« Malia Jean est une femme courageuse, une battante, une femme déterminée dans la lutte contre le sida », a déclaré, la voix secouée d’émotion, Dr Myrna Eustache à qui l’AFHIAVIV a remis une plaque d’honneur, à l’occasion de la fête des mères, le dimanche 30 mai 2022, au local de l’Association des femmes haïtiennes infectées et affectées par le vih/sida.
À cette journée festive bâtie autour du thème : « Nos mères sont un trésor, honorons-les », la représentante de l’Université Georgetown, Marie-Ange Bien-Aimé, a remis à la praticienne cette plaque sur laquelle sont gravés ces mots : « Honneur et mérite au Dr Myrna Beauboeuf Eustache pour le dévouement sans égal, l’engagement sans pareil et l’encadrement indéfectible dont elle a fait preuve dans la lutte contre vih/sida en Haïti. »
Debout derrière la caméra qui me permet de cristalliser ce moment, toute une tranche d’histoire de l’association Promoteur Objectif Zéro sida (POZ) me revient. Le temps où Malia, Liony Accélus, Maire-Rose Verneret, Jean-Saurel Beaujour fréquentait POZ. C’était leur lieu de refuge, c’était leur point de repère. En ce temps-là, le phénomène de la stigmatisation était vécu comme une épidémie qui contaminait les esprits.
Feu Dr Eddy Génécé et Myrna Eustache accueillaient les PVVIH à bras ouverts. Ces derniers étaient biberonnés d’un élément fondamental, d’une parole qui les rendait fort une fois arc-boutés à l’arsenal de POZ. Cet arsenal, ce n’était pas seulement des antirétroviraux que Malia qualifait, à l’époque, de « grenn lavi », mais c’était aussi des traitements psychologiques qui accompagnaient les groupes de PVVIH.
Avec ces séances dans les locaux de POZ, au niveau cognitif, comportemental, émotif, Malia était devenue une femme aguerrie. C’est la raison pour laquelle lorsque Roosevel Jean-François et moi accueillons Malia Jean à l’émission Attitude du Centre de Communication sur le SIDA (CECOSIDA) diffusée tous les samedis sur Mélodie FM, elle était tout feu tout flamme, une énergie positive se dégageait de Malia, une joie de vivre s’emparait de tout ce qui la côtoyait. Et l’on était à se demander : à l’instar de Malia, qu’est-ce que l’on attend pour être bien dans sa peau ?
Quand Malia parlait sur les ondes de Méldie FM, le flot de paroles qu’elle répandait avait le don d’évacuer ses souffrances. Et CECOSIDA était une oreille attentive à ces paroles-là.
Cette remise de plaque – en cette journée où Dr Eddy Pépé et Dr Winter Sénatus ont traité des questions liées aux maladies de la peau et du cancer du col de l’utérus – est la preuve que Malia n’a rien oublié.
Myrna est émue. Elle prend la parole devant une assistance nombreuse composée majoritairement de mères de famille. « Je dis merci à Malia, merci parce que vous qui êtes ici, vous avez intérêt à prendre exemple sur cette femme potomitan », dit cette médecin honorée.
Dr Eustache, d’habitude abondante en paroles, cherche ses mots. Les sanglots de sa voix restituent encore mieux ce qu’elle veut dire : « Malia… c’est une personne…je ne voulais pas croire que Malia serait encore présente, mais quand on a recueilli Malia, elle était si déterminée dans la lutte que l’aboutissement aujourd’hui : c’est la réussite… les mots me manque…. Mais je peux dire que Malia a réussi totalement… Prenez vos médicaments….Suivez les bons conseils de Malia. Elle a tracé un chemin pour vous. »
Dr Eustache se jette dans les bras de Malia, écrase une larme sur ses joues. Au fond du cœur de tout être sensible, c’est un honneur d’être reconnu par ses semblables pour les bienfaits que l’on a semés.
J’avais le sida
Les propos de Malia sont bouleversants de sincérité. Mais sa voix est si chaleureuse quand elle raconte son histoire personnelle. La flamme de ses paroles calcine tous les déboires de sa vie. « J’avais le sida. Ce jour-là, j’avais pris un cup d’eau pour me désaltérer. Dr Myrna Eustache est venue vers moi, elle a pris ce cup que j’avais déjà porté à la bouche et m’a dit : dis-moi, Malia, il n’y a pas que toi, ici, à avoir soif. Elle a pris mon cup d’eau, en a bu une gorgée et me l’a remis. »
Un petit geste simple pour Dr Eustache, un signe encourageant pour Malia. Dans son fort intérieur, elle savait que la vie, pour elle, était finie, et voilà qu’il existe sur terre des êtres humains capables d’aller vers l’autre et de le tirer vers le haut. « Je vous dis que j’avais le sida, insiste Malia. En ce temps-là, quand on savait que vous souffrez de cette maladie, on vous évitait. Mais Dr Eustache a quand même bu mon eau. »
Si AFHIAVIH existe aujourd’hui, reconnait Malia, c’est parce les fondateurs de POZ, Dr Eddy Génécé, de regretté mémoire, Dr Myrna Eustache étaient là pour encadrer les PVVIH d’Haïti.
Beaucoup d’associations qui luttent pour faire échec au sida ont vu le jour. Mais où sont-elles passées ? disparues dans le paysage. Malia se demande : « Et pourquoi AFHIAVIV résiste encore ? C’est parce qu’on a été allaité à la mamelle de POZ. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’honorer Myrna Beauboeuf Eustache pour ses bienfaits envers les PVVIH. » Une pluie d’applaudissements ont suivi ces paroles venant du cœur.
Posté derrière ma caméra, j’enregistre ce moment qui prolonge l’histoire de Malia imprégnée dans chaque membre de cette association qu’elle a mise sur pied pour encadrer les personnes infectées et affectées par le vih/sida.
Claude Bernard Sérant