Plaine-du-Nord
Un parfum de cassave nous attire dans la Plaine-du-Nord. On muse en chemin avant d’entrer au Cap-Haïtien. Quel est donc ce parfum entêtant ? Il monte d’une cassaverie à Balan.
En juillet prochain, Cassave plus, une cassaverie située à Balan, quartier dépendant de Plaine-du-Nord, à une dizaine de kilomètres de la ville du Cap-Haïtien, aura dix ans. Thélusmé Verdieu, le propriétaire, est fier de tenir cette fabrique de galettes consommées comme du pain croustillant. « Nous fabriquons un bon produit. On ne dispose pas de service marketing. Tout se fait de bouche à oreille. Les gens viennent des Etats-Unis pour acheter notre cassave. Ils téléphonent d’abord pour passer leur commande. Quand il n’y en a pas pour tout le monde, certains se mordent les doigts », dit-il. En moyenne, la fabrique produit quarante à cinquante cassaves par jour. Verdieu estime qu’il pourrait mettre sur le marché davantage de cassaves.
Où se situe le problème ? « Notre plus grand problème est la production locale de manioc. On pourrait monter 16 platines par jour et on vendrait toutes nos cassaves. Ça partirait rapidement, mais où trouver le manioc ? », lance-t-il.
À la recherche de racines
L’homme arpente communes et sections communales d’Haïti, à la recherche de racines tubéreuses. « On va là où est le manioc. On l’achète à Savane Longue, Capotille, Ouanaminthe, Borgne, Ti Bouk. On va partout : Caracol, Souffrière, Grand-Ravine », énumère-t-il. Ces maigres récoltes annuelles ne suffisent pas pour faire tourner la production. Tous les ans, le pays enregistre une baisse de récolte.
Vers où se tourner ?
« Je sais qu’un jour viendra, je regarderai en direction de la République dominicaine pour alimenter la fabrique en manioc », regrette-t-il. Dans ses débuts, la cassaverie avait un gros client. Des cassaves partaient en vrac en direction des Etats-Unis. En dépit des grosses commandes, le bénéfice que générait le contrat était maigre. Il a dû casser le contrat pour se consacrer au marché local.
Division du travail
Sur place, dix-huit ouvriers prennent part à la fabrication du produit. Mêlées à des hommes, des femmes grattent, à l’aide de grosses cuillères, le manioc amer étalé par piles dans de grands récipients. « Dès huit heures du matin, je gratte et je gratte encore le manioc. Je repars chez moi à quatre heures de l’après-midi », dit Guirlaine, assise sur une petite chaise basse. Une autre femme imite les mêmes gestes. Près d’elle, un homme, le dos courbé, s’applique à enlever les extrémités des racines. Dans la division du travail, chaque ouvrier est placé à une section de la fabrique. « Pran yon manyòk nan bokit la vin akey ! », lance le patron à un ouvrier. Celui-ci verse les racines dans une barrique remplie d’eau. Un travailleur prend un pilon et les frappe. Ainsi sont-elles lavées préalablement dans deux ou trois barriques pour diminuer les hétérosides cyanogènes toxiques à la consommation. Pelée, lavée, la chair des racines dégoulinant d’eau prend une couleur blanchâtre. « Mete manyòk yo nan graj la ! », crie le patron. Aussitôt, les ouvriers s’empressent de remplir une râpe artisanale actionnée par un moteur. La farine qui tombe dans le bac est récupérée pour être essorée sous une meule. Aussi est-elle débarrassée des derniers éléments toxiques. Traitée pour une énième fois, elle aboutit dans un tamis. Verdieu ajoute du sel et des ingrédients dans la farine du manioc réputé pour être riche en glucide. L’homme nous invite à regarder de près la dernière étape de la production artisanale. La farine est étalée sur une platine, une sorte de plaque de fer ronde et polie qui fait la circonférence d’un couvercle de drum métallique. Munis d’un petit balai soyeux, les ouvriers aèrent la farine sur la plaque chauffée à l’aide du charbon de bois. Des femmes viennent ajouter des ingrédients comme la cannelle, le gingembre et d’autres épices qu’un client a recommandés. Pendant que l’on retourne la face du produit qui prend une belle couleur sur la platine et dégage le parfum des épices, Verdieu nous sert un de ces petits bonheurs croquants. Hum ! Croustillante, la cassave de la Plaine-du-Nord ! Elle se consomme avec les garnitures qu’on aime bien. Manba, siwo, zaboka, fig, konfiti… A chacun son diplis.
Valeurs nutritionnelles et caloriques du manioc
Eau | 59,7 g |
Magnésium | 21 mg |
Potassium | 217 mg |
Vitamine C | 20,6 mg |
Vitamine B9 | 27 µg |
Claude Bernard Sérant
serantclaudebenrard@yahoo.fr