L’Observatoire communautaire des services vih (OCSEVIH) a officiellement présenté, le 6 octobre 2021, son rapport d’observation autour du fonctionnement des services de santé liés au vih et aux droits humains en Haïti. L’OCSEVIH est une structure de surveillance dirigée par la communauté. Elle se concentre sur la collecte systématique de données sur le site de prestation de services de santé. Pour être diffusées sous formes de rapports d’analyses comparatives, ces données sont ensuite traitées. Aussi, participe-t-elle d’une stratégie indispensable pour améliorer la riposte au VIH et le SIDA en Haïti. Financé par le Plan d’urgence présidentiel américain de lutte contre le VIH (PEPFAR), l’Observatoire s’est fixé comme objectif, depuis son lancement, le 10 décembre 2020 : que toutes les personnes vivant avec le VIH puissent vivre une vie saine et digne, telle que définie dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
L’OCSEVIH est une structure assez récente dans la question de prise en charge du VIH de par le monde. L’idée de sa création et de sa mise en œuvre vient d’une délégation haïtienne composée de représentants du Forum de la société civile, avec le soutien de l’Organisation de développement et de lutte contre la pauvreté (ODELPA) et Housing Works. Ces derniers avaient pris part, en 2019, à la conférence des parties sur le VIH (COP19), tenue à Washington DC.
Ces institutions de la société civile ont fait le constat que : l’accueil, la prise en c
harge et le suivi des patients vih dans les centres de santé, restent à ce jour un véritable casse-tête. Sur la base de cette faiblesse et tenant compte de l’enjeu que représente une mauvaise prise en charge dans les efforts de riposte à la maladie, ces activistes du Sida avaient jugé opportun d’impliquer davantage les communautés dans ce combat.
Observations de terrain
Sur une période de 6 mois, plusieurs délégations d’observateurs conduites par le Forum de la société civile de lutte contre le vih, la tuberculose et la malaria, ont parcouru 3 des 10 départements géographiques du pays, en vue de s’enquérir de la qualité des services offerts aux patients vih, dans les centres de prise en charge. Il s’agit des départements de l’Ouest, de l’Artibonite et du Nord. « Le constat est accablant », rapportent ces observateurs qui ont accentué leur travail sur le témoignage de 980 patients dont 689 PVVIH. Leurs observations se sont basées sur la qualité de l’accueil dans les sites – les comportements du personnel de santé dans les cliniques – la connaissance des patients vih des traitements antirétroviraux et de leur charge virale – la compréhension des patients des groupes de soutien existant dans les établissements de prise en charge – les services disponibles pour les populations clés.
Que s’est-il réellement passé sur le terrain ?
Ce rapport d’observation révèle que sur les 980 personnes interviewées dans le cadre de l’enquête, 27% ont déclaré avoir passé trop de temps dans les files d’attente. Elles déplorent le manque de personnel disponible dans les centres de prise en charge qui en est, selon elles, la principale raison. Selon les observateurs, 54% des établissements avaient plus de 15 patients en file d’attente vers 10 heures du matin, alors que l’horaire d’ouverture des centres de santé est en fait fixé à 8 heures du matin.
« L’un des défis majeurs est le temps qu’ils prennent pour vous servir. Ils ne vous donnent jamais la bonne heure. Parfois votre rendez-vous était fixé pour 8h. Mais le personnel vous reçoit à midi, soit environ 6 heures d’attente. Le personnel qui vérifie les signes vitaux des patients se dispute parfois avec moi à propos de l’heure de mon rendez-vous. L’infirmière est vraiment plus patiente avec nous», raconte l’air décontenancé, une PVVIH interviewée dans un centre de santé du département de l’Artibonite.
Un autre aspect observé sur le terrain par les enquêteurs de l’OCSEVIH est le comportement souvent stigmatisant et discriminatoire de certains membres du personnel de santé. « Oui, ils discriminent, c’est ce que j’observe. C’est pourquoi je demande le transfert. Parce qu’un jour une personne qui réside à Saint-Domingue, m’a envoyé un message téléphonique me demandant de confirmer l’information qu’elle a reçue en lien avec mon statut VIH. J’ai répondu par la négation. Un autre jour, quelqu’un d’autre est revenu avec le même message. Je ne sais pas qui, mais je suis persuadé que cette information a été propagée au sein de l’hôpital pour être transférée à Saint-Domingue», témoigne un jeune homosexuel séropositif.
