Par Erold JOSEPH
« Le temps d’apprendre à vivre ; il est déjà trop tard »
Louis Aragon, poète et romancier.
Le but de la vie est d’être heureux. On peut l’être dans l’illusion ou le mensonge : c’est le bonheur du fou. On peut l’être dans la vérité, ce qui est la résultante d’une quête personnelle : c’est le bonheur du sage. C’est alors la philosophie, vue comme « manière de vivre » et qui s’identifie alors à la spiritualité laquelle peut être laïque (voire athée) ou religieuse. La réussite uniquement matérielle et individuelle ne permet nullement l’épanouissement personnel. Elle correspond à ce que nous avons appelé « réussir dans la vie ». En revanche, « réussir sa vie » consiste à performer, avoir du succès, mais en mettant ses talents au service de sa communauté, voire de l’humanité toute entière. Cette deuxième forme implique un certain désintéressement et un respect scrupuleux de la morale et des règles éthiques. Elle s’inscrit donc dans une perspective plus large. Elle procure un certain bonheur résultant du sens accordé au travail accompli et aussi, d’une bonne connaissance de soi qui devrait être développée dès les premières années de la vie.
Donner un sens à son travail rend heureux au travail
Yu Dan, professeure de philosophie à l’université de Pékin est l’auteure d’un magnifique ouvrage intitulé : « Le bonheur, selon Confucius » où elle reprend les enseignements de cet éminent philosophe et homme politique. (réf) Elle y rapporte l’histoire suivante.
Un réformateur religieux passait près d’un chantier de construction. Il y vit une foule d’hommes en sueur transportant des briques sous un soleil de plomb. Curieux, il interrogea un des ouvriers : « Que faites-vous là? ».
L’autre, maussade, lui répondit avec hargne :
-Vous le voyez bien. Je transporte des briques. Et c’est une tâche extrêmement dure.
Avisant un deuxième travailleur, il lui posa la même question. L’autre plus calme, rangea soigneusement ses briques sur le sol et dit : « Je construis un mur. »
A un troisième ouvrier, il fit la même interrogation. Ce dernier était jovial. Il déposa ses briques, s’épongea le front avec son mouchoir, releva fièrement la tête avant de déclarer : « Nous construisons une cathédrale ».
Les trois hommes effectuaient exactement le même travail et dans les mêmes conditions. Pourtant, leurs émotions étaient différentes et partant, leur bonheur. Le premier était maussade, voire en colère. Il ne faisait que transporter des blocs de béton sous un soleil brûlant. Il exécutait un travail dépourvu de sens. Le second était conscient de contribuer à l’érection d’un mur ; d’où sa sérénité. Quant au dernier, il était à la fois heureux, fier d’être utile et de participer à la construction d’une grande église dans sa communauté.
Donner un sens à sa vie rend heureux dans la vie
Donner un sens à son travail contribue grandement à vous rendre heureux. Mais, on peut l’être dans son travail, mais malheureux dans sa famille, dans ses relations, voire dans sa vie. Cette dernière est vaste, globale, même si nous avons tendance à la fragmenter en secteurs. Le « bien-être subjectif global », dénomination pédante attribuée par les scientifiques au bonheur, ne saurait se limiter à une tranche de la vie. D’où la nécessité d’apprendre à développer dès le plus jeune âge, une compréhension globale de l’existence. Pourquoi envoyons-nous nos enfants à l’école ? Est-ce uniquement pour obtenir des diplômes, des titres prétentieux, exercer une profession lucrative, devenir riche, avoir du pouvoir, dominer les autres, puis émigrer, aller briller ailleurs au nom d’Haiti, laissant son pays dans la merde ? Essaie-t-on de détecter précocément les aptitudes de nos enfants, afin de les encadrer, de les orienter vers leur « chemin de vie » ? Nous efforçons-nous d’améliorer, à tous les points de vue, l’environnement local pour qu’ils puissent y demeurer ou revenir après un éventuel perfectionnement à l’extérieur ? Quels sont les modèles, les mentors que nous leur proposons et avec lesquels nous les mettons en contact ?
Naitre, aller à l’école et à l’université, avoir des diplômes, des titres pompeux ou un poste prestigieux, travailler, se marier, avoir des enfants, accumuler pouvoir, richesses et biens matériels. Puis… vieillir, souffrir, faire souffrir, et finalement mourir (jeune ou dans la force de l’âge), abandonnant tout, y compris ce corps et cet intellect auxquels nous nous identifions et dont nous sommes si fiers.. Et cela, sans avoir rien compris, ni de la vie, ni de la mort. Quel gâchis, dont nous payons aujourd’hui chèrement les conséquences ! « Exister est un fait ; vivre est un art » dit joliment le philosophe/sociologue Frédéric Lenoir.(réf) Un art qui s’apprend toute la vie et que l’école a l’impératif de développer. Si l’éducation ne nous aide pas à comprendre l’existence, à être heureux, à être meilleur, à faire progresser notre communauté, à quoi sert-elle ?
