Le choléra en Haïti : retour ou réveil

Par Dr Erold Joseph
Le numéro Un de la Direction de santé scolaire du MENFP, Dr Érold Joseph

Quelle est la différence entre une épidémie, une endémie et une pandémie ?

 Il y a épidémie quand une maladie frappe un grand  nombre de personnes à la fois, dans une région géographique donnée. 

On parle d’endémie quand une maladie est habituelle dans une zone géographique. Dans le  cas des maladies infectieuses, la majorité des  habitants finissent généralement par développer une certaine immunité (résistance) vis-à-vis du germe, ce qui diminue l’intensité de l’épidémie. On dit alors que la maladie est endémique dans la zone. Toutefois, des « poussées, flambées ou pics épidémiques » peuvent se produire plus ou moins régulièrement lorsque surviennent certaines conditions environnementales, politiques populationnelles, propices. Ainsi, la malaria, endémique en Haiti et dans les pays tropicaux, présente des pics durant la période estivale pluvieuse laquelle favorise la stagnation de l’eau et donc, la  multiplication des moustiques, vecteurs obligés du parasite appelé plasmodium.

Une pandémie est une maladie qui atteint un grand nombre de personnes à la fois dans une région géographique très étendue ( plusieurs pays, un continent, ou même plusieurs)

Patients atteints de cholera

L’épidémiologie est l’étude des rapports entre les maladies et les facteurs susceptibles de les produire. Elle étudie également la distribution de ces dernières au sein des populations. Elle repose davantage sur l’observation que sur l’expérimentation et constitue le fondement de la médecine préventive et de la  santé publique.

La létalité mesure la mortalité liée directement à une pathologie donnée. Elle  est mesurée par le taux de létalité qui est la proportion des gens qui, frappés par une maladie, en meurent. Le taux de létalité acceptable pour le choléra est de 1%. Cependant, pour les pays pauvres, il s’avère beaucoup plus  élevé allant même très  au-delà de 6%.

Quelle est l’histoire épidémiologique et géographique du choléra ?

Le choléra est décrit en Inde, dans les textes sanscrits, plus de 500 ans avant Jésus-Christ. On l’appelait « mordochium »  c’est-à-dire  « maladie mortelle des intestins ». L’Europe en entend parler en 1503 grâce à un officier portugais qui, de retour de l’Inde,  rapporte l’histoire  d’une  diarrhée cataclysmique tuant 20,000 personnes à Calicut. En fait, les premières épidémies auraient pris naissance en Asie du  sud, plus précisément  dans le golfe du Bengale, en Inde et dans les pays avoisinants. (5). Le delta du fleuve Gange constitue donc le berceau du microbe, en raison de ses eaux côtières, saumâtres, et chaudes qui favorisent la multiplication des planctons et la transformation d’un microbe, auparavant  bénin, en  un pathogène hautement virulent : le Vibrio cholerae. Partant de ces foyers endémiques, la maladie s’est propagée par contamination interhumaine, à partir de 1817 (début de la première pandémie), d’abord dans  les autres  pays de la région asiatique, puis vers les autres continents à la faveur des voyages terrestres, maritimes, puis aériens. La  colonisation, le négoce, l’industrialisation en ont permis l’extension d’abord  vers l’Europe colonisatrice (Portugal, Angleterre, Espagne, France..), ensuite, vers  l’Afrique et l’Amérique à travers les sept pandémies échelonnées dans le temps (voir tableau ci-dessous). Le choléra se propage, du point de vue populationnel ou épidémiologique, de deux façons,  lesquelles  coexistent souvent : le mode endémique et le mode épidémique. Dans le premier cas, le bacille était déjà présent depuis un certain temps, voire des siècles dans l’environnement aquatique (fleuves à proximité du littoral), ce qui entraine de temps à autre, des flambées lorsque les circonstances y deviennent favorables. Dans le deuxième cas, (mode épidémique) la maladie est introduite  par des porteurs du microbe, dans une  région où il n’était point présent dans l’environnement aquatique.