En faisant ressortir la gravité de la situation sur une bonne prise en charge des patients séropositifs, les observateurs ont constaté qu’environ 22% des établissements de santé pris en compte dans le cadre de cette étude, ont de grave problème de confidentialité des patients. Les plus courants sont le fait de séparer les PVVIH des autres patients. Ce phénomène est observé dans 17 des 41 sites de traitement touchés par cette enquête, dans les trois départements concernés.
« J’ai beaucoup de mal avec ces choses. L’infirmière n’a pas sa langue dans sa poche, elle n’a aucune discrétion, elle ne connaît pas la notion de secret professionnel, elle ne fait preuve d’aucun professionnalisme. De plus, l’agent employé pour nous livrer les médicaments est un autre problème. En fait, il est le seul à fournir ce service. Dès qu’il vous sollicite, dans votre quartier vous êtes déjà la cible de discrimination car il est le seul mandataire pour la ville de Petit-Goâve. D’ailleurs, même s’il te trouve avec d’autres personnes en train de parler, il te dit : « Hey, voici tes médicaments. Ils n’ont pas de l’art de la dialectique et n’ont aucune discrétion», reproche un autre patient PVVIH. Il a fait ces confidences aux observateurs, lors d’un groupe de parole organisé dans la ville de Faustin Soulouque.
En ce qui a trait à la connaissance des patients sur les différents traitements antirétroviraux disponibles, les enquêteurs ont remarqué un faible intérêt des bénéficiaires sur la question. Pourtant, il est prouvé que les patients les mieux informés de leur régime thérapeutique sont plus aptes à contrôler leur propre santé et leur vie sexuelle. Aussi, est-il démontré que la connaissance du traitement améliore davantage les taux de liaison et de rétention, car les gens comprennent l’importance de commencer et de continuer le traitement de manière efficace. Sur les 980 patients observés, seulement 59% connaissent leur charge virale, pour 71% ayant compris qu’avoir une charge virale indétectable signifie que le traitement fonctionne bien et qu’une personne qui arrive à avoir une charge virale indétectable n’est plus contagieuse.
Populations-clés mises de côté dans les efforts de riposte au VIH
Si pour une personne vivant avec le vih, leur prise en charge dans les centres de santé laisse à désirer, les populations-clés, regroupant lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, sont encore plus délaissées dans les programmes de lutte contre le vih, en Haïti. Selon le rapport 2018 de l’enquête sur la mortalité, la morbidité et l’utilisation des services (EMMUS), la prévenance du vih chez les hommes ayant des rapports sexuels non protégés avec d’autres hommes est le plus élevée. Elle est estimée à 12.9%.
L’Observatoire communautaire des services VIH a, de son côté, remarqué qu’environ 46% sur les 41 établissements de santé pris en compte dans le cadre de cette étude, n’offrent aucun service spécifique aux populations-clés. Les services les plus couramment offerts ciblant des populations spécifiques sont les services de proximité, le dépistage et le traitement des IST, ainsi que le conseil et le dépistage du VIH.
Suite à sa première année d’observation, l’OCSEVIH a formulé plusieurs recommandations aux autorités sanitaires et leurs partenaires de la communauté internationale. On notera notamment le recrutement d’un plus grand nombre de personnel en vue de réduire les temps d’attente dans les centres de santé, l’augmentation du nombre de patients qui reçoivent leurs médicaments à domicile, l’amélioration de la flexibilité pour les patients. Pour y arriver, les responsables des centres de santé devraient développer des heures de clinique spéciales et flexibles pour les étudiants et les patients qui ont un emploi. Ceux-ci devraient inclure des heures plus tard dans la journée, les week-ends et les jours fériés», a conclu ce rapport, qui sera distribué aux acteurs évoluant dans la prise en charge du vih en Haïti.
Selon les données publiées par le Ministère de la Santé publique ( estimation 2020), Haïti compte environ 160 000 personnes de sa population vivant avec le VIH, pour une prévalence nationale d’environ 2%, soit le plus grand nombre de tous les pays les pays de la Caraïbe.
Bien que de nombreuses personnes commencent le traitement, elles ne sont pas retenues dans le système. Le phénomène grandissant de la stigmatisation et de la discrimination, les distances extrêmement longues jusqu’à la clinique la plus proche, les longs délais d’attente et le manque de confidentialité dans les centre de traitement contribuent à cette incapacité de retracer les patients.
Louiny FONTAL
fontallouiny1980@gmail.com
Discussion à propos de post