Durant ces six derniers mois, les rumeurs pleuvaient sur l’état de santé du Dr Odilet Lespérance. Cela passait par une paralysie dont il aurait été atteint jusqu’à l’annonce de sa mort.
Ses proches avaient essayé de le rassurer, lui il n’avait pas hésité à informer sur un groupe WhatsApp, il y a un peu plus de trois mois, que ça allait plutôt bien et qu’il venait de subir une intervention chirurgicale.
Plus d’un garde en mémoire, l’image de ce médecin fougueux, déterminé, au sourire narquois qui pouvait passer d’une émission de santé à radio Galaxie pour se retrouver quelques heures plus tard dans une salle d’opération à pratiquer une césarienne. Ces dernières années, il n’était pas rare de le voir dans l’axe des caméras dénonçant la mauvaise gouvernance et l’insécurité.
Originaire du département des Nippes, le Dr Odilet Lespérance débuta ses études secondaires entre Miragoâne et Carrefour. En 2002, il intégra la Faculté de médecine et de pharmacie de l’Université d’État d’Haïti. Ces collègues se souviennent d’un étudiant intelligent, pragmatique, respectueux, assidu et bon communicateur.
Ayant terminé ses études de médecine avant le séisme de janvier 2010, il laissa parler son côté humaniste pour aller soigner les gens un peu partout dans la région métropolitaine. « Le Dr Odilet Lespérance était un médecin qui pratiquait la médecine comme un vrai sacerdoce. Il ne s’attendait pas à devenir riche, confie un de ses amis ayant travaillé à ses côtés dans une organisation non gouvernementale qui prodiguait des soins à la population après cette catastrophe.
La période d’urgence sanitaire terminée, en 2012 il rentra en résidence hospitalière à l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti en vue de se spécialiser en obstétrique-gynécologie. Un cursus qu’il a bouclé avec succès trois ans plus tard.
Depuis, sa vie était partagée entre sa passion pour la communication, quelques petites entreprises et la pratique de l’obstétrique-gynécologie. Toujours avec une conscience citoyenne et un patriotisme à couper le souffle. « Je me rappelle qu’il voulait avoir un chien et on était en train de discuter sur l’utilité de cet animal de compagnie. Je lui proposai plusieurs espèces, mais il avait insisté sur le fait que son chien devait être un ” chien peyi “, pas question pour lui d’acheter un chien étranger », rapporte un de ses amis. Autant souligner que pour le Dr Lespérance, quitter le pays n’a jamais été une option.
Face au pourrissement de la situation de ces dernières années, il avait préféré résister à sa manière. Il s’était investi dans diverses luttes : contre le kidnapping et l’insécurité en général, la mauvaise gouvernance, pour de meilleures conditions de travail en faveur des professionnels de santé et surtout pour une Haïti où les professionnels ne sont pas obligés de s’exiler.
Quand les rumeurs commençaient à circuler sur un diagnostic redoutable faisant suite à des symptômes qui commençaient à le nuire depuis plus de 10 mois, personne ne voulait ou même ne pouvait le croire. « À 41 ans, quand on a fait des études de médecine générale puis une spécialité, c’est l’âge où l’on commence à récolter les premiers fruits des semences plantées à coups de sueur et de nuits blanches. 41 ans, ce n’est pas un âge pour mourir », soupire un de ses collègues de promotion dans une conversation téléphonique.
Le cas du Dr Odilet Lespérance, s’il faut l’appeler ainsi, interpelle et laisse perplexes tous ceux qui connaissent le poids du diagnostic d’une de ces maladies qui vous détruisent cellule après cellule. Ceux qui en sont atteints ont commis un seul péché, celui d’exister. Pas un mauvais comportement, pas un risque de trop, pas une mauvaise habitude, pas un antécédent particulier, même pas une ethnicité particulière. Quand on fait partie des 3 cas sur 100 000, quand on devient une exception de l’épidémiologie, peu importe le temps d’hospitalisation, le départ sera toujours prématuré pour ceux qui avaient toutes les raisons du monde d’espérer plus d’un esprit aussi brillant.
Claudy Junior Pierre
Source : www.lenouvelliste.com
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