Telle est l’historique  mondiale et la pathogénie  de la « maladie dite de la  peur bleue », ainsi baptisée au XIXème  siècle par les Européens, en raison de la cyanose, c’est-à-dire de la teinte bleue des victimes, laquelle est causée par la carence d’oxygénation des tissus.

 

Tableau chronologique et géographique des  sept (7) pandémies de choléra

PANDÉMIE PÉRIODE CONTINENT DE DÉPART  CONTINENTS ET PAYS LES PLUS  FRAPPÉS
Première  1817-1823 Asie entière  Asie et Afrique (côte orientale) 
Deuxième

(choléra morbus)

1826-1841 Europe  Europe entière, Amérique du Nord et Australie
Troisième 1840-1862 (deux  vagues) Europe et bassin méditerranéen  Europe, bassin méditerranéen, Amérique du Nord 
Quatrième 1863-1876 Europe et bassin méditerranéen Europe, Afrique (Sénégal, Egypte) et Amérique du Sud (Argentine)
Cinquième 1881-1896 Asie (Inde) Afrique (Egypte) Europe centrale Russie, Afrique 
Sixième 1899-1923 Europe centrale Europe centrale, Russie
Septième 1961- ? Asie  Asie (Taiwan, Corée du sud, Taiwan, Afghanistan)Afrique (Madagascar) Amérique latine et centrale ( Pérou, Haiti (nouvelle souche O1, biotype El Tor)

 

Quelles sont les souches de Vibrio Cholerae responsables des différentes pandémies ?

Le Vibrio Cholerae, a été découvert  en 1854 par Filippo Pacini,  puis isolé en 1883  par Robert Koch. Malheureusement, à cette époque, le corps médical, dans sa grande majorité, n’admettait point l’existence des microbes. L’on ne cherche point ce dont est convaincu de l’inexistence. Par ailleurs, les techniques d’observation des corps minuscules invisibles à l’œil nu, étaient  archaïques. Ainsi, le microscope, inventé par Galilée depuis l’année 1609 restait encore fort rudimentaire. Le biologiste néerlandais, Antoni Van Leeuwenhoek, est connu pour les améliorations apportées à cet instrument. Il encourageait constamment ses pairs à utiliser cet outil. Il est considéré comme l’un des précurseurs de la biologie cellulaire et de la microbiologie. La génomique, science qui étudie le génome, c’est-à-dire le matériel génétique d’un individu ou d’une espèce donnée permettant ainsi de l’identifier, était encore à ses balbutiements à la fin des années 1850, avec Grégor Mendel et ses fameuses expériences sur les plantes et la transmission héréditaire des caractères.. Aujourd’hui, grâce aux techniques  de la « génomique bactérienne », les Vibrios sont classés selon trois paramètres : leur sérogoupe,  leur sérotype et  leur biotype. Seuls les Vibrio des sérogroupes O1 et O139 produisent la toxine cholérique et donc, le choléra. Durant la septième pandémie laquelle a débuté en 1961 (voir tableau ci-dessus), seule la souche (ou sérogroupe) O1 existait et produisait la maladie. A partir de 1992, durant la même pandémie,  la  nouvelle souche O139 fait son apparition en Inde et au Bangladesh pour se cantonner ensuite à l’Asie avant de  disparaitre. Les souches (ou sérogroupes ) O1, seules  survivantes, se divisent en deux biotypes : le biotype classique (responsable des cinquièmes et sixièmes pandémies et  le biotype El Torr à l’origine de la septième. Ces bactéries se subdivisent également en sérotypes. Ainsi, la souche de Vibrio Cholerae en cause  dans la flambée de choléra en  Haïti en 2010 a été clairement identifiée au sérogroupe O1, sérotype Ogawa et biotype El Tor. Elle provient de l’Asie et plus précisément du Népal, pays où le choléra est endémique. Sommes- nous encore dans  la septième pandémie ou dans une huitième ?

Dr Erold JOSEPH

Courriels : eroldjoseph2002@yahoo.fr et eroldjoseph2002@gmail.com 

NB : une liste de références bibliographiques sera disponible à la fin de la série

 

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