Dieu te vienne en aide, te guide et te couvre de son grand manteau protecteur.
Nous sommes en train de payer les conséquences de nos inconséquences tribales, qui contribuent actuellement à cette chute nationale vertigineuse. Cette totale décadence des structures sociales, culturelles sans lesquelles aucun progrès valable et utilitaire ne peut se concrétiser.
Le temps de l’esclavage crapuleux, inhumain, est effacé depuis longtemps dans le registre de la civilisation moderne, ou tout individu quel qu’il soit doit jouir de sa liberté d’action en toute justice, en toute équité et égalité. Le monde en mouvement est à la recherche d’une solution pour une société nouvelle, plus éduquée et plus responsable. Une vie nouvelle, adaptée aux dimensions du réel pour assurer la survie de tout un chacun, dans une harmonie qui nous invite à être meilleurs, généreux et surtout serviables pour une parfaite cohésion où chaque individu dans sa sphère d’action doit apporter sa pierre pour la construction de cette vie nouvelle, prospère, fructueuse et prometteuse. Le bien-être d’une collectivité bien structurée, bien équilibrée doit apporter des résultats concrets et utiles aux besoins de tout un chacun. En travaillant sous le signe de la fraternité, nous travaillons sans même nous rendre compte pour le bien de tous.
Ne nous laissons pas emporter par la bourrasque de la désillusion
Dans tous les pays : paix, travail, santé, justice sociale, progrès, respect réciproque sont les signes avant-coureurs d’avancement et de civilisation. Nous devons maintenant et plus que jamais changer nos conceptions stériles, car la vie n’est pas toujours un demain sans heurts. Il y a des jours ensoleillés tout comme des jours nuageux qui menacent notre vie. Des épreuves auxquelles nous ne nous attendions pas qui arrivent et font déséquilibrer nos espérances et toutes nos bonnes tendances. C’est à nous, maintenant, en ces moments difficiles de réagir pour ne pas nous laisser emporter par la bourrasque de la désillusion, de la défaite, de ce manque de confiance en soi. C’est le temps des réflexions saines, des attitudes grandioses, nous permettant d’être des penseurs et non des fumistes aux faux cols amidonnés de fausseté et de crapuleries honteuses.
La vie d’aujourd’hui n’est plus facile pour personne. L’époque est dure. Les méchants deviennent plus méchants. Ils créent des perturbations pour mettre la société dans un désordre heureux afin de saper ses bonnes tendances, car eux, ils ne font que de mauvaises herbes et des poisons sociaux. Nous devons donc faire des efforts pour trouver l’équilibre social qui nous fait défaut. La paix n’est plus respectée car c’est elle qui mène au bonheur, à une vie saine, tranquille, laborieuse, lumineuse ; parfumée par les fleurs de la fraternité, de la justice, de l’harmonie et du bien-être pour tous.
Tout dans la nature s’équilibre, se bonifie : quel bel exemple, elle nous donne…. Une vie doit être le centre de l’humanité entière. Vivons donc dans l’harmonie et la paix, les critères indispensables à la survie, au bonheur et à la joie de vivre. Se comprendre, se parler, s’aimer les uns les autres. Devrons-nous nous réunir afin de découvrir ensemble cette belle qualité du cœur qu’est l’amour ? L’amour, toujours l’amour… rien que l’amour. J’ai tiré dans un petit bouquin intitulé Notre pain quotidien ceci : « Nous avons besoin de communion fraternelle pour édifier et nous soutenir».
Changer de conception
Jeunesse actuelle de Jérémie, tu dois changer de conception, d’attitude, de comportement. De te mettre à l’étude pleinement et totalement, car tu es l’avenir, l’espoir, la ressource indispensable à la survie de la nation. Tu dois te libérer de tout complexe, tu dois t’élever vers les sommets afin d’atteindre des dimensions exceptionnelles qui doivent garantir ton avenir. Tu dois t’instruire davantage. C’est une obligation afin de donner une autre physionomie à cette patrie aujourd’hui qui se traine dans une situation catastrophique, désastreuse, déplorable. Tu dois apprendre aussi à bien gérer ta jeunesse, car tu as pour devoir de faire un choix et chaque choix que tu fais doit être inspiré par les bonnes convictions qui t’animent. Ceux que ne possèdent pas les aptitudes requises pour bien gérer leur vie auront des difficultés à cultiver la discipline nécessaire à l’atteinte d’une réussite durable. Ne dit-on pas aussi que « la culture élève à la dignité de son être » ?
Je te répète, jeunesse de ma ville chérie Jérémie, cette belle phrase philosophique de feu le Dr Martin Luther King : « Si tu ne peux pas être un soleil, sois une étoile. Si tu ne peux pas être une route, sois un sentier ». Et moi, Maurice Léone, simple citoyen du monde te dit: Si tu ne peux pas être un grand médecin, sois un bon infirmier ; Si tu ne peux pas être un prestigieux agronome, sois un grand cultivateur. Et pour finir cette belle strophe du poème intitulé ALTITUDE de feu le poète Regnor Charles Bernard né à Jérémie en l’année 1914 et mort en l’année 1981 à l’âge de 67 ans :
Maurice Léonce nous fait découvrir le poète Regnor Charles Bernard
« Questionne tes entrailles
Prends ta faim, ta fatigue
Tes rancœurs, tes dégoûts
Et fais de tout cela une torche
Lumineuse et belle que tu planteras
Au flanc noir de la nuit
Que ta haine s’augmente
De toutes les fièvres accumulées en toi
De toutes tes espérances qui persistent et grandissent
De toutes les injustices rencontrées le long des siècles
En démence de tous tes rêves avortés
Et dis-toi que la liberté attend
Avant d’être conquise
Non plus par le fer ou par le feu
Le lambi ou la marchette
Le poignard ou le poison
Mais par la seule qualités de la volonté
Mais par la voix nouvelle
Que tu sauras prêter
À ton désir d’indépendance
Et qui si fort plaidera
La cause de ta souffrance
De ta race
De ton rêve
De ton idéal
Et qui mettra tant d’étincelles
Tant de lumière,
Tant de beautés nouvelles
Au poème nouveau de la vie
Que le monde bouleversé
Regardera un jour-étonné
Ta grande ombre, unique, magnifique- noire
Qui à travers l’espace
Voudra baiser le soleil.
Regnor Charles Bernard »
Les propos de Maurice Léonce, notre centenaire jérémien qui aura 102 ans en septembre prochain, ont marqué les jeunes journalistes de la Cité des poètes, à l’Alliance française. Pour lancer les ateliers de formations du RHJS quoi de plus motivant que les paroles d’un centenaire mûri par des années à Jérémie, ville marquée au fer rouge par tant et tant d’événements politiques et climatiques. Sur la cîme de ses années d’expériences, Maurice a fait un appel à la jeunesse jérémienne. Mais quand il parle à Jérémie, il s’adresse à tout le pays.
Le RHJS ne pouvait s’empêcher de partager la parole vivante de Léonce avec le public. Fascinant, cet auteur qui garde encore la fraîcheur d’esprit. Maurice Léonce danse, jongle avec les mots dans ses poèmes comme autrefois il jouait au football.
Sabry ICCENAT
Source : www.lenouvelliste.com
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