Nos enfants ne doivent-ils pas savoir, au départ, que réussir tout seul, trop souvent au détriment des autres et de la collectivité, ne suffira jamais à combler une vie ? Qu’ils doivent au contraire, s’entraider, collaborer, se compléter mutuellement, s’aimer les uns les autres au lieu de rivaliser entre eux ? Ne doivent-ils pas à apprendre comment rester en santé, aimer leur pays, prioriser l’intérêt public, respecter l’opinion des autres, débattre de leur divergence de vue et toujours chercher le consensus ? Il y a l’éducation à la citoyenneté, l’éducation non formelle, des documents de politique, les photos et les vidéos des activités sur les réseaux sociaux, nous rétorquera-t-on. Combien de temps y consacre-t-on vraiment, sérieusement, régulièrement ? Comment se réalise-t-elle, superficiellement ou en profondeur ? Théoriquement ou de manière pragmatique, efficace, avec implication des intéressés ? Avec objectif de pérennité, ou juste pour montrer à la population et surtout aux bâilleurs internationaux qu’on a pris de nombreuses initiatives (très intéressantes par ailleurs), mais qui ne dureront que « l’espace d’un cillement », pour paraphraser Jacques Stephen Alexis?(réf) Ne faut-il pas sortir irrémédiablement de la « gouvernance selfie » encouragée par les médias et qui vise à donner faussement l’impression que tout est sous contrôle, malgré l’évidence du contraire ? « Tout va très bien, Madame la Marquise… sauf que la maison est en feu ». Apprendre aux enfants à être vrais, à expérimenter la compassion, l’altruisme, bref, à être de meilleurs êtres humains est encore plus important qu’exceller en mathématiques, physique, chimie ou biologie. Le savoir est neutre : il peut être utilisé à bon ou à mauvais escient. Il existe de brillants escrocs. Nous en faisons tristement l’expérience aujourd’hui. Il s’agit plutôt, de former « des têtes bien pleines, mais surtout bien faites » selon le mot de Montaigne. (réf)
Les questions essentielles évacuées par l’éducation
Qui suis-je? D’où viens-je ? Où vais-je ? Quelle est ma raison d’être sur cette planète ? Quel est le sens de mon existence ? Voilà les interrogations essentielles que seul « l’Homo Sapiens » est à même de se poser et qui devraient être adressées dès l’enfance, à l’école, et ensuite tout au long de la vie. Et pourtant, l’écrasante majorité, continuellement happée par le quotidien, par le primum vivere, ne le fait pas. Cette abstention s’explique certes, par le primum vivere (vivre d’abord), mais surtout par la procrastination, voire une inversion des priorités, mais aussi, par la peur : peur de ne pas trouver, peur de trouver, mais surtout, peur de ce qu’on pourrait trouver et qui risquerait de remettre en question nos certitudes et d’ébranler les fondements de notre existence. Autant donc s’abstenir, s’en remettre à la foi aveugle, à une idéologie, ou au « scientisme », croyance illusoire que la science a réponse à tout. Les enfants, par contre, curieux de naissance, assoiffés de compréhension, nous assaillent continuellement de leurs « pourquoi » philosophiques. A force d’obtenir des réponses absurdes ou de se faire envoyer au diable, ils finissent par tout prendre comme allant de soi, devenant ainsi, par le processus de socialisation (donc par mimétisme), semblables à leurs parents et à tout le monde. Ils cessent de se questionner. Désormais, ils ne se préoccuperont que de leurs vêtements, leurs chaussures de sport, leurs jouets, et, plus virtuellement, de leur nombre d’ « amis » et de « j’aime » sur les réseaux sociaux. Plus tard, à l’âge adulte, ce sera leur compte en banque, leurs biens matériels, leur célébrité, leur pouvoir politique. « On ne nait pas matérialiste, on le devient », dit joliment le médecin réanimateur français Jean-Jacques Charbonier. Ces questionnements reviendront peut-être plus tard ou trop tard, lors de la mort d’un proche ou de l’imminence de la leur. Il y a toujours une action plus pressante, plus pratique qui oblige à différer. Pour répéter Sogyal Rinpoché dans son magistral ouvrage intitulé « Le livre tibétain de la vie et de la mort » : « La plupart des gens meurent non préparés à la mort, de la même manière qu’ils ont vécu, non préparés à la vie ».
L’éducation du coeur ou « éducation philosophique » est la seule voie pouvant faire de nos enfants de meilleurs êtres humains (donc de meilleurs citoyens) ce qui, in fine, devrait constituer le but majeur de l’Éducation.
Erold JOSEPH,
Docteur en médecine, pneumologue, expert en santé publique, promotion de la santé, et de l’interrelation santé/éducation
Courriels : eroldjoseph2002@yahoo.fr et eroldjoseph2002@gmail.com
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